Al-Ahram Hebdo, Visages | Henry Amin Awad; Le Collectionneur
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 24 au 30 mars 2010, numéro 811

 

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Visages

Henry Amin Awad n’est pas le genre à collectionner pour thésauriser. Il a sorti du sol de Fostat une des plus belles séries du patrimoine islamique qui étaient menacées de disparition et en a fait don aux musées. La recherche et l’histoire sont sa passion.

Le Collectionneur

Une sorte de légende entoure l’homme. Fostat c’est lui. Cette première capitale de l’Egypte islamique, aujourd’hui quartier dense et foisonnant de vie est bien liée à lui. Ce serait le contraire aussi Henry Amin Awad serait un revenant de ces premiers temps attaché à ce sol. Un peu comme Jean-Philippe Lauer et Saqqara. On peut toujours s’attacher à un lieu, s’intégrer à son histoire de sorte que l’endroit et l’homme ne fassent qu’un et c’est un peu le cas avec ce dermatologue grâce auquel une grande partie des pièces archéologiques se trouvant dans cette zone ont pu être révélées et préservées. L’Histoire est faite de hasard peut-être, du moins à ses débuts mais, comme on le dit, on croit choisir alors qu’on est choisi. en 1926, Henry Amin Awad a passé les premières années de sa vie au Soudan son père, en tant que fonctionnaire du gouvernement égyptien, est chargé des services postaux. Puis, ce fut le retour au Caire et le jeune Henry choisit d’étudier la médecine, puis de se spécialiser en dermatologie. Et le voici, en 1950, qui ouvre une clinique dans ce quartier assez spécial qu’est Fostat. S’il l’est, c’est parce qu’il était majoritairement peuplé de gens dont le travail est de préparer le fumier, cet engrais naturel sorti du sol de cette région. Les sabbakhine étaient pour la plupart des pauvres types, mais travaillant le sol, ils trouvaient des objets ensevelis, parfois ils en connaissaient la valeur et allaient les vendre à des collectionneurs. L’un d’eux, venu à sa clinique avec son fils, n’arrivant pas à payer les honoraires, lui a offert des boîtes avec à l’intérieur des objets non identifiés. Des morceaux et des bris de verre. Une révélation ? Pour Awad, c’était un changement important, voire radical dans sa vie. Cet idéaliste, il l’est bien, travaillait dans sa clinique beaucoup plus pour l’intérêt de cette population, et désormais, il décida qu’il allait acquérir ces artefacts aux origines inconnues pour les préserver jusqu’à ce que des archéologues et des historiens viennent les examiner. Et c’est le début d’une collection magnifique. Une vocation qu’il a découverte ou plutôt redécouverte. Etre collectionneur commence toujours par de petites choses. « Enfant au Soudan, j’étais philatéliste. J’adorais cela et j’ai pu avoir une collection très rare que j’ai offerte d’ailleurs à la Bibliothèque d’Alexandrie ... ». Mais la passion de l’art a commencé même avant la révélation de Fostat. Elle le taraudait au Soudan et Mohamad Naguib, qui devint le premier président de la République, et dont il a fait connaissance à Khartoum, lui a fait don de quelques objets ainsi que de livres d’archéologie. Le tout, il en a fait don à la Bibliothèque d’Alexandrie « à la mémoire de Naguib ».

Cette civilisation islamique révélée pour lui à Fostat est devenue finalement sa passion. « La civilisation islamique est dynamique, des événements différents y convergent, ce qui est différent des autres civilisations. L’archéologie c’est ce qui confirme et documente l’Histoire. Dans mes collections, il y a beaucoup d’objets qui ont modifié des faits historiques ». Un regard rêveur et calme, très éveillé aussi. Il explique que l’historien classique Al-Maqrisi (1364-1442), qui a écrit sur l’histoire de l’Egypte depuis la conquête arabe jusqu’aux Mamelouks, avait indiqué que les pièces de monnaie n’ont apparu qu’avant le gouverneur fatimide Al-Hakim ; or, Awad a découvert des dirhams de l’époque abbasside et frappés à Fostat.

Les révélations, au-delà de leur valeur historique, témoignent d’une sorte de quête. C’est le récit d’un voyage à travers le temps et dans un espace au paysage quasiment lunaire. Des lieux dévastés et des monticules que certains secouaient pour fabriquer le fumier, jetant le reste dans des terrains vagues. Et circulant dans ces coins et fouillant dans les réduits. Une aventure qui paie et qui cadre parfois avec sa carrière de médecin. La révélation qu’il juge la plus importante est celle des instruments de chirurgie de l’époque islamique, une collection unique au monde dont s’est intéressé la Smithonian Institution aux Etats-Unis, qui établit même une bourse d’études pour les examiner et délégua pour ce faire une sommité, le chef de la section de technologie Sami Khalaf Hamra. Autres succès : un débat dans un congrès international au Québec et une publication dans le American Journal of Surgeons (le journal américain des chirurgiens) et des demandes d’exposition en France et au Japon. Les révélations se suivent, elles mettent en avant des pans inconnus de l’histoire égyptienne et musulmane et remettent en question de nombreux préjugés et d’établir, entre autres, un bilan numismatique du monde musulman. En fait, le travail d’Awad est non seulement historique ou archéologique. Il y a aussi un labeur extraordinaire pour nettoyer les pièces découvertes. Sa persévérance et patience de chirurgien y jouent sans doute un rôle. Sorti du bloc opératoire, si l’on peut dire, il avait fait une des plus grandes révélations. La plus grande collection de pièces de monnaie arabo-byzantines. Une partie de l’Histoire perdue, ces pièces que les Arabes avaient imitées, c’étaient le fondement des études sur ces pièces à la valeur historique certaine. Collectionneur il l’est, un collectionneur qui ne garde pas les choses jalousement, mais souhaite les voir à leur place, voir l’Histoire élucidée, connue du plus grand nombre. En fait, ce sont les objets découverts qui le possèdent, l’attirent et deviennent une partie de lui-même, un trésor qu’il maintient dans son esprit et sa conscience. On parle de musée imaginaire que chaque amoureux de l’art a en lui-même. Les œuvres sont en réalité lointaines, chacune dans sa galerie, mais dans l’imaginaire, les pavillons et les galeries vous interpellent. C’est le cas de Henry Awad. Même plus, c’est comme s’il s’agissait des objets qu’il a fait naître. Et pour mieux s’adonner à sa quête quasiment mystique, il s’est inscrit en 1960 à l’université. Mais cette fois-ci en tant qu’étudiant en archéologie islamique, et il obtint un diplôme. A la même époque, il a fait ce que d’autres étudiants d’art et d’archéologie islamiques n’ont pas fait. En plus de la pratique à laquelle il avait accès, il a fait don d’une grande partie de sa collection aux universités et aux musées égyptiens, et parfois en dehors. Comme le relève Jere L. Bachrach dans l’introduction du livre Fustat Finds (les découvertes de Fostat) publié par l’AUC Press, l’aspect échangé entre Awad et le milieu ambiant était très riche. On dirait qu’il vivait encore aux époques anciennes, puisque certaines pièces de monnaie historiques étaient utilisées au même titre encore, sans que les gens ne sachent ce qui était marqué dessus. L’action qu’il a faite de cataloguer puis de faire don aux institutions spécialisées relève donc d’une grandeur remarquable.

Il a aussi sauvé et découvert des collections de papyrus arabes que les habitants utilisaient avec les feuilles de bananiers pour faire du feu et préparer le thé. « C’était une des plus importantes collections de papyrus islamiques dont le plus ancien contrat de mariage datant de 91 de l’hégire et un hadith du prophète », explique-t-il.

Des objets qui fascinent et qui portent parfois interrogation ; historiques ou même spirituels à l’exemple de ce tissu dont l’interprétation est difficile à établir et suscite des études en Europe et dans le monde arabe. Il est illustré d’un cavalier avec une mantille. Le cheval est à tête humaine et est en ascension vers le ciel. Mystérieux. S’agit-il d’une représentation du voyage nocturne du prophète Mohamad ou a-t-il un autre sens allégorique ? Awad souligne que les coptologues lui donnent un sens chrétien.

Un dilemme non encore résolu mais qui met en place les interférences spirituelles en Egypte. Henry Amin Awad a fouillé, lui, dans ce microcosme qu’est Fostat en faisant jaillir des centaines d’épisodes historiques, sociaux et religieux. Il a rétabli une page oubliée. En ceci, il est unique. Ces choses ont une âme pour lui, et l’Histoire, il la regarde avec les yeux d’un scrutateur qui sait voyager avec le temps sans oublier qu’il est médecin aussi, un vrai, c’est-à-dire très humain.

Ahmed Loutfi

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Jalons

— Naissance au Caire le 6 novembre 1926.

Diplôme de dermatologie (faculté de médecine, Université du Caire).

Diplôme d’archéologie islamique, institut d’archéologie, Université du Caire.

Membre de la Société internationale d’histoire de la médecine (France).

Conseiller de la Société arabe d’histoire de la pharmacie.

Membre du Collège scientifique arabe (Alep).

Membre du Comité permanent des antiquités islamiques et coptes (CSA).

 




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