A
l’occasion du quarantième anniversaire de la Francophonie,
le secrétaire général de l’Organisation Internationale de la
Francophonie (OIF), Abdou Diouf,
revient sur le chemin parcouru et trace les lignes de force
de l’action future de l’organisation.
« Les
identités linguistiques et culturelles constituent l’un des
grands enjeux de ce siècle »
Al-Ahram
Hebdo : La Francophonie fête ses 40 ans. L’Agence de
coopération culturelle et technique des débuts a laissé
place à une organisation internationale d’envergure,
regroupant 70 membres. Quels ont été, sur ce chemin, les
succès remportés et les difficultés rencontrées ?
Abdou
Diouf :
Je crois pouvoir affirmer que, si nous n’avons pas gagné la
guerre, nous avons toutefois remporté quelques belles
batailles ! La plus emblématique reste notre mobilisation
exemplaire pour l’adoption de la Convention sur la
protection et la promotion de la diversité des expressions
culturelles à l’Unesco. Mais c’est loin d’être la seule. Je
pense, par exemple, à la formation de milliers d’experts du
Sud aux négociations commerciales internationales, à
Médiaterre, site francophone pour le développement durable
qui attire plusieurs millions de visiteurs par an, ou encore
à l’initiative Ifadem, ambitieux projet de formation à
distance des enseignants du primaire. Je pense également à
nos actions pour renforcer l’Etat de droit, consolider les
processus démocratiques et promouvoir les droits de l’homme
au sein de nos Etats membres. Je pense, en matière de
langue, aux milliers de diplomates et de fonctionnaires que
nous formons, à nos efforts pour assurer la présence du
français sur l’Internet, ou à notre projet de bibliothèque
numérique francophone. Enfin, je n’oublie pas notre
mobilisation en faveur de la promotion des artistes, ni le
soutien que nous apportons à la professionnalisation des
entreprises culturelles du Sud.
Vous le
voyez, les exemples de réussite sont nombreux ! Pour
consolider ces résultats, nous avons initié une ambitieuse
réforme de notre fonctionnement, menée sous la houlette
efficace de l’administrateur, Clément Duhaime. Nous avons
resserré nos programmes. Nos efforts ne nous épargnent pas
pour autant toutes les difficultés. Comme le fait par
exemple que, malgré un vade-mecum adopté par tous nos pays
membres et qui précise les conditions d’emploi du français
dans les organisations internationales, de moins en moins de
fonctionnaires internationaux font le choix de s’exprimer en
français. Or, l’appartenance à la francophonie correspond à
un engagement politique volontaire : il ne confère pas
seulement des droits, mais impose aussi des devoirs … Quand
nos Etats ne respectent pas les engagements pris dans la
Déclaration de Bamako en 2000, nous sommes parfois proches
du découragement. Mais jamais, jamais nous ne baissons les
bras. Nous sommes déterminés à poursuivre sur la voie de la
résistance et de l’offensive.
— En
quoi l’OIF est-elle une organisation originale ?
— Son
originalité réside d’abord dans la variété de ses champs
d’action, illustrée par les programmes de l’Agence
universitaire de la Francophonie, de TV5 Monde, de
l’Association internationale des maires francophones et de
l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, mais aussi par
ceux des organisations non gouvernementales et de tous nos
réseaux. Ensuite, j’ai l’habitude de dire que la
Francophonie est un laboratoire de la diversité et de la
solidarité : nous accueillons à la fois deux pays du G8,
quinze membres de l’Union européenne, des pays émergents et
d’autres parmi les plus pauvres. Enfin, nous pressentons que
les identités linguistiques et culturelles constituent l’un
des grands enjeux de ce siècle. C’est parce que nous croyons
qu’une mondialisation sans autre moteur que le profit
conduit à la prolifération des conflits que la Francophonie,
espace géolinguistique de soixante-dix membres, se bat pour
la diversité et le multilatéralisme réel, où chaque voix
compte et où chacun apporte ses richesses à la table de
l’échange.
— Vous
avez qualifié 2010 « de l’aube d’un avenir prometteur ».
Quelles sont les ambitions de la Francophonie pour les
prochaines années ?
— Les
chefs d’Etat et de gouvernement qui se réuniront à Montreux
pour notre XIIIe Sommet au mois d’octobre donneront les
grandes orientations. Mais d’ores et déjà, il est évident
que la Francophonie a enregistré, en quarante ans, des
acquis indéniables. Loin de nous en contenter, il faudra,
demain, aller plus loin. Je pense à certains enjeux
fondamentaux pour nous, comme la Convention sur la diversité
des expressions culturelles : nous devons poursuivre notre
mobilisation afin de relancer les ratifications et accélérer
sa mise en œuvre. Un dialogue responsable et fructueux entre
les civilisations est nécessaire pour dessiner un avenir
plus équitable, plus pacifique, plus démocratique.
En
matière politique justement, l’espace francophone connaît
toujours, en dépit d’avancées notables, de nombreux cas de
dérive ou de rupture de la démocratie, y compris sous
l’habillage du droit. La Déclaration de Bamako nous permet
d’adopter des mesures – pouvant aller jusqu’à la suspension
du pays concerné de nos instances – à l’encontre des pays
qui ne respectent pas les règles. Je précise que ces mesures
sont toujours étayées de programmes d’accompagnement des
processus de sortie de crise, de transition et de
consolidation de la paix. Cependant, nous devons être plus
audacieux encore et rechercher des mécanismes plus
performants pour régler ces crises, surtout pour rendre
véritablement opérationnelle la démarche préventive que nos
instances privilégient. C’est là une des préoccupations
prioritaires de l’OIF.
— La
solidarité est l’une des principales valeurs revendiquées
par la Francophonie …
—
Absolument !
—
Comment celle-ci peut-elle se traduire à l’endroit d’Haïti
meurtrie ?
—
L’ensemble de la Francophonie s’est tout de suite mobilisé
au chevet d’Haïti. Dès les premiers jours qui ont suivi le
séisme, l’OIF a débloqué une aide d’urgence pour la
population civile de 100 000 euros que nous avons versée au
fonds de la Banque de la République d’Haïti.
Au-delà,
la Francophonie souhaite participer à la reconstruction aux
côtés de nos membres impliqués et des organisations
multilatérales avec lesquelles nous menions déjà des projets
en Haïti, en particulier la Commission européenne et l’Onu.
L’objectif premier est de favoriser un retour aussi rapide
que possible à la normale, en particulier pour la jeunesse :
les écoles doivent rouvrir et les étudiants reprendre leurs
études, les enseignants du primaire, avec lesquels
nous travaillons, suivre leur formation.
En
parallèle, nous effectuons avec les autorités haïtiennes
l’inventaire précis des besoins suscités par cette situation
sans précédent. Nous sommes à l’écoute du gouvernement
haïtien afin de l’appuyer dans la « reconstruction » de
l’Etat et de ses institutions démocratiques. Nous mettons à
disposition ce qui constitue la force de la Francophonie :
son expertise. Tous nos réseaux sont mobilisés.
— Votre
deuxième mandat à la tête de l’OIF s’achève dans quelques
mois. Envisagez-vous son renouvellement ?
— Un de
vos confrères m’a posé cette question en décembre 2009. Ma
réponse est la même aujourd’hui : je suis disponible. Si les
chefs d’Etat et de gouvernement le souhaitent, je suis à
leur disposition pour continuer ma mission. Je tiens
d’ailleurs à dire que j’ai été très touché par les
témoignages d’encouragement qui m’ont été adressés. Mais je
le répète : si la Francophonie a résisté à l’épreuve du
temps, si elle a su se régénérer et se réformer tout en
restant elle-même, c’est d’abord grâce à l’engagement
militant de celles et de ceux qui l’ont, tout au long de ces
quarante ans, fidèlement servie et promue.
Propos recueillis par Ariane Poissonnier (MFI)