Peine de Mort.
En
l’espace de
quelques semaines, la
Cour de cassation a
annulé
trois verdicts prononcés
dans des
procès très
médiatisés.
S’en est
engagé un
vif débat
sur une
peine que
certaines ONG
veulent tout
simplement
abolir.
Un
dossier épineux
A
chaque fois,
la décision de la
Cour de cassation
est venue
comme un choc pour l’opinion
publique. La
Cour vient
d’annuler la
peine de mort
prononcée
contre l’homme
d’affaires et
magnat de
l’immobilier, Hicham
Talaat
Moustafa, et ordonné
l’ouverture d’un nouveau
procès. Le Tribunal
pénal
l’avait condamné en
mai 2009 à
la peine
capitale. Considéré
comme l’un
des piliers
du Parti National
Démocrate (PND, au
pouvoir),
il était
accusé
d’avoir payé
à
l’ex-officier de la sécurité
d’Etat
Mohsen Al-Sokkari
deux millions de dollars
afin
d’assassiner la chanteuse
libanaise Suzanne Tamim.
Cette
dernière avait
eu une
relation intime avec
Talaat
Moustafa durant
trois ans,
qui se serait
terminée
quelques mois
avant le
meurtre.
Quelques
semaines
auparavant, la Cour
avait
annulé une
autre peine
de mort pour le meurtre de
Héba Al-Aqqad,
fille de la chanteuse
marocaine
Leïla Ghofrane, et de son
amie Nadine.
L’affaire
remonte à
novembre 2008,
lorsque les corps des
deux jeunes
filles
avaient été
retrouvés
dans un appartement de la
cité du
cheikh
Zayed, une
banlieue du
Caire.
L’enquête a révélé
que
l’auteur du crime
est un
jeune homme de 21
ans,
Mahmoud Sayed
Abdel-Hafez, avec pour mobile le
vol. La troisième affaire se
rapporte au viol
collectif
d’une femme dans le
gouvernorat de
Kafr Al-Cheikh.
Les faits
remontent à
janvier 2006,
lorsqu’un
groupe de jeunes font
irruption dans la
maison de la
victime,
ils la menacent
à l’arme
blanche et l’entraînent hors de
chez elle
dans une zone
lointaine pour la
violer.
Dans l’un des verdicts
les plus controversés, la
Cour de cassation a
annulé la
peine de mort prononcée
contre ces
jeunes par la
Cour pénale
et exigé un nouveau
procès.
La pression des
médias et de
l’opinion
publique
Au moment
où des militants des
droits de
l’homme réclament
l’abolition de la
peine de mort,
ces verdicts de la
Cour de cassation
ont soulevé
beaucoup d’interrogations au
sein de
l’opinion publique qui
s’interroge
pourquoi cette
série
d’annulations. « La peine
de mort est
une peine
très sévère
sur
laquelle il
est impossible de
revenir si
elle est
appliquée.
Dans les procès
où des
peines de mort sont
prononcées, la
loi
égyptienne stipule que le
recours en cassation
soit engagé
par le Parquet automatiquement.
La mission de la Cour
consiste
alors à
vérifier
s’il y a eu des vices de
procédures.
Mais de manière
générale, la
Cour
préfère donner
une seconde
chance à
l’accusé de manière
à éviter
toute
erreur car une
erreur est
égale à
la vie d’un innocent », souligne
le conseiller
Samir Anis, vice-président
de la Cour de cassation. En
Egypte, les
actes terroristes, les
assassinats, les viols et les
crimes liés au
trafic de drogue
sont
passibles de la peine de
mort. Au cours des
récentes
années, le nombre de
peines de mort
prononcées par les
tribunaux a
connu une
certaine augmentation. En un
seul mois
l’année
dernière, il y a
eu plus de 60
condamnations
à mort à
tel point
que des ONG l’ont
appelé « le
mois noir ».
Mohamad
Zarée,
président de l’Organisation
arabe pour la
réforme
pénale, appelle
à
l’abolition de cette
peine. «
L’expérience a montré
que
l’application de la peine
de mort n’a pas
réduit la
criminalité. Nous
appelons à
ce qu’il
y ait au
moins des garanties pour
que cette
peine ne
soit pas
utilisée de manière
abusive ou excessive »,
explique
Zarée. Dans
ce contexte,
il pense
que les
récents verdicts de la Cour
de cassation sont
justifiés. «
Dans une
affaire comme
celle de
Hicham Talaat
Moustafa ou
de cette femme qui a
été violée
par 10 individus
dans le
gouvernorat de Kafr Al-Cheikh,
les juges de la
Cour pénale
travaillent avec
une énorme
pression
psychologique sur le dos
car l’opinion
publique et les
médias sont
très hostiles aux
accusés »,
pense Mohamad
Zarée.
Selon
lui, la
condamnation à la
peine de mort de
Hicham
Moustafa visait
à absorber la
colère de
l’opinion publique. Le
juge savait
préalablement
que la Cour
de cassation allait examiner le
procès et
que la peine
pourrait
être réduite. « La
loi
égyptienne ne
punit pas de la
même
manière l’incitation au
meurtre et le
meurtre.
Dans ce
contexte et
même si les
preuves
sont contre
Hicham
Talaat Moustafa, la
peine
capitale paraît un
peu dure.
Le juge
aurait pu
opter pour les
travaux à
perpétuité.
Je crois
que le rôle
de la Cour de cassation
est très
important car elle
peut
vérifier si le
juge de la
Cour pénale
était sous
la pression de
l’opinion
publique au moment où
il a
instruit le procès »,
affirme
Mohamad Zarée.
Des lacunes en
amont
Adel
Mekki, militant des droits
de l’homme et
avocat de
l’actrice Habiba, qui a
été
condamnée à 10
ans de prison pour
avoir tué
son mari
avant d’être innocentée,
souligne un
autre point important : «
Certains procès font
l’objet de
traitements expéditifs
par la police, alors
qu’ils
requièrent plus de recherches.
Parfois et
c’est assez
fréquent, les agents de la
police ont
recours à
l’intimidation et
à la torture pour
extorquer des
aveux. Le
recours en cassation peut
fournir une
certaine
garantie contre
ce genre de
pratique ». Il explique
que sa
cliente a
été acquittée après
avoir passé 5
ans en prison. «
Nous avons
réussi à
prouver que
la police a recueilli
ses aveux
sous
l’effet de la torture », ajoute
Mekki. Et
d’expliquer que
parfois le
manque de moyens et
l’absence de
procédés
modernes et sophistiqués
pour détecter les
véritables
auteurs se fait sentir.
La police a alors
recours à
la torture comme
moyen
d’obtenir des aveux pour
clore le dossier le plus
rapidement possible. «
C’est ce
qui s’est passé par
exemple avec ma
cliente,
mais dans
d’autres
procès aussi
comme celui
de l’auteur
du massacre de Bani
Mazar, où
plusieurs
familles ont
été
retrouvées déchiquetées
et leurs
organes volés. On a
voulu
coller ce
procès à
un retardé mental
alors que
les preuves
étaient insuffisantes »,
pense Mekki.
Selon lui,
ce genre de
pratiques menace le
fonctionnement de la justice. «
Si l’on
prend une
affaire comme le viol
collectif de
cette femme
à Kafr Al-Cheikh
par un groupe de
jeunes, on se rend
compte
rapidement qu’il
est impossible de
prouver avec exactitude
quelle est
la part de responsabilité de
chacun
d’entre eux
dans le viol.
Certains de
ces jeunes
n’ont
peut-être pas participé
au viol et se sont
retrouvés
emportés par la vague. D’autres
étaient
sous l’effet de la
drogue. Le crime est certes
abominable. Mais
il est
du devoir
du tribunal de vérifier
la véracité des
procédures pour
éviter que
des innocents se trouvent
condamnés
injustement », explique
Mekki.
Mahmoud Qutry, un
ancien
policier et auteur d’un livre
sur le travail des
policiers
intitulé Confessions d’un agent de police au
royaume des
loups, partage la
même opinion. Il assure
que chaque
policier
doit traiter un certain
nombre
d’affaires durant
l’année. «
Ce nombre
ne doit
pas être
inférieur à
celui de son
prédécesseur
dans le
même poste. Le plus
simple pour achever
certains dossiers
c’est
d’extorquer des aveux. Et
là tous
les moyens
sont bons, y
compris la torture par des coups
et des chocs
électriques, en
particulier
dans les zones sensibles
du corps »,
affirme-t-il. Bref tout
un système
à revisiter.
Ola
Hamdi