Henry Amin
Awad
n’est pas le genre
à
collectionner
pour thésauriser.
Il a sorti
du sol de
Fostat une des plus
belles séries
du
patrimoine islamique qui
étaient
menacées de disparition
et en a fait don aux musées. La
recherche et
l’histoire
sont sa passion.
Le
Collectionneur
Une
sorte de
légende entoure
l’homme.
Fostat
c’est lui.
Cette première
capitale de
l’Egypte islamique,
aujourd’hui
quartier dense et
foisonnant de vie
est bien
liée à
lui. Ce
serait le contraire
aussi Henry
Amin Awad
serait un
revenant de ces premiers temps
attaché à
ce sol. Un peu
comme Jean-Philippe Lauer et
Saqqara. On
peut toujours
s’attacher
à un lieu,
s’intégrer
à son histoire de sorte
que
l’endroit et l’homme
ne fassent
qu’un et
c’est un peu le
cas avec ce
dermatologue
grâce
auquel une
grande
partie des pièces
archéologiques se
trouvant
dans cette zone
ont pu
être
révélées et préservées.
L’Histoire
est
faite de hasard
peut-être,
du moins
à ses
débuts mais,
comme on le
dit, on croit
choisir
alors qu’on
est choisi.
Né en 1926, Henry
Amin Awad
a passé les premières années de
sa
vie au Soudan
où son père,
en tant que
fonctionnaire
du
gouvernement égyptien,
est chargé des services
postaux.
Puis, ce
fut le
retour au Caire et le
jeune Henry
choisit d’étudier la
médecine,
puis de se spécialiser en
dermatologie.
Et le voici,
en 1950, qui ouvre
une
clinique dans
ce quartier
assez
spécial qu’est
Fostat.
S’il l’est,
c’est parce
qu’il était
majoritairement
peuplé de
gens dont le travail
est
de préparer le fumier,
cet engrais
naturel
sorti du sol de
cette
région. Les sabbakhine
étaient pour la
plupart des
pauvres types, mais
travaillant le sol,
ils
trouvaient des
objets
ensevelis, parfois
ils en
connaissaient la valeur
et allaient les
vendre à
des collectionneurs.
L’un d’eux,
venu à
sa
clinique avec son
fils,
n’arrivant pas à payer
les honoraires,
lui a
offert des boîtes avec
à
l’intérieur des objets
non identifiés. Des
morceaux et
des bris de
verre. Une
révélation
? Pour Awad,
c’était un
changement important,
voire radical
dans sa
vie. Cet
idéaliste,
il l’est
bien,
travaillait dans
sa clinique
beaucoup plus pour l’intérêt de
cette population, et
désormais,
il décida
qu’il
allait acquérir
ces
artefacts aux origines
inconnues pour les
préserver
jusqu’à ce
que des
archéologues et des historiens
viennent les examiner.
Et c’est
le début d’une collection
magnifique.
Une
vocation qu’il a
découverte
ou plutôt
redécouverte.
Etre
collectionneur commence toujours
par de petites choses.
« Enfant au Soudan,
j’étais
philatéliste. J’adorais
cela et
j’ai pu
avoir une
collection très rare
que j’ai
offerte
d’ailleurs à la
Bibliothèque
d’Alexandrie ... ».
Mais
la passion de l’art a
commencé
même avant la
révélation de
Fostat. Elle le
taraudait au
Soudan et
Mohamad Naguib, qui
devint le premier
président de la
République, et
dont il
a fait connaissance
à Khartoum,
lui a fait don de quelques
objets
ainsi que de
livres
d’archéologie. Le tout,
il en a fait don
à la
Bibliothèque d’Alexandrie
« à la
mémoire de Naguib ».
Cette
civilisation
islamique
révélée pour lui
à Fostat
est
devenue
finalement sa passion. «
La civilisation
islamique
est dynamique, des
événements
différents y convergent, ce
qui est
différent des autres
civilisations.
L’archéologie
c’est
ce qui
confirme et
documente l’Histoire.
Dans
mes collections,
il y a beaucoup
d’objets qui
ont modifié
des faits
historiques ». Un regard
rêveur et
calme, très
éveillé
aussi. Il explique
que
l’historien classique Al-Maqrisi
(1364-1442), qui a écrit
sur
l’histoire de l’Egypte
depuis la
conquête arabe
jusqu’aux
Mamelouks, avait
indiqué que
les pièces de
monnaie
n’ont apparu
qu’avant le
gouverneur fatimide
Al-Hakim ; or, Awad a
découvert des
dirhams de
l’époque abbasside et
frappés à
Fostat.
Les
révélations, au-delà
de leur
valeur historique,
témoignent
d’une sorte de
quête.
C’est le
récit d’un voyage à
travers
le temps et dans un
espace au
paysage quasiment
lunaire. Des
lieux
dévastés et des monticules
que
certains secouaient pour
fabriquer le fumier,
jetant le
reste dans des terrains
vagues. Et
circulant
dans ces coins et
fouillant
dans les réduits.
Une
aventure qui paie
et qui cadre
parfois avec sa
carrière de
médecin. La révélation
qu’il juge
la plus importante
est
celle des instruments de
chirurgie de
l’époque
islamique, une collection
unique au monde dont
s’est
intéressé la Smithonian
Institution aux Etats-Unis, qui
établit
même une bourse
d’études pour les examiner et
délégua pour
ce faire
une sommité, le chef de
la section de technologie
Sami Khalaf
Hamra.
Autres
succès : un
débat dans
un congrès international au
Québec et une publication
dans le American Journal of
Surgeons (le journal américain
des chirurgiens) et des
demandes
d’exposition en France et au
Japon. Les révélations se
suivent,
elles mettent en
avant des pans
inconnus de
l’histoire égyptienne
et musulmane
et remettent en question de
nombreux
préjugés et d’établir,
entre
autres, un bilan
numismatique
du monde
musulman. En fait, le travail
d’Awad est
non seulement
historique
ou archéologique.
Il y a aussi
un labeur extraordinaire pour
nettoyer les
pièces
découvertes. Sa
persévérance et patience de
chirurgien y
jouent sans
doute un rôle.
Sorti du
bloc opératoire,
si l’on
peut dire,
il
avait fait une des plus
grandes
révélations. La plus grande
collection de pièces de
monnaie
arabo-byzantines. Une
partie de
l’Histoire perdue,
ces pièces
que les
Arabes avaient
imitées,
c’étaient le fondement
des études
sur ces
pièces à
la valeur
historique certaine.
Collectionneur
il
l’est, un
collectionneur qui ne
garde pas les
choses
jalousement, mais
souhaite les
voir à
leur place,
voir l’Histoire
élucidée,
connue du plus grand
nombre. En fait,
ce
sont les
objets découverts qui le
possèdent,
l’attirent et deviennent
une partie
de lui-même, un
trésor
qu’il maintient
dans son esprit et
sa conscience. On
parle de
musée imaginaire
que chaque
amoureux de
l’art a en
lui-même. Les
œuvres sont
en réalité
lointaines, chacune
dans
sa
galerie, mais
dans
l’imaginaire, les pavillons
et les galeries
vous
interpellent. C’est le
cas
de Henry Awad.
Même
plus, c’est
comme s’il
s’agissait des
objets
qu’il a fait naître.
Et pour
mieux s’adonner
à sa
quête
quasiment mystique, il
s’est
inscrit en 1960 à
l’université.
Mais cette
fois-ci en
tant qu’étudiant en
archéologie
islamique, et
il obtint
un diplôme. A la
même époque,
il a
fait ce que
d’autres
étudiants d’art et d’archéologie
islamiques
n’ont pas fait. En plus de la
pratique à
laquelle
il
avait accès,
il a fait don
d’une
grande partie de
sa collection aux
universités et aux
musées
égyptiens, et parfois en
dehors.
Comme le relève
Jere L.
Bachrach dans
l’introduction
du livre
Fustat Finds (les
découvertes de
Fostat)
publié par l’AUC Press,
l’aspect
échangé entre
Awad et
le milieu ambiant
était très
riche. On dirait
qu’il
vivait encore aux époques
anciennes, puisque
certaines
pièces de monnaie
historiques
étaient utilisées au
même titre
encore, sans que les
gens ne
sachent
ce qui
était
marqué dessus.
L’action
qu’il
a faite de cataloguer
puis de faire don aux
institutions spécialisées
relève donc
d’une grandeur
remarquable.
Il
a aussi
sauvé et découvert des
collections de papyrus arabes
que les habitants
utilisaient avec les
feuilles de
bananiers pour faire du
feu et
préparer le thé. «
C’était une
des plus importantes collections
de papyrus islamiques
dont le plus
ancien
contrat de mariage
datant de 91 de
l’hégire et
un hadith
du prophète »,
explique-t-il.
Des
objets qui
fascinent et qui portent parfois
interrogation ;
historiques
ou même
spirituels
à l’exemple de
ce tissu
dont
l’interprétation est
difficile à
établir et
suscite des études en
Europe et dans le monde
arabe. Il
est
illustré d’un cavalier avec une
mantille. Le cheval
est
à tête
humaine et
est en ascension vers le
ciel.
Mystérieux.
S’agit-il
d’une représentation
du voyage nocturne
du prophète
Mohamad ou
a-t-il un
autre sens
allégorique
? Awad
souligne
que les coptologues
lui donnent
un sens
chrétien.
Un
dilemme non encore
résolu mais
qui met en place les interférences
spirituelles en
Egypte. Henry
Amin Awad
a fouillé,
lui, dans
ce
microcosme
qu’est Fostat en
faisant
jaillir des centaines
d’épisodes
historiques, sociaux et
religieux.
Il a rétabli
une page
oubliée. En ceci,
il
est unique.
Ces choses
ont une
âme pour
lui, et
l’Histoire,
il la regarde avec les
yeux d’un
scrutateur qui sait
voyager avec le temps sans oublier
qu’il est
médecin
aussi, un vrai,
c’est-à-dire
très humain.
Ahmed
Loutfi