Al-Ahram Hebdo, Enquête | L’appel des sirènes
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 14 au 20 avril 2010, numéro 814

 

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Enquête

Choubra Melless. Depuis l’effondrement de l’industrie du lin qui faisait sa fierté, le chômage fait rage dans ce village du Delta. Les jeunes n’ont de rêve que de prendre une barque pour l’Europe au péril de leur vie. Reportage.

L’appel des sirènes

A Choubra Melless, un village du gouvernorat de Gharbiya à deux heures du Caire, les jeunes hommes dans les rues sont, pour la plupart, habillés à la mode (un jean et un tee-shirt). La Galabiya (habit traditionnel porté à la campagne) n’est désormais portée ici que par les hommes âgés. On s’aperçoit rapidement que les terrains cultivés sont plutôt rares, ce qui n’est pas habituel dans les autres villages. Les cafés se propagent dans la ville et sont toujours occupés par des hommes de différents âges, le jour et beaucoup plus que le soir. Ce village, dont les habitants manifestent certains signes de richesse, est pourtant frappé par le chômage après l’effondrement de la culture du lin et de l’industrie du textile. En effet, cela fait 3 ans que cette activité, qui absorbait plus de 90 % de la main-d’œuvre du village et attirait même de la main-d’œuvre des villages avoisinants, est presque morte après la vente de 30 usines à un investisseur saoudien. Ces usines œuvraient dans la fabrication et l’exportation du lin. Mais l’investisseur saoudien a décidé de fermer les usines et de mettre la plupart de ses ouvriers à la retraite anticipée. « Autrefois, notre village était surnommé l’Arabie saoudite de Gharbiya, car tout le monde y trouvait un boulot. Ici, le lin passe par plus de 100 étapes depuis sa culture jusqu’à son exportation. Il y a l’agriculteur qui le cultive, les ouvriers qui le récoltent et l’assemblage des tiges car c’est la seule plante qui ne peut être récoltée que manuellement, les chauffeurs des camions qui le transportent des gouvernorats voisins aux usines, et bien sûr les fabricants de lin, cette matière qui, d’ailleurs, entre dans plusieurs productions, et enfin, on trouve les exportateurs et les sociétés qui en font le marketing. Et tout le monde gagnait bien sa vie », explique Mamdouh Abdel-Khaleq Sarhane, agriculteur et exportateur de lin. Il ajoute que les citoyens de son village menaient une vie de luxe avant la vente de la société, et le salaire journalier d’un simple ouvrier pouvait atteindre les 150 L.E., et c’est pour cela que les bâtiments et les magasins de ce village ont cette apparence de luxe.

Cela dit, les ouvriers des usines de lin manifestent depuis un mois devant le siège de l’Assemblée du peuple au Caire pour réclamer leurs droits financiers à l’investisseur saoudien, qui les a obligés à la retraite contre une indemnité de 40 000 L.E. pour chacun d’eux. Mais en dépit de son accord avec la ministre de la Main-d’œuvre, Aïcha Abdel-Hadi, il n’a pas versé jusqu’à maintenant la totalité de cette somme aux ouvriers.

Une déprime qui pousse à la mort

Tout d’un coup, le village s’est retrouvé livré au chômage, la criminalité a commencé à apparaître : les vols et le trafic de drogue s’y sont répandus. « Maintenant, les jeunes ne trouvent plus de boulot. Ils sont déprimés et perdent tout espoir », explique Am Sayed, marchand. Face à cette situation, les jeunes partent. La solution pour eux c’est l’émigration clandestine vers le sud de l’Europe. C’est ainsi qu’au cours des trois dernières années, un grand nombre de jeunes et d’adolescents, même âgés de 13 et de 14 ans, sont partis à bord de barques vers l’Italie. Ils sont l’appât d’une mafia de passeurs. La dernière de ces tentatives était il y a deux semaines, lorsque 25 jeunes hommes et adolescents sont partis du village pour émigrer clandestinement en Italie à travers la ville méditerranéenne de Rachid (Rosette), mais le bateau a coulé, trois des passagers ont trouvé la mort, dont un enfant de 14 ans, et certains sont portés disparus. En fait, les courtiers d’immigration clandestine ont trouvé à Choubra Melless un lieu fertile pour leurs transactions suspectes. Plusieurs jeunes du village ont réussi à s’installer à l’étranger et à bien gagner leur vie et ils sont rentrés à leur village pour bâtir des maisons luxueuses et se marier. « J’ai tenté plusieurs fois d’émigrer clandestinement : une fois à travers la Libye et une autre à travers le Liban jusqu’à la Syrie en passant par la Turquie et puis la Grèce et en arrivant enfin en France. Après 11 ans de travail et de souffrance, je suis rentré avec une bonne somme d’argent », raconte Walid Mahmoud qui, malheureusement, depuis son retour, n’a pas réussi à trouver un emploi et pioche dans ses économies. Ces exemples de réussite ont encouragé les jeunes du village et les adolescents à faire tout leur possible pour partir et réaliser leur rêve. « Cela fait 3 ans que j’ai fini mes études. Depuis, je ne fais que travailler avec mon père dans son petit café. Je touche 5 L.E. par jour, une somme qui ne suffit même pas pour acheter un paquet de cigarettes. Pourquoi alors rester dans cet état misérable ? Si je pars, peut-être que je pourrai faire quelque chose de ma vie, je connais plusieurs qui sont partis et revenus avec une fortune », lance Ahmad Abdallah, qui affirme ne pas craindre la mort qui ne sera, selon ses dires, peut-être pas différente de la vie insignifiante qu’il mène. Et nombreux sont ceux qui ont essayé et échoué plusieurs fois à s’enfuir, mais pour eux, il ne faut jamais perdre l’espoir. « Ma troisième tentative était la semaine dernière, j’étais censé prendre ce bateau qui s’est noyé, mais le manque d’argent m’a retardé, et malgré cette catastrophe, j’attends encore l’appel du courtier pour partir », dit Ismaïl Hussein, en racontant qu’il a 38 ans, qu’il est encore sans travail et que, du coup, il est incapable de se marier. « Jusqu’à quand vais-je attendre ? Mon seul espoir est de partir à l’étranger par n’importe quel moyen et quelles que soient les conséquences », ajoute-t-il.

A la solde des trafiquants

Le départ des adolescents qui n’ont pas atteint les 15 ans reste un phénomène intriguant à Choubra Melless. « Je suis propriétaire et conducteur d’un camion. Après la fermeture des usines de textiles, je ne trouve plus rien à transporter, ce qui m’a rendu incapable de payer la somme mensuelle du crédit que j’avais empruntée pour acheter le véhicule, et maintenant, je suis menacé de prison. Si mon enfant part à l’étranger, il sera traité humainement, car leurs gouvernements offrent aux enfants tous les moyens humanitaires de vie : ils sont pris dans des écoles ils poursuivent leurs études et apprennent un métier, et lorsqu’ils atteignent 18 ans, les autorités légalisent leur situation et leur procurent les documents nécessaires leur permettant d’être des résidents légaux. Ne trouvez-vous pas donc que je lui fournis ainsi un futur qui est beaucoup mieux que cette vie de misère ? », explique Sayed Ibrahim. Pour plus de facilité, les courtiers et les intermédiaires ne prennent pas tous les frais qui atteignent 50 000 L.E. à la fois. Ils commencent par toucher 5 000 L.E. Le reste de la somme doit être versé le jour le client, après son départ, assure sa famille de son arrivée au pays de son choix. C’est ainsi que la plupart des familles ont vendu leurs maisons, leurs terres ou même ont emprunté de l’argent pour collecter la somme avec l’espoir — et pourquoi pas la conviction ?que leurs fils pourront travailler, faire une fortune et envoyer beaucoup d’argent. Un rêve que ces villageois ne lâcheront pas tant que chômage et pauvreté persisteront.

Sabah Sabet

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