Assouan.
Un mois et demi après les pluies
torrentielles qui ont frappé ce gouvernorat, les
sinistrés souffrent toujours des répercussions. Des tentes
et des décombres entourées des
sans-abris forment un paysage de désastre à la région
d’Aboul-Rich. Et ce, malgré le
flux des donations. Reportage dans une des zones les plus
affectées.
Torrents et bureaucrates se
donnent la main
Aboul-rich,
à environ 4 km de la ville d’Assouan, scènes
désolantes : des tentes sont
installées, des décombres des maisons effondrées ou abîmées
jonchent les lieux, des restes de meubles cassés et jetées
ici et là. C’est cela le décor des lieux
où les sans-abris appellent chaque visiteur au secours.
Plus
d’un mois et demi après la
catastrophe, les habitants de cette région du gouvernorat
d’Assouan la plus touchée par les pluies diluviennes vivent
toujours dans la misère. Il
suffit de mettre les pieds à Cheikh Ali, un village, pour
être accueilli par des femmes et des hommes qui viennent
s’interroger sur leur sort. Des hommes au chômage forcé, des
élèves qui ne vont plus à l’école et
des femmes qui essayent de s’adapter à un quotidien
complètement bouleversé.
« Nous
avons tout perdu, nos habitations, nos meubles, notre or,
tout. Nous attendons d’avoir un toit qui nous protège du
froid de la nuit et de la chaleur du jour », s’indigne Hagga
Gamea, dont la vie et celles de
ses 4 filles et de leurs familles ont été bouleversées par
les pluies torrentielles. Elle ne cesse de montrer avec
amertume l’emplacement de sa
maison et les quelques pièces de meubles qui ont fait leur
apparition après l’évacuation des eaux. Elle répète comme
tous ses voisins : « Au lieu de
nous ramener des cartons de nourriture, qu’ils nous
apportent des briques pour reconstruire nos maisons ». Veuve
depuis plus de 13 ans, Gamea est
la responsable d’une grande famille formée de 4 filles
mariées et d’un garçon qui se prépare au mariage. Une des
familles nombreuses de la région qui menait
un train de vie paisible et où
les hommes exercent des métiers saisonniers dans la
construction ou la peinture des bâtiments, cultivent la
terre ou sortent avec le bétail. Des membres des tribus de
Ababda et Bécharia qui vivent au
jour le jour et se contentent de partager en famille de
vastes maisons en pisé, mais aussi le gagne-pain quotidien.
Lorsque l’eau des torrents est
arrivée, elle a presque tout inondé. Il
fallait sauver les âmes en laissant les habitations, les
biens et même le bétail. Le temps passe, l’eau s’est retirée,
le climat a retrouvé son calme, mais la vie des gens reste
bouleversée. Ces habitants
étaient au centre des intérêts et faisaient la une des
journaux les quelques jours qui ont suivi les inondations.
Des visites officielles ont afflué, dont
celle du chef de l’Etat qui a donné ses directives
pour compenser les victimes. Une somme
de 25 000 L.E. sera allouée à chaque famille touchée par
cette catastrophe naturelle afin de reconstruire leurs
maisons ou réparer les dégâts causés par les inondations,
a-t-on promis. Des compensations de la part du ministère des
Affaires sociales étaient prévues, des millions en donation
des quatre coins de l’Egypte, et
même des pays arabes, ont été offerts en faveur des zones
sinistrées.
Toujours
dans les ruines
Cependant, les sinistrés vivent toujours dans les décombres.
« Ce sont les bénévoles de la banque de l’alimentation qui
persistent à venir nous offrir des mets, ceux de
l’association d’Al-Ormane offrent du bétail, quelques
familles ont eu droit à une compensation de 1 000 à 5 000
L.E. parfois, mais personne ne nous parle de nos habitations
démolies », explique Fatma Eissa, qui essaye chaque jour
d’utiliser la hache pour se débarrasser des gravats, avec
l’espoir d’avoir un espace pour protéger ses filles sous le
toit de la maison à moitié détruite. « Je compte
reconstruire ma maison en béton, briques et fer avec une
certaine hauteur pour éviter qu’elle soit inondée par les
eaux », dit Fatma, qui rêve comme tous les habitants de la
région de retrouver une vie normale. Nabil Awadallah espère
avoir une nouvelle maison comme celle
qu’il possédait et qui a été engloutie par les eaux. « Je ne
prétends pas avoir habité dans une villa, c’était une
modeste habitation qui rassemblait et
protégeait mes enfants. Aujourd’hui, en
passant le jour et la nuit sous les tentes, ils tombent
souvent malades », explique le père.
Et les
millions de L.E. promises ?
Walaa,
nouvelle mariée, portant le noir après l’effondrement de
sa maison et aussi la mort de son
père, raconte qu’elle a tout perdu, alors qu’elle continue
de verser les crédits pour des meubles qui ne servent plus à
rien. « Tout ce que je veux,
c’est d’avoir droit à un logement pour me protéger », dit la
jeune femme, dont le mari ne va pas au travail comme
beaucoup d’autres hommes du village pour ne pas laisser
leurs femmes dans la rue. Et tout le monde s’interroge où
sont les millions de L.E. que les gens ont versées pour
eux ?
Moustapha Al-Sayed, gouverneur d’Assouan, dit avoir tout
fait pour aider les sinistrés. « 1 000 L.E.
et une couverture ont été
distribuées à chaque famille. Nous avons organisé des
comités pour bien déterminer les dégâts de chaque maison.
Les gens dont les maisons ont été complètement détruites
auront droit à un nouveau
logement ou 25 000 L.E. pour reconstruire leur maison à la
même place au cas où le lieu est considéré sécurisé, loin du
ravin. Ceux dont les maisons jugées par les membres du
comité comme partiellement démolies
ont droit à 5 000 L.E. pour les réparations, et les
moins affectés auront droit à 1 000 L.E. pour compenser les
pertes », explique le gouverneur, en ajoutant que 400
maisons sont en construction dans la région d’Al-Aeqab et
700 autres à Al-Alaqi par l’ingénieur Mamdouh Hamza grâce
aux 27 millions de dons. Mais ça prendra du temps, rétorque
le gouverneur. Il se justifie en
disant qu’il a demandé aux sinistrés d’habiter
temporairement dans des maisons construites dans la région
d’Al-Sadaqa al-guédida mais ils ont refusé de quitter leur
région. « Que puis-je leur faire ?
», s’interroge-t-il, tout en ajoutant : « à condition que
leurs maisons soient complètement démolies ! ».
Des
déclarations officielles qui semblent parler d’autres
sinistrés comme l’explique le jeune Hassan Hussein.
« Personne ne nous a proposé d’aller
occuper les habitations d’Al-Sadaqa al-guédida. Nous
sommes jetés dans la rue et des
membres des comités viennent de temps en temps pour jeter un
coup d’œil sur les décombres des maisons afin de les classer
suivant leur point de vue », explique Hassan.
En fait,
les comités ont répertorié les maisons qui ont subi des
dégâts, leur nombre s’élève à 2 255 dont 1 101 ont été
complètement démolies et 1 154
présentent des fissures. Ce sont les
familles dont les maisons ont été les moins affectées, selon
les critères des comités, qui ont commencé à toucher leurs
compensations.
Des
jugements injustes, comme l’explique un
bon nombre d’habitants de la région dont les maisons
risquent de s’effondrer sur la tête de leurs enfants ou sont
tombées en ruine tandis que le comité les considère
réparables.
Neama,
qui passe ses jours dans la tente
devant sa maison dont les murs n’ont pas résisté au violent
déluge, dit que le comité a jugé sa maison comme étant
partiellement endommagée. Le membre du comité
est repassé afin de jeter un
autre coup d’œil. Il explique que les membres du comité qui
sont passés quelques jours après les inondations ont
considéré la maison partiellement
endommagée !
En
attendant les âmes charitables
Et
la dame accusée d’avoir provoqué elle-même l’effondrement du
reste de sa maison s’interroge après s’être résignée sur
cette décision du comité. « Bon, je vais me débrouiller avec
l’aide des âmes charitables pour reconstruire ma maison,
mais ai-je le droit de le faire dans le même
endroit ? Ou d’autres personnes
viendront me dire que c’est un lieu dangereux et qu’il
faudra la démolir ? », dit la
dame qui tient, comme beaucoup d’autres habitants, à rester
dans sa région d’origine.
Cependant, elle ne trouve pas de
réponses à beaucoup de questions.
Un état d’embarras et d’inquiétude amplifie la misère
des sinistrés d’Aboul-Rich qui se sentent marginalisés, des
laissés-pour-compte. « Est-ce qu’ils vont nous emmener
habiter dans d’autres maisons au village d’Al-Alaqi
? C’est très loin de nos écoles
et de la ville d’Assouan. Ce sera difficile de nous
adapter », dit Amira, en troisième année scolaire
et qui n’arrive pas à poursuivre
ses études à cause de cet état d’instabilité. Aller vivre
ailleurs n’est pas une question facile pour la plupart des
gens de la région, comme l’explique
Hassan, qui travaille à l’aéroport d’Assouan et qui pense
qu’à Cheikh Ali, c’est beaucoup plus près de son travail.
Cependant, il explique que si ce
déménagement est appliqué pour tout le monde, alors les gens
vont se résigner. « Il suffit de sentir qu’il y a une
justice qui règne, sinon, pourquoi certaines habitations
peuvent rester sur place tandis que d’autres maisons sont
jugées dangereuses ? »,
s’interroge Hassan. Des décisions injustes qui font que
beaucoup d’habitants portent plainte devant le Parquet parce
que les comités ont jugé qu’ils n’avaient pas droit à des
compensations, comme dans le cas
de Taher Sélim et ses enfants. Il
assure qu’il vivait avec sa grande famille dans la région de
Zirzara, au pied de la montagne, et les torrents d’eau ont
démoli sa grande maison. Selon le comité, c’était
un lieu de stockage et non une
habitation. Selon le gouverneur, beaucoup de gens sont des
escrocs et veulent exploiter
cette occasion pour avoir droit à un logement ou à une
compensation. « D’autres ont détruit leurs maisons
et viennent nous demander des
compensations pour les dégâts qu’ils ont subis », explique
Al-Sayed, en justifiant le fait de ne pas verser toute la
somme des compensations aux sinistrés pour la reconstruction
de leur maison en disant qu’ils utiliseront l’argent pour se
marier ou fumer du bango. « Elle sera
versée en plusieurs étapes sous la surveillance des
responsables du projet Ibni beitak », assure-t-il.
Des
accusations qui blessent les sinistrés d’Aboul-Rich qui
s’interrogent : « Comment oser
penser au mariage ou à fumer du bango alors que nos mères et
nos femmes sont dans la rue ? ». Et d’ajouter avec
amertume : « C’est un scandale.
Il aurait mieux valu mourir sous les
violents torrents que de perdre le satr (protection de Dieu
et de nos maisons) ».
Doaa
Khalifa