Dans le
6e de ses Dix Papyrus, Mohamed
Salmawy retrace, avec
poésie, l’histoire d’amour passionnée entre Kptah, le brave
prince du pays, et la belle Lotus, devenue après sa mort
symbole de l’Egypte ancienne.
La
fleur de la beauté, de la gloire et de l’éternité
Lotus
était la plus belle et la plus envoûtante parmi les filles.
Kptah était le plus courageux et le plus fort parmi les
garçons. Lotus s’éprit de Kptah à la folie alors qu’il
l’aima, lui, encore plus que la vie elle-même.
Kptah
était le prince du pays alors que Lotus était la fille du
médecin de pharaon. Ils se rencontraient tous les jours de
l’année en hiver lorsque le soleil brillait et propageait sa
chaleur sur terre et durant les nuits d’été lorsque la lune
apparaissait et emplissait de charme la vie des hommes. Le
lieu des retrouvailles n’était autre que les berges du
magnifique fleuve, Hapy, qui apportait le bien-être à la
terre noire, celle de la Haute-Egypte et de la terre rouge,
celle de la Basse-Egypte.
Dans
l’une des agréables soirées d’été, la lune apparut de bonne
heure pour protéger de son charme argenté la rencontre des
amoureux et le soleil n’avait pas encore quitté l’horizon.
Ainsi, le soleil se trouvait d’un côté du ciel et la lune de
l’autre. La lune et le soleil se retrouvèrent conjointement
de manière exceptionnelle comme pour répéter à travers leur
rencontre dans les cieux, celle de Kptah et Lotus sur terre.
Kptah
était un beau jeune homme au corps musclé. Il vint à la
rencontre de sa bien-aimée portant dans les mains un rouleau
de papyrus scellé du sceau royal. Dès qu’il s’approcha de
Lotus, il posa un baiser sur sa tête et posa le rouleau de
papyrus entre ses mains. « Qu’est-ce que c’est ? », demanda
Lotus étonnée. « C’est une lettre d’amour inspirée des
épanchements de mon cœur ».
Lotus
déchiqueta le sceau rapidement et déroula le papyrus. Elle
fut séduite par les beaux dessins aux couleurs rayonnantes
qui le garnissaient alors que Kptah contemplait ses longs
cheveux noirs et sa peau limpide. Après avoir ouvert le
papyrus, Lotus le présenta à Kptah en lui disant : « Fais--en
la lecture pour moi. Je veux l’écouter de ta voix ». Kptah
se mit à le lire à sa bien-aimée. Et alors la lune se courba
pour mieux suivre les mots et le soleil du couchant écarta
les nuages pour illuminer de son éclat les merveilleux
dessins.
Tu es
parmi les femmes, la plus belle
Tu n’as
pas de pareil
Tu es
l’étoile rayonnante
Au début
d’une nouvelle année
Tu es
les gouttes d’eau
En un
jour de crue …
Et moi,
je suis complètement noyé
Sous les
vagues de l’amour.
Ta
bouche est l’œillet d’une fleur,
Ton sein
est une figue
Et ton
front un cerceau d’ivoire …
Et moi,
je suis une oie sauvage,
Tombée
en toute sérénité
Dans les
filets de l’amour.
Ton
amour est dans mon cœur
Semblable à un roseau au cœur des vents
Qui peut
l’arracher et le faire voler
D’un
jardin à un autre
Et le
projeter dans les abîmes de l’amour.
Lotus
s’accrocha au cou de Kptah comme si elle était le signe de
Ankh, la clé de la vie, qui pendait en médaillon autour de
son cou. Il l’enlaça et la fit tourner comme le font les
astres autour du soleil en scandant de mémoire le reste de
son poème :
Regarde-la
Hapy,
Ô dieu
de la crue,
Qui
surgit à l’horizon,
Telle
l’aube d’un nouveau jour
Qui sème
encore plus de bonnes choses
Et
répand l’abondance.
Regarde
la fraîcheur de sa peau,
Elle
t’envoûte de son regard,
Elle
t’ensorcelle par les mots sortis de ses lèvres.
Son long
cou est de marbre,
Ses
cheveux sont encore plus merveilleux
Que les
plantes majestueuses,
Ses bras
encore plus beaux que l’éclat de l’or,
Son
vêtement est tiré au bas du dos
Elle
séduit la terre lorsqu’elle la foule du pied
Au
dehors de noblesse, elle est svelte et élégante,
De
présence agréable, sa voix est douce
Elle est
le soleil du jour et la lune de la nuit
Elle est
seule à être la fiancée du Nil.
Lotus
s’écria, prise de vertige : « Suffit, suffit, la terre
tourne autour de moi. Ton visage tourne au milieu des nuages
et le soleil et la lune font de même ». Elle tomba à terre
et son amoureux la suivit et leurs lèvres se relièrent en un
long baiser qui fit des envieux parmi les dieux du mal dans
les souterrains de la terre.
Kptah la
releva de ses robustes bras et la posa sous un grand
sycomore qui avait rassemblé des volées de huppes avant le
coucher du soleil. Lotus soupira en contemplant le visage de
son bien-aimé et dit : « Mon amour pour toi n’a ni début ni
fin ». Elle lui offrit une petite amulette de porcelaine
verte sous la forme du Shen, symbole de l’infini qui
représente une corde nouée à la base qui est devenue un
cerceau qui n’a ni début ni fin. Kptah prit l’amulette et y
posa un baiser en disant : « Je vais la garder à mon cou de
jour comme de nuit, mais il te faut auparavant accepter mon
présent ». Lotus dit : « Mais ton poème est le plus beau des
présents ». Il répondit : « Ce n’était que l’expression de
ce qui remplissait mon cœur. Mon cadeau, le voilà ». Kptah
prit la main de Lotus et lui enfila au doigt une bague en or
garnie de la pierre de Khosbd, l’authentique lapis lazuli
qui ne se trouvait pas en Egypte et qu’on rapportait des
terres lointaines d’Asie. Khosbd était la pierre la plus
précieuse et la plus belle. Kptah dit : « Le lapis lazuli
foncé veiné d’or symbole du ciel bleu, patrie des dieux, est
le symbole de notre liaison spirituelle à tout jamais ». Ils
s’engagèrent à devenir époux dès que Kptah deviendrait roi
et elle serait par conséquent reine.
Dans les
bas fonds de la terre, où règne l’obscurité et les ombres,
Seth, dieu du mal, fut envahi par des sentiments d’envie et
de jalousie et il se précipita vers la lionne Sekhmet,
déesse de la guerre, et lui narra ce qui s’était passé entre
Lotus, la plus belle des filles, et Kptah, le plus fort des
hommes, et leur pacte d’amour. La lionne dit : « S’ils
venaient à se marier, ils apporteraient au monde une
descendance encore plus belle et plus robuste que tous les
dieux ».
Le
crocodile Sobek, dieu des fleuves et des lacs, entendit leur
dialogue et sortit du ventre de la terre en criant : « C’est
ce qui ne doit pas se produire ».
La
soirée du même jour, les dieux du mal dans le monde des bas-fonds
firent une réunion de guerre sous la présidence de Sekhmet
aux sources du Nil souterraines qui coulent sous terre en
parallèle avec le Nil du haut. En moins d’une heure, le plan
avait pris forme afin de se libérer du danger qui menaçait
les dieux.
A l’aube,
Sekhmet se départit de la forme de lionne et prit celle de
sa bonne sœur Hathor au visage arrondi et aux oreilles de
vache et se dirigea vers Lotus dans son lit et la réveilla,
alors qu’elle se sentait remplie d’un désir passionné pour
Kptah qu’elle venait de quitter depuis peu. De même, Seth
prit la forme de son frère Osiris et réveilla Kptah qui
ressentait également un désir ardent de rencontrer Lotus.
Lotus se
précipita à la pointe de l’aube vers le fleuve au même
endroit où elle avait l’habitude de rencontrer son bien-aimé.
Avec la percée du jour, la lumière du matin se refléta sur
l’eau qui devint semblable à un miroir. Elle s’y mira pour
s’assurer de son maquillage avant la venue de Kptah et le
crocodile Sobek surgit des eaux, prit la forme de son chéri
et avança ses mains pour la convier à le rejoindre. Sans
réfléchir, Lotus se jeta dans les bras de son bien-aimé et
elle fut engloutie par les eaux du fleuve. Les vents se
déclenchèrent violemment aussitôt en protestation à ce crime
honni. Les sables venus du désert firent partie de cette
rébellion contre cet acte monstrueux qu’avaient commis cette
lionne et ce crocodile, alors que Sobek tirait Lotus vers
les fonds des eaux.
En
quelques instants, Kptah arriva au lieu de la rencontre de
sa bien-aimée sans rendez-vous préalable mais avec un
sentiment profond qu’il allait la rencontrer. Il la chercha
partout sans pour autant la trouver. Il pensa qu’elle avait
tardé. Il lança un regard vers l’eau et découvrit le beau
visage de sa bien-aimée. Il lança un cri qui épouvanta les
huppes sur le sycomore et pleura comme nul autre ne l’avait
fait auparavant. L’arbre lui demanda la raison de son
épouvantable tristesse. Il dit :
Ma
bien-aimée toute belle est là bas
Sur les
berges du monde souterrain
Elle est
descendue dans les eaux
Et a été
noyée par les vagues.
C’est la
bien-aimée la plus parfaite
Et qui
n’a de semblable
Elle
était comme une étoile scintillante dans les cieux
Elle a
sombré telle une pierre au fond des eaux
Ses
beaux cheveux flottants,
Vont
dans tous les sens sous les vagues.
Le vieux
sycomore courba une des ses branches pour caresser Kptah
alors que la huppe lui raconta ce qui s’était passé. Quant à
l’oiseau sacré Ibis, symbole de la sagesse, il lui dit : «
Lorsque tu deviendras roi, tu accorderas à Lotus l’éternité
et ta bien-aimée sera la plus célèbre parmi les belles du
monde ».
Mais
cela n’affaiblit pas la tristesse de Kptah dont les larmes
ne cessèrent de couler sur les bords du fleuve sans arrêt. A
la fin de la journée, une petite fleur délicate d’une beauté
sans pareille avait fleuri à l’endroit même où les larmes du
prince avaient coulé, comme si c’était le dieu Atoum qui
avait créé les êtres humains de ses larmes. La fleur était
aussi pure que la couleur de la peau de sa bien-aimée, aussi
délicate et merveilleusement belle. Le prince la nomma fleur
de Lotus. Et lorsqu’il devint roi par la suite, il ordonna
que le Lotus soit une fleur sacrée. Elle garnissait les murs
des palais et on fit construire les colonnes des temples
sous sa forme.
Dans les
anciens papyrus, certains décrivent la création de la fleur
de Lotus en ces mots :
La fleur
pure de lotus, née de la terre humide du dieu Amon-Rê, dans
le berceau de l’astre doré du soleil, car la fleur est d’or
alors que sa tige est d’argent. C’est une image superbe qui
symbolise le moment qui a précédé la naissance de l’étoile
scintillante, sous-jacente et brillante au cœur de la fleur.
A chaque
fois que le pharaon Kptah regardait la fleur de lotus qui
s’était répandue à travers le pays, il lui semblait entendre
les lamentations funèbres d’Isis envers Osiris conservées
dans un ancien papyrus :
Je ne te
vois plus
Ô toi
dont le cœur est rempli de désir
Mes yeux
te recherchent
Viens
vers celle que tu aimes
Approche
de ta sœur
Toi dont
le cœur a cessé de battre
Je
t’appelle de toutes mes ardeurs
Et mes
lamentations s’élèvent jusqu’à se faire entendre par les
cieux
Mais
toi, tu ne m’écoutes pas
Moi, ta
sœur que tu as aimé
Sans
jamais aimé nulle autre
Mon
bien-aimé pour l’éternité.
La fleur
de lotus devint depuis, le principal symbole de l’Egypte
ancienne de par sa beauté, sa gloire et son éternité.
Traduction de Soheir Fahmi
La semaine prochaine,
le 7e Papyrus