Afrique du Sud.
Le meurtre d’un fermier blanc par des ouvriers noirs a
ravivé les tensions racistes dans un pays qui peine à
établir les fondements d’un régime égalitaire, 16 ans après
la chute de l’apartheid.
L’apartheid et ses nostalgiques refont surface
Si
l’affaire avait eu lieu dans un autre pays, elle aurait été
simplement de l’ordre d’un fait divers. Deux ouvriers
agricoles accusés du meurtre de leur employeur. Et des
motifs relatifs à une question de salaire impayé et
d’agression sexuelle. Or, en Afrique du Sud, l’affaire a une
tout autre portée. Car la victime est un néonazi blanc
évidemment et les agresseurs sont noirs. Ainsi, 16 ans après
la chute du régime raciste de l’apartheid, le meurtre
d’Eugène Terre’Blanche a fait resurgir les tensions raciales
sous-jacentes dans les zones rurales notamment, où
persistent d’effarantes inégalités. Depuis ce meurtre en
effet, les discours racistes en Afrique du Sud, émanant de
Blancs comme de Noirs, ont focalisé l’attention sur les
extrêmes à tel point d’occulter l’adhésion de la majorité à
l’idéal d’une « nation arc-en-ciel ». Le Mouvement de
résistance afrikaner (AWB), qui avait organisé de nombreux
attentats meurtriers dans les années 1990 pour empêcher la
chute de l’apartheid, est monté au créneau, ressuscitant le
mythe d’un « swart gevaar » (« danger noir » en afrikaans,
la langue des descendants des premiers colons européens),
qui avait servi d’excuse au régime raciste pour mener ses
politiques discriminatoires. « Nous encourageons nos membres
à tuer leurs attaquants. Ils ne doivent vraiment pas hésiter
parce qu’on en a marre de ces meurtres de Blancs par des
Noirs », tonnait encore ce vendredi le secrétaire général de
l’AWB, André Visagie, en marge des funérailles d’Eugène
Terre’Blanche.
Ces
funérailles ont en effet donné lieu à une véritable
manifestation digne des temps de l’apartheid. Le cercueil du
chef de l’AWB avait été recouvert d’un drapeau aux couleurs
de la formation : une croix noire rappelant la swastika
nazie, dans un cercle blanc sur fond rouge. Et la foule a
entonné l’ancien hymne de l’Afrique du Sud, datant de
l’époque de l’apartheid, alors que les véhicules de ses
partisans ont fait flotter le drapeau du régime d’apartheid
et ceux de l’AWB sur la route menant au cimetière familial.
Provocations de part et d’autre
Mêmes
provocations racistes du côté des Noirs, notamment de la
part de Julius Malema, chef du mouvement des jeunes du
Congrès national africain (ANC, parti au pouvoir), qui a
multiplié récemment les propos anti-blancs. Coutumier des
déclarations souvent agressives et aux relents racistes,
Julius Malema a franchi un nouveau pas en taxant un
journaliste de la radio britannique BBC de « salopard » doté
d’une « tendance de Blanc (...) à attaquer les Noirs ».
Julius Malema a également persisté à défendre une chanson
héritée de la lutte anti-apartheid qui appelle à « tuer les
Boers » (fermiers blancs) malgré une interdiction de la
justice. Une attitude « regrettable et inacceptable », selon
le président sud-africain Jacob Zuma, qui a annoncé cette
semaine que le parti au pouvoir allait prendre des mesures
contre le chef de son mouvement de jeunes. « La Ligue de la
jeunesse n’est pas un organisme indépendant » et doit
respecter la discipline et les valeurs de l’ANC, a déclaré
Jacob Zuma dans un communiqué. Or, elle a adopté « un
comportement et des propos complètements étrangers à la
culture de l’ANC », qui prône l’égalité entre les sexes et
les races, a-t-il jugé. Soufflant encore sur les braises,
Julius Malema a aussi apporté son soutien au président
zimbabwéen Robert Mugabe et à ses politiques anti-Blancs.
Le
meurtre d’Eugène Terre’Blanche a donc ravivé les tensions
raciales en Afrique du Sud, où la couleur de la peau reste
un facteur de divisions. Ses deux assassins, dont un mineur
de 15 ans, doivent comparaître mercredi devant le tribunal
de Ventersdorp (nord-ouest). Un procès dont l’issue est
capitale pour l’Afrique du Sud qui s’apprête à accueillir la
Coupe du monde dans deux mois. Les autorités tentent de
profiter de cette grand-messe sportive pour renforcer
l’unité entre Noirs et Blancs dans un pays qui porte encore
les séquelles de l’apartheid. Une mission difficile. Certes,
l’AWB et ses satellites idéologiques ne peuvent prétendre,
loin de là, avoir le soutien des trois millions de membres
de la communauté afrikaner et encore moins du reste des
Blancs sud-africains. Mais aujourd’hui, l’extrême droite
retrouve l’un de ses ressorts fondamentaux, celui de la
peur.
Abir
Taleb