Peinture.
En retard ou en
avance,
Khaled Hafez jongle
entre Batman
et Anubis, Darwin et les
F-16. Frôlant de
près l’art
pop, ses
œuvres
s’imposent difficilement
en Egypte.
Anubis,
Sekhmet et
l’art pop
Khaled
Hafez est
un artiste pop. Il
est l’un
de ceux qui
réunissent dans
une même
toile la déesse
Anubis, un
avion F-16, une partition
de musique
ou l’évolution de Darwin.
Chaque
élément
possède, dans la
tête du
peintre,
une signification bien
précise. « Darwin
c’est
pour le logo, dit-il,
celui que
l’on
retrouve dans
toutes les
salles de classes de par le monde
montrant le singe se
relever pour
finalement
devenir homo-sapiens ». Le F-16,
c’est la suite de Darwin :
l’homme de
l’avenir sera, pour Hafez,
l’homme guerrier. Le F-16
c’est aussi
pour le Moyen-Orient
une région
devenue
symbole de guerre, une
région qui fait
vendre les
journaux dès
qu’il y a
du sang, des snipers et des
hélicoptères de combat qui
passent à
l’attaque. Hafez
veut
montrer tout cela,
déconstruire
l’imagerie
populaire, la propagande,
le consumérisme,
Sekhmet, les
jolies
filles des magazines … pour arriver
à une
conclusion : chaque époque a
ses codes et
ses images,
mais dans le fond
rien ne
change. Ou
presque.
Car
Hafez, indiscutablement, se
place du
côté des artistes
cairotes qui
tentent
d’ouvrir une
brèche dans
l’art trop
convenu qui régit la
scène égyptienne
depuis les
années 1980. Cette
branche
d’artistes, soutenue
depuis
plusieurs années par la
galerie Townhouse,
peine
pourtant à
s’imposer, car
ses
standards de création
ne sont
bien
souvent qu’une
réplique à
peine
modifiée de ce
que l’on
retrouve
dans la plupart des
capitales
occidentales. Vidéos,
montages ou installations au
sens
douteux, voire
incompréhensible,
ne trouvent
au Caire, pour
ainsi dire,
aucun public. Hafez
est passé par
là. Et
comme le public
égyptien
n’y trouvait pas
d’intérêt,
il a cherché
à se faire
remarquer à
l’étranger. Et les critiques
furent
bonnes, exhaustives,
parlant de « juxtaposition
du sacré
et du profane », de «
dichotomie »
ou «
d’hybridité » : des
termes-clés pour qui
cherche à
s’imposer
dans la tendance
artistique
occidentale d’aujourd’hui.
Vu de l’extérieur, Hafez
restait «
égyptien » car ses
toiles
évoquaient l’époque
pharaonique
aussi bien
que les
dernières guerres de 1967
et 1973.
Mais
en Egypte,
seule Townhouse continuait
à le
soutenir. La galerie
Massar lui
consacre
désormais une exposition,
son directeur
confiant
que « Hafez est
mieux
accepté qu’il y a
quelques
années et que le
public (égyptien)
commence à
apprécier son
œuvre avec
moins de réticences ».
Malgré
tout, la galerie
n’est pas
allée jusqu’à
présenter
ses
dernières installations ou
vidéo-montages et
s’est
contentée de ses
toiles et
d’une sculpture d’Anubis
au corps hésitant
entre celui
d’un athlète
grec et d’un
vainqueur de bodybuilding.
Ce n’est
pas encore demain
que les
galeries traditionnelles
laisseront
entrer dans
leurs murs
ces
nouvelles formes
d’expression aux accents
anglo-saxons.
Lorsque
Mohamad Ali fit venir de
France et
d’Italie quelques
grands
maîtres pour enseigner la
peinture en
Egypte, il
fallut plus d’un
demi-siècle pour
que
celle-ci « s’égyptianise
» avec Mahmoud
Saïd,
Mohamad Nagui
ou Ragheb
Ayad.
Aujourd’hui, les installations
ou vidéo-montages des
artistes égyptiens
peinent à
trouver
leur authenticité
et à
se libérer des
critères de
création occidentaux.
Et malgré
les dires de
certains critiques
européens
ou américains,
il ne
suffit pas de «
quelques
chameaux, bédouins
ou
pyramides » pour « faire
égyptien ». C’est un des
reproches
que l’on
pourrait, à
première vue, faire
à Khaled
Hafez : son
utilisation systématique
des représentations divines de
l’Egypte
ancienne. Mais
ce qui
sauve Hafez c’est son
humour, son
sarcasme, son
ironie
: les dieux
égyptiens
ne sont
là que
pour être
désacralisés, l’art
est quelque
chose de bas de gamme, de
jetable,
d’inoffensif. Le discours
de l’artiste
est bien
rodé
: si son art
est
populaire, l’artiste en
possède une
vision élaborée,
lui qui fut
critique durant de
nombreuses
années.
«
Je saute
entre les genres de la
création,
j’écris une
bande
dessinée de l’Histoire
et de ses
codes de représentation »,
évoque-t-il de
manière
énigmatique. Pour l’artiste,
une idole
ne fait
qu’en remplacer
une
autre
: nous
sommes
passés d’Anubis,
dieu
associé à la mort,
à Batman, tout de noir
vêtu. Culture pub,
société
consumériste ou
guerrière, importance
du visuel
et des logos
sont des thèmes de
prédilection de
l’artiste qui
dit
s’inspirer autant de
Jean-Michel Basquiat
que de
Hamed Nada. Khaled Hafez
est-il en train de
créer le pop art
égyptien
? Il y a des
éléments certes,
mais trop
peu de provocation. Le pop doit
choquer, tout
du moins
dans
ses débuts, et sans
demi-mesure.
Il doit
lutter
contre les milieux
artistiques
traditionnels qui refusent
de voir
l’art réduit
à un simple
produit sans autre
valeur que
son utilité.
Il lui
faut une
revendication, un
ennemi et un ensemble de
théories pour le
défendre.
Nous
sommes bien
loin de tout cela
malgré
quelques allusions dans
l’œuvre de Hafez.
L’artiste
est encore trop en
demi-teinte,
ces dieux
égyptiens
sont depuis
longtemps
désacralisés alors
que les
tabous foisonnent un
peu partout
autour de nous. Le
sacré a
changé de camp,
il
est aujourd’hui
ailleurs.
Mais il
ne faut
pas laisser
Khaled Hafez partir.
Lui,
qui semble
être apprécié
à
l’étranger, doit
maintenant
conquérir le public cairote.
A suivre.
Alban
de Ménonville