Al-Ahram Hebdo, Littérature | Mohamed Salmawy; Douze palmes d’or
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 17 au 23 mars 2010, numéro 810

 

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Littérature

2 éme papyrus Mêlant fiction et histoire, Mohamed Salmawy réécrit l’ambiance de l’ancienne Egypte avec vivacité. Dans le 2e de ses dix Papyrus, il relate le couronnement du guerrier virtuose Amasis, pharaon d’Egypte, qui réussit à écouter les appels du peuple.

Douze palmes d’or

Wahibraa, dit Apriès, était le quatrième pharaon de la XXVIe dynastie Saïte, lorsque le pouvoir en Egypte se tenait à Tanis à l’est du Delta. Et ce, depuis que le premier pharaon de cette dynastie, Psammétique I, réussit à libérer le pays tout à la fois du pouvoir des Assyriens et des Kouchites. Ce fut pour l’Egypte le début d’une grande renaissance nationale qui s’étendit à tous les aspects de la vie politique, militaire, religieuse et artistique.

Ceci eut lieu au XIe siècle av. J.-C. Wahibraa, dit Apriès, prit le pouvoir environ 80 ans après celui de Psammetique Ier. En cette époque, la grandeur du souverain se mesurait aux exploits politiques et artistiques qu’il avait réalisés en tant que conquérant audacieux et constructeur glorieux.

Wahibraa mena des conquêtes sur le front nord-est et renforça de ce fait la présence égyptienne en Palestine et en Phénicie pour parer aux attaques des Assyriens. Il érigea également des monuments hautement raffinés à Tanis, à l’oasis Bahariya, à Memphis et ailleurs.

Ces différentes réalisations auraient permis à Wahibraa de préserver de longues années le trône de l’Egypte, s’il n’avait pas été vaincu par les forces de Nabuchodonosor de Babel, ce qui ternit de son prestige devant les gens et fit vaciller les assises de son trône. Tout ceci l’entraîna à plus de fermeté et de répression envers son peuple. Il transforma ses victoires à l’extérieur en despotisme à l’intérieur et perdit beaucoup de l’amour et de l’allégeance que lui avait prodigué auparavant son peuple.

Arriva alors la lassitude comme conséquence à la frustration dont souffraient les gens et les troubles sévirent parmi les différentes fractions du peuple et également à l’intérieur de l’armée.

Le chef militaire Amasis, qui portait le nom du grand pharaon de la XVIIIe dynastie, qui avait vaincu les Hyksos et libéré le pays de leur emprise, dirigeait l’armée égyptienne en Nubie. Il avait ressenti de la colère pour la défaite de l’Egypte face à Babel d’autant qu’il aurait voulu que ses troupes puissent participer au combat pour contrer les attaques de Nabuchodonosor, mais sa requête fut refusée. Puis, des nouvelles du nord, ayant affaire au peuple, ne cessant de lui parvenir, ses nuits se transformèrent en d’éternelles nuits blanches.

En une nuit douce d’été, alors que Nout, déesse du ciel, avait étendu son drap noir aux étoiles étincelantes, Amasis eut une vision dont il ne savait si c’était un rêve ou une réalité. Dans son ardente colère, les instants de nuit, durant lesquels il s’endormait, se mélangèrent à ceux où il essayait en vain de retrouver le sommeil. Il était préoccupé par l’état de son pays, ce qui le gardait la nuit dans un état second entre l’éveil et le sommeil.

En cette nuit, il sembla à Amasis que les déesses l’avaient réveillé de son sommeil et qu’il se tenait devant un tribunal composé d’Osiris et de ses quarante-deux adjoints parmi les dieux. Par conséquent, il devait réciter la confession courante comme elle figurait dans le chapitre 125 du Livre des Morts :

Je n’ai pas commis le mal

Je n’ai pas maltraité les gens

Je n’ai pas blasphémé Dieu

Je n’ai pas volé les biens d’un pauvre

Je n’ai pas causé de souffrance à quiconque

Je n’ai pas causé la faim de quiconque

Je n’ai pas causé les larmes de quiconque

Je n’ai pas tué

Je n’ai pas commis l’adultère

Je n’ai pas triché dans les balances

Je n’ai pas dérobé le lait de la bouche des enfants

Je n’ai pas privé le bétail des pâturages

Je n’ai pas posé de pièges pour les oiseaux dans les jardins

Je n’ai pas pollué les eaux du Nil

Je suis pur … Je suis pur

Je suis pur … Je suis pur

Les dieux mirent le cœur d'Amasis sur un plateau de la balance et Maat, déesse du droit et de justice, mit sa plume sur l’autre plateau. Aussitôt, le plateau d'Amasis se pencha.

Pourquoi, alors qu’il avait avoué sincèrement sa pureté ?

Les dieux ne lui répondirent pas. Cependant, le dieu Thot, le scribe du Tribunal des dieux, le regarda attentivement. N’est-il pas le juge précis de la balance et celui qui innocentait le défunt de toute mauvaise action en lui promettant une intégration complète et parfaite avec Osiris, lui accordant la vie éternelle.

« Pourquoi ? », s’écria Amasis à nouveau. Thot lui dit sans parler : « Tu as négligé les affaires du pays ». « Comment ?, répondit Amasis, alors que j’ai réalisé des victoires pour mon pays et j’ai protégé ses frontières sud ? ». « Tu as négligé les affaires du nord et tu t’es bouché les oreilles quant aux voix et aux appels des foules ». Amasis fut surpris et dit : « Quels appels et quel peuple ? ». « Si tu es attentif et tu tends l’oreille, les voix te répondront … l’appel te parviendra ».

Amasis se tut et regarda autour de lui. Il ressentit comme la présence des foules autour de lui qui venaient de partout et qui l’entouraient. Les foules le fixaient.

Amasis se tourna à droite et à gauche vers la marée de gens qui se pressaient autour de lui. Pour la première fois, il entendit ces voix bourdonnantes qui montaient jusqu’à lui boucher les oreilles : « Sauve-nous de ce qui nous arrive ». Il ressentit que les voix l’élevaient vers les cimes du ciel. Il se transforma subitement en un énorme faucon en or qui s’élevait au-dessus des foules assemblées. Il dit alors comme dans le chapitre 127 du Livre des Morts : « Moi, le faucon doré, dont la longueur du dos atteint quatre pieds alors que mes ailes sont en émeraude, je quitte la loge de la barque de la nuit emmenant mon cœur vers la montagne pour atterrir sur la barque du jour. Et voilà que les dieux éternels avancent vers moi en se courbant pour m’offrir des offrandes alors que je resplendis tel un faucon à la tête de phénix ».

Amasis se réveilla subitement pour découvrir que l’obscurité avait disparu et Nout avait retiré son drap pour laisser au premier rayon du dieu Rê la latitude de remplir l’horizon. Amasis médita sur ce qui lui était arrivé et s’imagina qu’il écoutait encore les voix des gens qui l’interpellaient : « Sauve-nous de ce qui nous arrive ! ». Il ordonna aussitôt ses troupes à se préparer pour avancer vers le nord.

Dans un ancien papyrus traduit du hiéroglyphe par l’archéologue français Gaston Maspero, se trouve une très belle description du héros qui part pour le combat :

« Sur sa poitrine, sa chemise était brodée d’argent et son dos agrémenté par douze palmes d’or … Il tenait à la main une cuirasse en cuivre incrustée en son milieu de quatre épis portant le portrait de la déesse de la guerre Sekhmet … Quant à son casque, il était fait d’un mélange d’or et d’argent. Ainsi, lorsqu’il se trouverait sur la terre de combat, il éblouirait tel le soleil resplendissant ».

Amasis avança avec son armée rapidement vers le nord. Il traversait les espaces telles des vagues qu’il laissait derrière lui pour enfin atteindre Tanis. Il se battit alors contre les forces du pharaon durant trois jours et il finit par les vaincre. Il ne restait plus à Wahibraa que de fuir vers l’est en dehors du pays. Les foules élevèrent Amasis sur leurs épaules et firent de lui un pharaon. Elles l’installèrent sur le trône de la terre noire, Kemet en langue égyptienne ancienne.

Ainsi, le chef de l’armée aimé des foules devint le pharaon Amasis, qui gouverna l’Egypte depuis l’an 570 av. J.-C. jusqu’à l’an 526 av. J.-C. Bien qu’il n’ait pas été un descendant des pharaons, mais un fils de paysan dont le sang bleu ne coulait pas dans les veines.

Avec le gouvernement d'Amasis, les affaires des gens commencèrent à s’améliorer et les différents aspects de la vie à s’épanouir. Amasis réalisa des conquêtes glorieuses, spécialement dans le nord où il étendit son hégémonie sur Chypre qui servait de campement aux flottes des envahisseurs. Il érigea également des temples dans de nombreuses parties du pays et restaura le temple célèbre de Delphi à Siwa. A chaque fois qu’il partait au combat, il portait sa chemise incrustée de broderies qui lui avait valu la victoire contre Wahibraa. Ainsi, ces douze palmes en or devinrent le symbole de son époque.

Les faits historiques démontrent qu'Amasis était un roi nationaliste et aimé durant toute la période de son règne qui dura environ un demi-siècle. Quant à Wahibraa, il s’allia avec les ennemis babyloniens à l’est et revint trois années plus tard avec leurs troupes en essayant d’envahir l’Egypte et de restituer son trône. Amasis le vainquit et le tua au combat. Cependant, il ordonna de l’enterrer dans les tombeaux royaux à Tanis comme il se doit pour les pharaons d’Egypte.

Le grand historien grec Hérodote s’arrêta longuement devant la volonté du peuple égyptien qui fit accéder au trône un pharaon de son choix. Il écrivit dans ses chroniques sur Amasis que c’était un pharaon aimé, aux origines modestes, et qu’il était l’un des premiers souverains à accéder au trône grâce à la volonté populaire.

Toutefois, Amasis n’était pas de ceux qui reniaient leurs origines modestes après leur accession aux hautes sphères. Il s’efforça durant son règne à supprimer beaucoup de taxes qui pesaient sur le dos des paysans et des personnes aux revenus modestes. Durant son époque, la crue du Nil augmenta très largement, ce qui rapporta dans son sillon le bien-être pour tout le monde. En effet, la nature elle-même le secondait et bénissait son règne.

Amasis fut le premier à stipuler la loi de « Comment as-tu réussi à posséder ceci ou cela ? ». En son époque, tous et chacun devait se tenir une fois par an devant le gouverneur de la circonspection pour justifier l’argent qu’il avait acquis pendant l’année écoulée. S’il était dans l’impossibilité de le faire et qu’il n’avait pas démontré qu’il avait gagné l’argent de manière honnête, il devait se soumettre à un interrogatoire.

Néanmoins, les riches parmi les nobles, qui avaient rassemblé des richesses durant de nombreuses années, ne suivaient pas cela d’un bon œil. A tel point que lorsqu’ils venaient au palais, ils ne se départaient pas de leurs sandales comme ils avaient coutume de le faire par le passé pour Wahibraa. Lorsqu'Amasis leur reprocha ce comportement, le grand prêtre lui dit : « L’esprit du dieu Sobek, l’imposant crocodile, ne s’est pas incarné en vous ». « Et pourquoi donc ? », demanda Amasis. Le grand prêtre ne répondit pas alors que le grand noble lui jeta un regard cuisant dont l’objectif était de percer son cœur : « Votre père était un maçon et votre mère vendait de la bière qu’elle fabriquait à partir du pain fermenté ». Le roi, qui aimait bien argumenter avec son interlocuteur, répondit : « C’est en cela que réside le secret de ma force et de l’appui du peuple pour ma personne. Je connais ce peuple comme vous ne le connaissez pas ».

A la fin de l’entretien, le chef de la garde conseilla Amasis de se débarrasser des prêtres et des nobles. Il lui dit que ceci augmentera de sa popularité parmi les gens. Mais Amasis refusa en disant : « Je les vaincrai à ma manière ».

Pharaon convoqua le chef du Cabinet et lui dit : « Ce grand bassin doré placé à l’intérieur du palais … ». Le chef du Cabinet lui demanda : « Qu’en est-il Votre Majesté ? ». Amasis dit : « Qu’en faites-vous là-bas ? ». Le chef du Cabinet releva les sourcils en signe d’étonnement en disant : « Il est rempli d’eau afin que vos hôtes, Majesté, lavent leurs mains sales de la poussière du chemin et leurs pieds dégoûtants des crottes des animaux, avant de se présenter devant vous ». Amasis dit : « Il n’est pas nécessaire puisque certaines personnes refusent de l’utiliser ». Il donna l’ordre de diluer le bassin doré et demanda aux sculpteurs qui fabriquaient les statues des dieux d’en faire un énorme disque solaire qui représenterait le grand dieu Aton. Il ordonna de poser le disque dans la plus grande place de la ville. A chaque fois que les rayons du soleil l’éclairaient, il aveuglait par son éclat les yeux des gens qui se mettaient à prier et à réciter des louanges, assemblés autour de lui.

Après un certain temps, le jeune pharaon aimé du peuple se dirigea vers la place de la ville pour voir le disque doré d’Aton alors qu’il scintillait en plein jour. Il rassembla ensuite le grand prêtre et le grand noble, tous les prêtres et tous les nobles prosternés devant le grand dieu Aton. Pharaon leur dit, alors qu’il était installé sur son trône au milieu des gens, « Qu’adorez-vous ? ».

Les prêtres et les nobles se regardèrent les uns les autres, puis le Grand Prêtre dit de sa voix bourrue comme s’il préparait la prière à l’intérieur du temple : « C’est Aton, le roi des rois des dieux, le donateur de la vie, de la verdure et de la croissance ». Pharaon s’adressa au grand des nobles : « Qu’en dis-tu ? ». Il dit : « Ce que nous avons devant nous, c’est Aton, le dieu de toute vie et le dieu de la vie dernière ». « Et vous ? », dit le roi au reste des prêtres et des nobles. Ils répondirent : « C’est le dieu de tous ». Le roi quitta son trône et se dirigea vers l’endroit où se tenaient les prêtres et les nobles et leur dit devant les gens : « Ne savez-vous pas que ce disque solaire sacré était auparavant un bassin d’eau où on lavait les objets sales ? ». Le grand prêtre dit, alors que ses joues devenaient aussi rouges que les grappes des dattes qui avaient mûri au-dessus des dattiers autour d’eux : « Qu’avons-nous à faire, Majesté, de ce qui avait eu lieu par le passé ? Nous nous occupons de ce qui existe actuellement ». Et le grand noble répéta à sa suite : « Actuellement, c’est Aton dans toute sa splendeur ». Le roi fit signe au reste des prêtres et des nobles en leur disant : « Qu’en dites-vous ? ». Ils dirent : « Nous disons exactement comme eux. Il est actuellement le dieu que nous adorons ».

Le roi éleva la voix afin d’être entendu par les foules assemblées sur la place pour voir ce spectacle théâtral rare et qui ne se répétait pas tous les jours : « Vous avez raison grand prêtre, comme vous avez également raison grand noble, ainsi que tous les prêtres et les nobles ici présents ». Puis, il se dirigea vers la chaise du trône qu’ombrageaient les palmes des dattes et il y prit place en tenant de ses mains royales son sceptre, puis il dit : « C’est moi Amasis, descendant des paysans. J’étais par le passé un maçon, fils de maçon. Les dieux voulurent que je sois actuellement le pharaon d’Egypte incarnant la volonté des dieux pour protéger la vallée du Nil et prendre soin de son bienheureux peuple. Qu’en dites-vous ? Etes-vous préoccupés par ce qu’était de par le passé ou par ce qui existe actuellement ? ». Les prêtres et les nobles se turent et ne répondirent pas. Cependant, les foules qui étaient rassemblées autour d’eux se mirent à brandir dans l’air douze palmes d’or, puis les voix clamèrent le nom de celui qu’ils avaient intronisé en scandant : « Vive Amasis , le pharaon de Kemet, le roi des rois du monde ! ». Les foules répétèrent ce slogan à plusieurs reprises, ce qui poussa les prêtres et les nobles à se prosterner pieusement comme ils l’avaient fait de par le passé devant les anciens pharaons .

Traduction de Soheir Fahmi 

 




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