2 éme
papyrus Mêlant fiction et histoire,
Mohamed Salmawy
réécrit l’ambiance de l’ancienne Egypte avec vivacité. Dans
le 2e de ses dix Papyrus, il relate le couronnement du
guerrier virtuose Amasis, pharaon d’Egypte, qui réussit à
écouter les appels du peuple.
Douze
palmes d’or
Wahibraa,
dit Apriès, était le quatrième pharaon de la XXVIe dynastie
Saïte, lorsque le pouvoir en Egypte se tenait à Tanis à
l’est du Delta. Et ce, depuis que le premier pharaon de
cette dynastie, Psammétique I, réussit à libérer le pays
tout à la fois du pouvoir des Assyriens et des Kouchites. Ce
fut pour l’Egypte le début d’une grande renaissance
nationale qui s’étendit à tous les aspects de la vie
politique, militaire, religieuse et artistique.
Ceci eut
lieu au XIe siècle av. J.-C. Wahibraa, dit Apriès, prit le
pouvoir environ 80 ans après celui de Psammetique Ier. En
cette époque, la grandeur du souverain se mesurait aux
exploits politiques et artistiques qu’il avait réalisés en
tant que conquérant audacieux et constructeur glorieux.
Wahibraa
mena des conquêtes sur le front nord-est et renforça de ce
fait la présence égyptienne en Palestine et en Phénicie pour
parer aux attaques des Assyriens. Il érigea également des
monuments hautement raffinés à Tanis, à l’oasis Bahariya, à
Memphis et ailleurs.
Ces
différentes réalisations auraient permis à Wahibraa de
préserver de longues années le trône de l’Egypte, s’il
n’avait pas été vaincu par les forces de Nabuchodonosor de
Babel, ce qui ternit de son prestige devant les gens et fit
vaciller les assises de son trône. Tout ceci l’entraîna à
plus de fermeté et de répression envers son peuple. Il
transforma ses victoires à l’extérieur en despotisme à
l’intérieur et perdit beaucoup de l’amour et de l’allégeance
que lui avait prodigué auparavant son peuple.
Arriva
alors la lassitude comme conséquence à la frustration dont
souffraient les gens et les troubles sévirent parmi les
différentes fractions du peuple et également à l’intérieur
de l’armée.
Le chef
militaire Amasis, qui portait le nom du grand pharaon de la
XVIIIe dynastie, qui avait vaincu les Hyksos et libéré le
pays de leur emprise, dirigeait l’armée égyptienne en Nubie.
Il avait ressenti de la colère pour la défaite de l’Egypte
face à Babel d’autant qu’il aurait voulu que ses troupes
puissent participer au combat pour contrer les attaques de
Nabuchodonosor, mais sa requête fut refusée. Puis, des
nouvelles du nord, ayant affaire au peuple, ne cessant de
lui parvenir, ses nuits se transformèrent en d’éternelles
nuits blanches.
En une
nuit douce d’été, alors que Nout, déesse du ciel, avait
étendu son drap noir aux étoiles étincelantes, Amasis eut
une vision dont il ne savait si c’était un rêve ou une
réalité. Dans son ardente colère, les instants de nuit,
durant lesquels il s’endormait, se mélangèrent à ceux où il
essayait en vain de retrouver le sommeil. Il était préoccupé
par l’état de son pays, ce qui le gardait la nuit dans un
état second entre l’éveil et le sommeil.
En cette
nuit, il sembla à Amasis que les déesses l’avaient réveillé
de son sommeil et qu’il se tenait devant un tribunal composé
d’Osiris et de ses quarante-deux adjoints parmi les dieux.
Par conséquent, il devait réciter la confession courante
comme elle figurait dans le chapitre 125 du Livre des Morts
:
Je n’ai
pas commis le mal
Je n’ai
pas maltraité les gens
Je n’ai
pas blasphémé Dieu
Je n’ai
pas volé les biens d’un pauvre
Je n’ai
pas causé de souffrance à quiconque
Je n’ai
pas causé la faim de quiconque
Je n’ai
pas causé les larmes de quiconque
Je n’ai
pas tué
Je n’ai
pas commis l’adultère
Je n’ai
pas triché dans les balances
Je n’ai
pas dérobé le lait de la bouche des enfants
Je n’ai
pas privé le bétail des pâturages
Je n’ai
pas posé de pièges pour les oiseaux dans les jardins
Je n’ai
pas pollué les eaux du Nil
Je suis
pur … Je suis pur
Je suis
pur … Je suis pur
Les
dieux mirent le cœur d'Amasis sur un plateau de la balance
et Maat, déesse du droit et de justice, mit sa plume sur
l’autre plateau. Aussitôt, le plateau d'Amasis se pencha.
Pourquoi, alors qu’il avait avoué sincèrement sa pureté ?
Les
dieux ne lui répondirent pas. Cependant, le dieu Thot, le
scribe du Tribunal des dieux, le regarda attentivement.
N’est-il pas le juge précis de la balance et celui qui
innocentait le défunt de toute mauvaise action en lui
promettant une intégration complète et parfaite avec Osiris,
lui accordant la vie éternelle.
«
Pourquoi ? », s’écria Amasis à nouveau. Thot lui dit sans
parler : « Tu as négligé les affaires du pays ». « Comment
?, répondit Amasis, alors que j’ai réalisé des victoires
pour mon pays et j’ai protégé ses frontières sud ? ». « Tu
as négligé les affaires du nord et tu t’es bouché les
oreilles quant aux voix et aux appels des foules ». Amasis
fut surpris et dit : « Quels appels et quel peuple ? ». « Si
tu es attentif et tu tends l’oreille, les voix te répondront
… l’appel te parviendra ».
Amasis
se tut et regarda autour de lui. Il ressentit comme la
présence des foules autour de lui qui venaient de partout et
qui l’entouraient. Les foules le fixaient.
Amasis
se tourna à droite et à gauche vers la marée de gens qui se
pressaient autour de lui. Pour la première fois, il entendit
ces voix bourdonnantes qui montaient jusqu’à lui boucher les
oreilles : « Sauve-nous de ce qui nous arrive ». Il
ressentit que les voix l’élevaient vers les cimes du ciel.
Il se transforma subitement en un énorme faucon en or qui
s’élevait au-dessus des foules assemblées. Il dit alors
comme dans le chapitre 127 du Livre des Morts : « Moi, le
faucon doré, dont la longueur du dos atteint quatre pieds
alors que mes ailes sont en émeraude, je quitte la loge de
la barque de la nuit emmenant mon cœur vers la montagne pour
atterrir sur la barque du jour. Et voilà que les dieux
éternels avancent vers moi en se courbant pour m’offrir des
offrandes alors que je resplendis tel un faucon à la tête de
phénix ».
Amasis
se réveilla subitement pour découvrir que l’obscurité avait
disparu et Nout avait retiré son drap pour laisser au
premier rayon du dieu Rê la latitude de remplir l’horizon.
Amasis médita sur ce qui lui était arrivé et s’imagina qu’il
écoutait encore les voix des gens qui l’interpellaient : «
Sauve-nous de ce qui nous arrive ! ». Il ordonna aussitôt
ses troupes à se préparer pour avancer vers le nord.
Dans un
ancien papyrus traduit du hiéroglyphe par l’archéologue
français Gaston Maspero, se trouve une très belle
description du héros qui part pour le combat :
« Sur sa
poitrine, sa chemise était brodée d’argent et son dos
agrémenté par douze palmes d’or … Il tenait à la main une
cuirasse en cuivre incrustée en son milieu de quatre épis
portant le portrait de la déesse de la guerre Sekhmet …
Quant à son casque, il était fait d’un mélange d’or et
d’argent. Ainsi, lorsqu’il se trouverait sur la terre de
combat, il éblouirait tel le soleil resplendissant ».
Amasis
avança avec son armée rapidement vers le nord. Il traversait
les espaces telles des vagues qu’il laissait derrière lui
pour enfin atteindre Tanis. Il se battit alors contre les
forces du pharaon durant trois jours et il finit par les
vaincre. Il ne restait plus à Wahibraa que de fuir vers
l’est en dehors du pays. Les foules élevèrent Amasis sur
leurs épaules et firent de lui un pharaon. Elles
l’installèrent sur le trône de la terre noire, Kemet en
langue égyptienne ancienne.
Ainsi,
le chef de l’armée aimé des foules devint le pharaon Amasis,
qui gouverna l’Egypte depuis l’an 570 av. J.-C. jusqu’à l’an
526 av. J.-C. Bien qu’il n’ait pas été un descendant des
pharaons, mais un fils de paysan dont le sang bleu ne
coulait pas dans les veines.
Avec le
gouvernement d'Amasis, les affaires des gens commencèrent à
s’améliorer et les différents aspects de la vie à
s’épanouir. Amasis réalisa des conquêtes glorieuses,
spécialement dans le nord où il étendit son hégémonie sur
Chypre qui servait de campement aux flottes des
envahisseurs. Il érigea également des temples dans de
nombreuses parties du pays et restaura le temple célèbre de
Delphi à Siwa. A chaque fois qu’il partait au combat, il
portait sa chemise incrustée de broderies qui lui avait valu
la victoire contre Wahibraa. Ainsi, ces douze palmes en or
devinrent le symbole de son époque.
Les
faits historiques démontrent qu'Amasis était un roi
nationaliste et aimé durant toute la période de son règne
qui dura environ un demi-siècle. Quant à Wahibraa, il
s’allia avec les ennemis babyloniens à l’est et revint trois
années plus tard avec leurs troupes en essayant d’envahir
l’Egypte et de restituer son trône. Amasis le vainquit et le
tua au combat. Cependant, il ordonna de l’enterrer dans les
tombeaux royaux à Tanis comme il se doit pour les pharaons
d’Egypte.
Le grand
historien grec Hérodote s’arrêta longuement devant la
volonté du peuple égyptien qui fit accéder au trône un
pharaon de son choix. Il écrivit dans ses chroniques sur
Amasis que c’était un pharaon aimé, aux origines modestes,
et qu’il était l’un des premiers souverains à accéder au
trône grâce à la volonté populaire.
Toutefois, Amasis n’était pas de ceux qui reniaient leurs
origines modestes après leur accession aux hautes sphères.
Il s’efforça durant son règne à supprimer beaucoup de taxes
qui pesaient sur le dos des paysans et des personnes aux
revenus modestes. Durant son époque, la crue du Nil augmenta
très largement, ce qui rapporta dans son sillon le bien-être
pour tout le monde. En effet, la nature elle-même le
secondait et bénissait son règne.
Amasis
fut le premier à stipuler la loi de « Comment as-tu réussi à
posséder ceci ou cela ? ». En son époque, tous et chacun
devait se tenir une fois par an devant le gouverneur de la
circonspection pour justifier l’argent qu’il avait acquis
pendant l’année écoulée. S’il était dans l’impossibilité de
le faire et qu’il n’avait pas démontré qu’il avait gagné
l’argent de manière honnête, il devait se soumettre à un
interrogatoire.
Néanmoins, les riches parmi les nobles, qui avaient
rassemblé des richesses durant de nombreuses années, ne
suivaient pas cela d’un bon œil. A tel point que lorsqu’ils
venaient au palais, ils ne se départaient pas de leurs
sandales comme ils avaient coutume de le faire par le passé
pour Wahibraa. Lorsqu'Amasis leur reprocha ce comportement,
le grand prêtre lui dit : « L’esprit du dieu Sobek,
l’imposant crocodile, ne s’est pas incarné en vous ». « Et
pourquoi donc ? », demanda Amasis. Le grand prêtre ne
répondit pas alors que le grand noble lui jeta un regard
cuisant dont l’objectif était de percer son cœur : « Votre
père était un maçon et votre mère vendait de la bière
qu’elle fabriquait à partir du pain fermenté ». Le roi, qui
aimait bien argumenter avec son interlocuteur, répondit : «
C’est en cela que réside le secret de ma force et de l’appui
du peuple pour ma personne. Je connais ce peuple comme vous
ne le connaissez pas ».
A la fin
de l’entretien, le chef de la garde conseilla Amasis de se
débarrasser des prêtres et des nobles. Il lui dit que ceci
augmentera de sa popularité parmi les gens. Mais Amasis
refusa en disant : « Je les vaincrai à ma manière ».
Pharaon
convoqua le chef du Cabinet et lui dit : « Ce grand bassin
doré placé à l’intérieur du palais … ». Le chef du Cabinet
lui demanda : « Qu’en est-il Votre Majesté ? ». Amasis dit :
« Qu’en faites-vous là-bas ? ». Le chef du Cabinet releva
les sourcils en signe d’étonnement en disant : « Il est
rempli d’eau afin que vos hôtes, Majesté, lavent leurs mains
sales de la poussière du chemin et leurs pieds dégoûtants
des crottes des animaux, avant de se présenter devant vous
». Amasis dit : « Il n’est pas nécessaire puisque certaines
personnes refusent de l’utiliser ». Il donna l’ordre de
diluer le bassin doré et demanda aux sculpteurs qui
fabriquaient les statues des dieux d’en faire un énorme
disque solaire qui représenterait le grand dieu Aton. Il
ordonna de poser le disque dans la plus grande place de la
ville. A chaque fois que les rayons du soleil l’éclairaient,
il aveuglait par son éclat les yeux des gens qui se
mettaient à prier et à réciter des louanges, assemblés
autour de lui.
Après un
certain temps, le jeune pharaon aimé du peuple se dirigea
vers la place de la ville pour voir le disque doré d’Aton
alors qu’il scintillait en plein jour. Il rassembla ensuite
le grand prêtre et le grand noble, tous les prêtres et tous
les nobles prosternés devant le grand dieu Aton. Pharaon
leur dit, alors qu’il était installé sur son trône au milieu
des gens, « Qu’adorez-vous ? ».
Les
prêtres et les nobles se regardèrent les uns les autres,
puis le Grand Prêtre dit de sa voix bourrue comme s’il
préparait la prière à l’intérieur du temple : « C’est Aton,
le roi des rois des dieux, le donateur de la vie, de la
verdure et de la croissance ». Pharaon s’adressa au grand
des nobles : « Qu’en dis-tu ? ». Il dit : « Ce que nous
avons devant nous, c’est Aton, le dieu de toute vie et le
dieu de la vie dernière ». « Et vous ? », dit le roi au
reste des prêtres et des nobles. Ils répondirent : « C’est
le dieu de tous ». Le roi quitta son trône et se dirigea
vers l’endroit où se tenaient les prêtres et les nobles et
leur dit devant les gens : « Ne savez-vous pas que ce disque
solaire sacré était auparavant un bassin d’eau où on lavait
les objets sales ? ». Le grand prêtre dit, alors que ses
joues devenaient aussi rouges que les grappes des dattes qui
avaient mûri au-dessus des dattiers autour d’eux : «
Qu’avons-nous à faire, Majesté, de ce qui avait eu lieu par
le passé ? Nous nous occupons de ce qui existe actuellement
». Et le grand noble répéta à sa suite : « Actuellement,
c’est Aton dans toute sa splendeur ». Le roi fit signe au
reste des prêtres et des nobles en leur disant : « Qu’en
dites-vous ? ». Ils dirent : « Nous disons exactement comme
eux. Il est actuellement le dieu que nous adorons ».
Le roi
éleva la voix afin d’être entendu par les foules assemblées
sur la place pour voir ce spectacle théâtral rare et qui ne
se répétait pas tous les jours : « Vous avez raison grand
prêtre, comme vous avez également raison grand noble, ainsi
que tous les prêtres et les nobles ici présents ». Puis, il
se dirigea vers la chaise du trône qu’ombrageaient les
palmes des dattes et il y prit place en tenant de ses mains
royales son sceptre, puis il dit : « C’est moi Amasis,
descendant des paysans. J’étais par le passé un maçon, fils
de maçon. Les dieux voulurent que je sois actuellement le
pharaon d’Egypte incarnant la volonté des dieux pour
protéger la vallée du Nil et prendre soin de son bienheureux
peuple. Qu’en dites-vous ? Etes-vous préoccupés par ce
qu’était de par le passé ou par ce qui existe actuellement ?
». Les prêtres et les nobles se turent et ne répondirent
pas. Cependant, les foules qui étaient rassemblées autour
d’eux se mirent à brandir dans l’air douze palmes d’or, puis
les voix clamèrent le nom de celui qu’ils avaient intronisé
en scandant : « Vive Amasis , le pharaon de Kemet, le roi
des rois du monde ! ». Les foules répétèrent ce slogan à
plusieurs reprises, ce qui poussa les prêtres et les nobles
à se prosterner pieusement comme ils l’avaient fait de par
le passé devant les anciens pharaons .
Traduction de Soheir Fahmi