Photographie.
Tabous,
interdits …
à la frontière de la
rupture, Marwa Adel
repousse les
limites et
offre le corps
à la vue.
Mais au-delà
du jeu,
il y a le
talent : à 26
ans, la
photographe s’impose
comme un des plus
grands
espoirs de la scène cairote.
« Je
te montre
mon corps
mais ne
regarde pas
! »
Des
mots qui,
comme des barbelés,
torturent le corps.
Le corps crie.
Il a mal.
C’est une
danse,
celle de la
douleur.
Une douleur
vivante qui
joue, s’amuse de
nos
faiblesses, de l’interdit
et de
l’apparence. « Elle se
penche.
Et s’écarte
la légère
étoffe qui la revêt
encore, révélant les
splendeurs d’un corps qui
brasille
comme le cristal »,
écrivait
Abou-Moutahar Al-Azdi. Le
corps est-il
depuis
toujours manipulé,
empêché par les
mots de crier
sa
détresse
? « Je
ne le
perçois que
comme une
enveloppe qui
contient un message.
Seul
ce dernier
m’intéresse »,
rétorque
Marwa Adel, 26 ans,
du talent et des combats
plein la
tête. Deux expositions,
deux succès,
la jeune
photographe a trouvé son
créneau
: « Quand
une audience attend
une chose,
il faut
lui en
montrer une
autre », lance-t-elle
avec assurance. Et
c’est vrai,
ses photos
détonnent, surprennent
par leur ambivalence,
leurs paradoxes et
leurs contradictions. Le corps
est
beau chez Marwa Adel.
Il occupe
toute la place, sans décors,
à nu,
mais il
est caché,
voilé, sans importance.
Sans importance,
mais pourtant
essentiel,
incontournable.
Malgré
le combat, il
y a de la douceur dans les
photos de Marwa.
Une envie
de saisir le corps
et de le
materner, de lui
offrir les caresses
qu’il ne
reçoit pas.
Si le corps est beau,
montrons-le
! « Pour ce
qu’il
renferme », rectifie la
photographe. Le
cercle ne
se brisera
pas : l’âme
est
décidément l’objet de
l’inquiétude. Le corps
reste le
moyen, celui qui
soulève
tant d’opposition
et
d’incompréhension.
Un
réveil
douloureux
Parmi
les (très)
jeunes artistes de la scène
cairote, Marwa Adel
est
probablement
une des plus
prometteuses.
Quand,
enfant, elle
décida de
devenir photographe,
elle était
loin de s’attendre au monde
terrible qui l’attendait.
La photo c’était
jolie,
c’était simple, c’était
drôle. En
ouvrant les portes
cachées,
Marwa a découvert
un univers
d’angoisse et de
souffrance, de
tabous mais
aussi de
problèmes techniques. « La
plupart de mes
modèles
sont des
amis ou des
membres de ma
famille. Il
est très
difficile de
trouver des
personnes qui acceptent
d’exhiber
leur corps ». A par un
danseur, Marwa
n’a pu
persuader personne de poser pour
elle. « Le corps
est
un secret », résume-t-elle,
quelque chose de personnel
qu’il est
honteux de
montrer aux yeux d’un
public inconnu.
Pourtant,
Marwa s’est
fixé des
limites. Ce
portrait de femme aux épaules
nues, aux
seins pointant
vers les bas
du cadre
restera un portrait
d’inconnue. «
J’ai effacé
les yeux pour
qu’elle
reste anonyme,
elle ne
doit pas dire qui
elle
est ».
Et cette
autre femme au corps
replié « qui
tente de
s’exprimer mais qui
n’y
parvient pas, dit
l’artiste,
cette autre femme
aussi est
inconnue, sans nom, sans
histoire ». Ainsi,
personne ne
lui
reprochera d’avoir
montré
ses
hanches. « Il y a des
règles et
je ne
peux pas les
briser ».
Alors,
Marwa trouve des
astuces pour
montrer
l’interdit. «
Cette femme-ci,
dit-elle le
sourire aux lèvres,
je l’ai
photographiée avec un maillot de
bain, puis
j’ai effacé
le maillot à
l’ordinateur.
Ensuite,
j’ai caché
son visage ». Elle ne se
reconnaîtra
pas : l’anonyme
permet de
repousser un peu plus
loin les limites
du corps secret.
Marwa
a-t-elle conscience
que ses
photos sont
une petite révolution
dans le monde de
l’art
souvent usé par
quelques artistes
omniprésents de la
quatrième
génération
? Elle, qui ne
prend son inspiration
que
d’elle-même, sait
bien que
son travail doit se
frayer un
chemin
entre les interdits
plutôt que
de chercher
à les affronter de face. Oui,
il y
a des normes, des usages
ou des codes,
mais il
y a l’art qui, sans les
briser,
vient les effleurer, les
chatouiller, les
titiller sans
outrance.
Ailleurs,
en dehors
du monde cairote,
bien sûr
c’est une
autre histoire. Le corps
est
exhibé, déjà
tant dénudé
que les
œuvres de Marwa
peuvent
sembler timides,
indécentes
presque par leur
pudeur.
Mais l’esthétisme
demeure
: Marwa
est très
loin de se contenter de
jouer avec les
interdits. «
Elle se penche.
Et s’écarte
la légère
étoffe qui la revêt
encore, révélant les
splendeurs d’un corps qui
brasille
comme le cristal ».
Mais est-ce
finalement
nécessaire de retirer la
légère
étoffe pour mieux
contempler les
splendeurs d’un
corps ?
Alban de
Ménonville