Al-Ahram Hebdo, Arts | Anubis, Sekhmet et l’art pop
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 14 au 20 avril 2010, numéro 814

 

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Arts

Peinture. En retard ou en avance, Khaled Hafez jongle entre Batman et Anubis, Darwin et les F-16. Frôlant de près l’art pop, ses œuvres s’imposent difficilement en Egypte

Anubis, Sekhmet et l’art pop 

Khaled Hafez est un artiste pop. Il est l’un de ceux qui réunissent dans une même toile la déesse Anubis, un avion F-16, une partition de musique ou l’évolution de Darwin. Chaque élément possède, dans la tête du peintre, une signification bien précise. « Darwin c’est pour le logo, dit-il, celui que l’on retrouve dans toutes les salles de classes de par le monde montrant le singe se relever pour finalement devenir homo-sapiens ». Le F-16, c’est la suite de Darwin : l’homme de l’avenir sera, pour Hafez, l’homme guerrier. Le F-16 c’est aussi pour le Moyen-Orient une région devenue symbole de guerre, une région qui fait vendre les journaux dès qu’il y a du sang, des snipers et des hélicoptères de combat qui passent à l’attaque. Hafez veut montrer tout cela, déconstruire l’imagerie populaire, la propagande, le consumérisme, Sekhmet, les jolies filles des magazines … pour arriver à une conclusion : chaque époque a ses codes et ses images, mais dans le fond rien ne change. Ou presque.

Car Hafez, indiscutablement, se place du côté des artistes cairotes qui tentent d’ouvrir une brèche dans l’art trop convenu qui régit la scène égyptienne depuis les années 1980. Cette branche d’artistes, soutenue depuis plusieurs années par la galerie Townhouse, peine pourtant à s’imposer, car ses standards de création ne sont bien souvent qu’une réplique à peine modifiée de ce que l’on retrouve dans la plupart des capitales occidentales. Vidéos, montages ou installations au sens douteux, voire incompréhensible, ne trouvent au Caire, pour ainsi dire, aucun public. Hafez est passé par . Et comme le public égyptien n’y trouvait pas d’intérêt, il a cherché à se faire remarquer à l’étranger. Et les critiques furent bonnes, exhaustives, parlant de « juxtaposition du sacré et du profane », de « dichotomie » ou « d’hybridité » : des termes-clés pour qui cherche à s’imposer dans la tendance artistique occidentale d’aujourd’hui. Vu de l’extérieur, Hafez restait « égyptien » car ses toiles évoquaient l’époque pharaonique aussi bien que les dernières guerres de 1967 et 1973. Mais en Egypte, seule Townhouse continuait à le soutenir. La galerie Massar lui consacre désormais une exposition, son directeur confiant que « Hafez est mieux accepté qu’il y a quelques années et que le public (égyptien) commence à apprécier son œuvre avec moins de réticences ».

Malgré tout, la galerie n’est pas allée jusqu’à présenter ses dernières installations ou vidéo-montages et s’est contentée de ses toiles et d’une sculpture d’Anubis au corps hésitant entre celui d’un athlète grec et d’un vainqueur de bodybuilding. Ce n’est pas encore demain que les galeries traditionnelles laisseront entrer dans leurs murs ces nouvelles formes d’expression aux accents anglo-saxons. Lorsque Mohamad Ali fit venir de France et d’Italie quelques grands maîtres pour enseigner la peinture en Egypte, il fallut plus d’un demi-siècle pour que celle-ci « s’égyptianise » avec Mahmoud Saïd, Mohamad Nagui ou Ragheb Ayad. Aujourd’hui, les installations ou vidéo-montages des artistes égyptiens peinent à trouver leur authenticité et à se libérer des critères de création occidentaux. Et malgré les dires de certains critiques européens ou américains, il ne suffit pas de « quelques chameaux, bédouins ou pyramides » pour « faire égyptien ». C’est un des reproches que l’on pourrait, à première vue, faire à Khaled Hafez : son utilisation systématique des représentations divines de l’Egypte ancienne. Mais ce qui sauve Hafez c’est son humour, son sarcasme, son ironie : les dieux égyptiens ne sont que pour être désacralisés, l’art est quelque chose de bas de gamme, de jetable, d’inoffensif. Le discours de l’artiste est bien rodé : si son art est populaire, l’artiste en possède une vision élaborée, lui qui fut critique durant de nombreuses années.

« Je saute entre les genres de la création, j’écris une bande dessinée de l’Histoire et de ses codes de représentation », évoque-t-il de manière énigmatique. Pour l’artiste, une idole ne fait qu’en remplacer une autre : nous sommes passés d’Anubis, dieu associé à la mort, à Batman, tout de noir vêtu. Culture pub, société consumériste ou guerrière, importance du visuel et des logos sont des thèmes de prédilection de l’artiste qui dit s’inspirer autant de Jean-Michel Basquiat que de Hamed Nada. Khaled Hafez est-il en train de créer le pop art égyptien ? Il y a des éléments certes, mais trop peu de provocation. Le pop doit choquer, tout du moins dans ses débuts, et sans demi-mesure. Il doit lutter contre les milieux artistiques traditionnels qui refusent de voir l’art réduit à un simple produit sans autre valeur que son utilité. Il lui faut une revendication, un ennemi et un ensemble de théories pour le défendre. Nous sommes bien loin de tout cela malgré quelques allusions dans l’œuvre de Hafez. L’artiste est encore trop en demi-teinte, ces dieux égyptiens sont depuis longtemps désacralisés alors que les tabous foisonnent un peu partout autour de nous. Le sacré a changé de camp, il est aujourd’hui ailleurs. Mais il ne faut pas laisser Khaled Hafez partir. Lui, qui semble être apprécié à l’étranger, doit maintenant conquérir le public cairote. A suivre.

Alban de Ménonville

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Jusqu’au 18 avril, de 10h30 à 21h30 (sauf le vendredi) à la galerie Massar : 157b, rue du 26 Juillet, Zamalek. Tél. : 2736 8537

 

 




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