Mona El Baradei
est directrice exécutive du Conseil national égyptien de la
compétitivité (ENCC). Elle fait le point sur les faiblesses
de l’économie égyptienne et expose les secteurs à développer
pour rendre le pays plus concurrentiel sur le plan
international.
«
Notre première priorité est l’augmentation du rendement des
ressources humaines »
Al-Ahram
Hebdo : Comparée aux autres pays de la région, comment la
crise mondiale a-t-elle influencé l’économie égyptienne ?
Mona
ElBaradei :
La crise
a touché la majorité des secteurs de l’économie égyptienne,
puisqu’elle a réduit la demande locale et internationale, ce
qui a fait baisser les chiffres d’affaires de la plupart des
sociétés. Mais l’impact de la crise est vraiment très léger
par rapport aux autres pays de la région, comme ceux du
Golfe. Ainsi, la crise a soutenu la position de l’Egypte en
matière de compétitivité dans le rapport égyptien sur la
compétitivité pour l’année 2009/2010. Pour la première fois,
en raison du recul de plusieurs pays, le classement de
l’Egypte avance pour occuper la 70e place sur 133 pays,
contre 81 sur 134 pays en 2008. Le classement repose sur
douze fondamentaux. Malheureusement, l’Egypte n’a connu
aucune amélioration de ces fondamentaux, aucun secteur n’a
vu sa performance consolidée. De manière générale et en
raison de la mondialisation, aucun pays n’est à l’abri de
l’impact de la crise mondiale. Par conséquent, les décisions
doivent être prises non seulement pour traiter les problèmes
actuels, mais aussi pour remédier aux inefficacités
structurelles, en tenant compte des effets à plus long terme,
afin d’être plus résistant aux crises futures.
—
Pourquoi estimez-vous que l’Egypte n’est pas immune face aux
crises futures ?
—
L’Egypte est malheureusement précédée par presque tous les
pays de la région, elle occupe une position très retardée et
est suivie par Djibouti. La raison de ce retard revient à la
défaillance dans les politiques macroéconomiques adoptées
par le gouvernement, ayant mené au recul de tous les indices
économiques. En fait, la stabilité de la politique
macroéconomique représente le critère le plus détérioré en
2009/2010 pour l’Egypte. Elle arrive en 128e place sur un
total de 133. Trois facteurs sont responsables : le niveau
élevé de l’inflation en 2009, la hausse du déficit
budgétaire et une énorme dette gouvernementale. Et pour
résoudre toutes ces lacunes, il faut vraiment une révision
sérieuse des politiques macroéconomiques. De plus, il faut
une intervention de l’Etat pour resserrer la corruption
administrative ainsi que la bureaucratie.
—
Comment proposez-vous de réduire la corruption ?
— Il
faut rendre plus effectif le rôle du ministère du
Développement administratif, c’est la seule solution pour
contrer la bureaucratie. Et cela, en facilitant l’obtention
de licences ou d’autorisations. Cependant, la corruption
reste un trait principal du système administratif égyptien.
C’est l’une des causes de la détérioration de notre
classement en matière de bureaucratie, nous sommes passés à
la 70e place en 2009/2010 contre 57 et 51 les deux années
précédentes.
— Parmi
les problèmes structurels de l’Egypte, viennent en tête le
chômage et la baisse de la productivité. Comment remédier à
ces faiblesses ?
— Le
fondamental de l’efficacité du marché de la main-d’œuvre
représente le deuxième défi entravant la compétitivité du
marché égyptien. En effet, le marché de l’emploi souffre
d’un déséquilibre entre ses besoins pour certaines
compétences de diplômés et leurs vraies capacités à se
développer. Là, l’Egypte arrive en queue de la liste (126
sur 133). Les programmes éducatifs doivent être mis à jour
annuellement pour remédier à ce déséquilibre afin de pouvoir
emboîter le pas aux standards des marchés internationaux.
L’Egypte a besoin aussi d’accéder à une technologie plus
moderne dans le système éducatif. D’ailleurs, l’éthique de
travail, de développement personnel, de ponctualité et du
sérieux ainsi que l’excellence dans l’exécution sont
également des domaines très à développer dans les ressources
humaines égyptiennes. Il faut également un dialogue ouvert
entre les experts économiques, les représentants du secteur
privé, les décideurs, les institutions de la société civile
et les organisations internationales pour développer de
nouvelles politiques nationales qui contribuent efficacement
à la réforme des systèmes d’éducation et de formation en
Egypte.
— Que
manque-t-il au secteur de l’enseignement pour qu’il soit
compétitif ?
—
L’enseignement en Egypte souffre d’un manque de ressources
et de financement. La part de l’enseignement scolaire pour
le primaire, préparatoire et secondaire dans le budget ne
dépasse pas les 27,9 milliards de L.E. Les familles
égyptiennes dépensent la moitié de cette somme pour les
leçons particulières. Les besoins d’un enseignement
universitaire moderne ne sont pas mieux servis. Donc, le
budget attribué à l’enseignement est médiocre, devant être
doublé ou même triplé. Pour comparer, la part actuelle d’un
écolier égyptien du primaire est de quelque 280 dollars
annuels. Ce chiffre est de 855 dollars pour la Jordanie, 1
552 dollars en Malaisie et monte à 5 832 dans les pays de
l’Organisation de Coopération et de Développement Economique
(OCDE). La part d’un étudiant universitaire est de 12 000
dollars annuels, tandis que celle de son homologue dans les
pays de l’OCDE est du double. L’Egypte a besoin de créer
plus de 40 grandes universités pour accueillir chacune 50
000 étudiants, et des milliers d’écoles. Il faut assurer un
enseignement gratuit en faveur des catégories pauvres et
démunies. Les expériences des pays voisins, comme la
Turquie, doivent nous inspirer. Ce pays a récemment financé
la hausse du montant alloué à l’enseignement afin de
construire 150 universités grâce à la diminution du budget
de la défense.
—
L’économie égyptienne possède des sources de croissance
assez variées. Quel est le secteur avec la plus mauvaise
performance ?
—
L’agriculture souffre de négligence et de manque de
stratégie de la part du gouvernement. Bien qu’il soit le
secteur le plus important pour réduire la pauvreté. Je
considère que la négligence de son développement a été une
énorme erreur. Employant plus de 17 % de la main-d’œuvre
égyptienne, il peut être un catalyseur du développement
industriel. Son énorme potentiel peut grandement aider à
promouvoir l’économie égyptienne et améliorer sa
compétitivité. L’ENCC a mené en 2009 une analyse SWOT
(Strenghs, Weaknesses, Opportunities and Threats) du
secteur. Elle sert à évaluer les points forts, les
faiblesses, les opportunités et les menaces d’un secteur. La
rationalisation des eaux d’irrigation et la fragmentation
des terrains sont considérées comme les principales lacunes
de ce secteur. Ce qui a mené l’ENCC à étudier comment
contrecarrer ces défis. Et ce, à travers un dialogue qui
comprend des experts, des représentants d’entreprises
privées et publiques, les décideurs et la société civile.
—
Certains affirment que le concept de la compétitivité nous
noie dans les classements. Qu’en dites-vous ?
—
L’objectif principal de l’ENCC est d’être un outil de
sensibilisation pour le peuple et de fournir des
recommandations aux décideurs politiques. Nos indicateurs de
compétitivité ont montré que le manque de compétitivité du
marché du travail et de l’éducation affecte tous les autres
aspects de l’économie. Par conséquent, notre première
priorité est l’augmentation du rendement des ressources
humaines. C’est pour cela que l’ENCC a créé le Conseil
subsidiaire de la compétitivité des ressources humaines.
Nous avons également créé celui du tourisme et de
l’agriculture pour résoudre les problèmes auxquels sont
confrontés ces secteurs. La définition la plus simple de la
compétitivité par le Forum économique mondial en 2008 est la
suivante : l’ensemble de facteurs, politiques et
institutions qui déterminent le niveau de productivité d’un
pays et, par conséquent, déterminent son niveau de
prospérité.
—
Comment le gouvernement reçoit-il vos critiques ?
— Au
début, ce n’était pas facile pour les Egyptiens d’absorber
les indicateurs d’alerte et de chiffres que l’ENCC fournit.
Ils doutaient de la validité des chiffres et de
l’objectivité des résultats recommandés par le Forum
économique mondial. Notre réponse a été que ces chiffres
sont basés sur des études et des analyses. Le Forum
économique mondial ne peut pas privilégier 133 autres pays.
Et en fin de compte, je crois que les classements que
présente l’ENCC devraient être utilisés comme indicateurs de
notre performance et pour savoir où nous nous situons dans
le monde.
— Quelle
est la plus grande réussite de l’ENCC à ce jour sur le
chemin du développement de l’Egypte ?
— En
septembre dernier, le premier ministre, Ahmad Nazif, a
chargé l’ENCC d’élaborer une stratégie de développement de
la compétitivité des différents secteurs de l’économie
égyptienne. Ce qui mène l’ENCC à marier les stratégies des
différents ministères pour parvenir, d’ici au mois de
septembre prochain, à définir cette stratégie qui proposera
de classifier les différents gouvernorats selon leur
compétitivité. Je rêve d’un réseau de conseils de
compétitivité dans la région arabe. Ma vision pour l’ENCC
est d’avoir un impact majeur avec des recommandations qui
sont largement acceptables et pouvant être adoptées aussi
bien par le gouvernement que les organisations civiles.
Propos recueillis par Dahlia Réda