Dans un
texte inédit Dix papyrus égyptiens,
Mohamed Salmawy
revient sur l’histoire de l’Egypte ancienne, laissant libre
cours à son imaginaire, tout en se fondant sur des faits
historiques réels.
Ce
qu’avait dit la lune
Ménès le
grand, dont le nom revient également dans les écritures
anciennes sous le nom de Narmer, est le premier à avoir
unifié la Haute et la Basse Egypte en l’an 3100 av. J.-C. et
à fonder la première dynastie de l’Egypte. Pourtant,
l’histoire de l’Egypte ne débute pas avec la dynastie de
Ménès, mais 2400 ans avant avec l’époque prédynastique.
Après
l’époque de Ménès, 900 ans environ plus tard, à la fin de la
sixième dynastie, l’Egypte était gouvernée par un vieux
pharaon, le roi Pépi II qui accéda au trône après la mort de
son demi-frère Mérenrê. Mais alors que le pouvoir de Mérenrê
ne dura que neuf années, celui de Pépi II se prolongea plus
de 90 ans. Ce dernier se fit vieux et devint de plus en plus
faible, ne quittant plus son palais et ne sachant rien des
affaires des gens, alors que sa cour gouvernait en son nom.
L’Egypte vivait alors une période de troubles et de
turbulences, durant lesquels des révolutions éclataient et
des envahisseurs menaçaient ses frontières est.
Cependant, Ipo Our, grand trésorier du Royaume et l’un des
hommes les plus fidèles au trône, était touché par cette
situation. Il revoyait l’histoire grandiose de l’Ancien
empire, durant laquelle les pharaons avaient érigé les
pyramides qui avaient transcendé les temps, comme ne
l’avaient fait aucun autre monument sorti des mains des
hommes et qui avaient réalisé pour l’Egypte gloire et
éternité.
A chaque
fois qu’Ipo Our voyait la pyramide de Khéops Le Grand,
érigée en 2700 av. J.-C., son cœur se fendait de peine pour
l’état du pays qui avait été envahi par les crises
économiques et les conflits sociaux, mais il ne savait que
faire. Il était tiraillé par les insomnies. Il se levait la
nuit, arpentant sa chambre de long en large, angoissé et
apeuré qu’il était par ce qui pouvait advenir à l’Egypte si
les choses suivaient leur cours.
Dans une
nuit sombre, Ipo Our sortit de sa demeure dans les dernières
heures de la nuit à la recherche de Khonsou, le dieu de la
lune, capable de chasser les mauvais esprits qui pourraient
peut-être l’aider à supprimer le mal qui planait sur le pays
et à guérir les maladies en leur trouvant un remède.
Ipo Our
lança un regard vers le ciel qu’il trouva très sombre et
sans lune. Il regarda à droite et à gauche cherchant un
signe ou un symbole signifiant le salut qui viendrait des
dieux. Mais il n’était entouré que d’une obscurité intense.
Il cria dans le vide : « Où êtes-vous, créateurs de cette
terre de pureté … Terre protégée du Nil … ? Où êtes-vous
grand dieu Atoum, créateur de l’univers et des dieux ? Vous
êtes-vous désistés de nous ? Avez-vous délaissé cette terre
de pureté ? ».
Mais
subitement, l’obscurité vint à se fendre légèrement et
Khonsou fit son apparition derrière un nuage. Ipo Our leva
alors ses mains pieusement et le silence plana sur les lieux
quelques instants, durant lesquels la lune parla d’une voix
que personne d’autre qu’Ipo Our n’entendit … Puis le ciel se
mit à pleuvoir.
Ipo Our
revint chez lui silencieux, l’âme apaisée. Le lendemain, il
se dirigea vers le palais royal et demanda un entretien avec
pharaon. Mais il fut reçu par le grand chambellan de la cour
qui lui demanda les raisons de cette visite. Ipo Our lui
répondit : « Je voudrais m’entretenir avec notre roi des
affaires du pays ». Le chambellan de la cour lui dit : «
Apprends, grand trésorier, que pharaon a pris de l’âge et
que notre devoir envers lui est de lui éviter tout ce qui
pourrait lui causer des inquiétudes ».
Ipo Our
répondit : « Mais les dieux m’ont envoyé pour rendre compte
à Pharaon des affaires du pays ». Le grand chambellan de la
cour dit : « Et qu’en est-il des affaires du pays ? Pépi II
est le plus grand Pharaon de l’histoire de l’Egypte et les
affaires du pays à son époque vont pour le mieux ».
Ipo Our
revint chez lui, assailli par la maladie et ne quitta plus
son lit. Il pressentit sa mort proche et rédigea ce papyrus
pour Pharaon qui remonte à 2260 av. J.-C.
Toutes
les belles choses se sont évaporées
Il ne
reste que laideur en tout lieu.
Les
bonnes choses ont disparu
Il n’en
reste plus qu’un semblant de rien.
Le pays
tel un fourneau d’argile
Ne crée
que poteries insipides
Et
situations renversées.
Les
grands sont dans la détresse
Et les
pauvres affamés dans la déchéance.
Le
fleuve est en sang,
Et de
ses eaux s’abreuvent les gens.
Les
temples ont été délaissés.
Les
monuments sont en débris.
Des
montagnes de pierre s’amoncellent.
Médite
mon Roi :
L’or, la
turquoise et l’argent
La
malachite, le bronze et l’agate
Garnissent les poitrines des voleurs
Alors
que les personnes intègres s’écrient :
Rien à
manger ?
Contemple Grand Pharaon :
Ceux qui
possédaient
Des
habits de luxe
Sont de
haillons vêtus.
Et celui
qui jamais n’a tissé
Possède
des tissus en lin luxueux.
Oh !
Détresse pour ce qui sévit dans le pays !
Oh !
Pharaon grandiose
Descendant des plus grands rois de tous les temps
Fils des
dieux et leur bien-aimé
Entre
tes mains le sceptre
Et sur
ta tête la couronne magnifique
Frappe
donc violemment la tête du serpent
Règle
les problèmes de corruption et fait régner la justice sur le
pays
Afin
qu’à nouveau s’éveillent les fleurs
Et
revienne le tapis de verdure
Couvrant
la terre de la vallée du Nil
Et que
poussent à nouveau les arbres.
Cette
image est en contradiction avec ce qui se trouve dans
d’autres endroits sur les débuts du règne de Pépi II, où
l’on raconte les histoires des campagnes historiques et de
conquêtes vers l’Asie et l’Afrique, dont les célèbres quatre
campagnes dirigées vers l’Afrique par le prince Harkuf,
gouverneur du Sud, en Afrique sous les ordres des rois
Mérenrê et Pépi II, qui ouvrent ainsi de nouvelles voies
pour l’Egypte et entreprennent des chemins inconnus
jusqu’alors en Nubie et au Darfour. Le prince revenait de
ses voyages rapportant des produits précieux, tels l’encens,
l’ébène, les cuirs de léopard et les défenses d’éléphant.
Les tribus africaines ahuries par la force de l’armée
égyptienne offraient à ses membres tout ce qu’ils désiraient.
Sur les
fresques du tombeau de Harkuf qui raconte l’histoire de ces
triomphes et de ses conquêtes magnifiques, nous pouvons lire
le texte d’un message envoyé par le pharaon Pépi II qui
n’était alors âgé que de dix ans durant la quatrième
campagne du prince vers le Sud depuis 4500 ans. Campagne où
le prince avait rapporté à Pharaon un nain en guise de
présent.
Dès que
Pharaon apprit la nouvelle du présent, il écrivit à Harkuf
pour lui dire avec l’enthousiasme des enfants :
«
Reviens vite au palais royal et rapporte ce nain venu des
limites de la terre. Prends garde à lui et soigne-le bien.
Lorsqu’il prendra en ta compagnie la barque du Nil pour
venir au palais, fasse qu’il soit encadré par des hommes
forts afin qu’il ne tombe pas dans l’eau. Et lorsque
arrivera le temps du sommeil, mets lui une garde de
confiance et reviens le voir durant la nuit au moins dix
fois. Notre Majesté attend avec impatience de voir ce nain
bien plus que toutes les richesses du Sinaï à l’est ou du
pays de Pount au sud ».
Le
prince Harkuf était fier de ce message et le garda
précieusement sa vie durant. Puis il donna l’ordre de
l’incruster sur son tombeau après sa mort.
Toutefois, les temps des grandes campagnes avaient pris fin
après que Pharaon avança en âge sur son trône. L’état du
pays se détériora et il ne restait qu’à l’un de ses hommes
les plus fidèles que de le prévenir des dangers éminents
pour le pays.
Le grand
scripte lut le message d’Ipo Our au vieux roi alors qu’il se
tenait adossé par le grand chambellan de la cour d’un côté
et de l’autre par le grand prêtre. Mais le roi ne comprit
pas le message. Les dires des hommes de la cour sur les
affaires du royaume qui allaient au mieux et qui ne
cessaient de progresser l’avaient atteint de surdité quant à
tout autre discours. Le Pharaon regarda le grand prêtre à sa
droite et le chambellan de la cour à sa gauche et leur
demanda : « Que signifie le message d’Ipo Our ? ». Le
chambellan de la cour répondit : « Je ne sais pas Votre
Majesté. Cela pourrait être un texte littéraire imaginaire
comme ceux que peuvent halluciner les poètes ».
Le roi
dit : « Mais la littérature prend son essor dans la réalité
et les poètes ont de l’imagination, mais ils ne hallucinent
pas. Qu’a voulu dire Ipo Our d’après toi ? ». Le chambellan
du palais répondit : « Sans doute parle-t-il d’autres
royaumes à l’est ou à l’ouest qui n’ont rien à voir avec
votre royaume, Majesté ». Le grand prêtre dit : « N’accordez
aucun intérêt à ce papyrus, Votre Majesté, ce ne sont
qu’hallucinations de maladies, rien de plus ».
Pharaon
s’inquiéta de ce qu’il venait d’entendre et dit : « Ipo Our
est-il malade ? Pourquoi personne ne m’en a rien dit ?
Envoyez chez lui les grands médecins du palais pour le
soigner, puis invitez-le à venir nous voir afin de
comprendre ce qu’il a voulu dire dans son message ». Mais
Ipo Our, qui avait reposé sa conscience en envoyant ce
message, quitta notre monde le jour même. Et Pharaon ne sut
jamais ce qu’avait voulu dire Ipo Our dans son message.
La
situation se détériora dans tous les recoins du pays, l’Etat
se démantela et la corruption sévit partout. Et en une nuit
où la lune avait disparu, le vieux pharaon d’Egypte mourut
et le chaos régna. Après trois ans, l’Ancien Empire prit fin
et les rois et les pharaons des VIIe, VIIIe, IXe et Xe
dynasties se succédèrent rapidement en une soixantaine
d’années seulement. Comme si l’histoire de l’Egypte se
transforma en un film muet, comique et rapide, durant lequel
l’Egypte se démantelait. Puis arriva la grande catastrophe,
lorsque le lien sacré qui avait uni les deux rives du Nil
fut coupé et l’unité de la terre d’Egypte qu’avait fondé le
grand Ménès, il y avait 900 ans, n’existait plus. La grande
Egypte forte et glorieuse laissa la place à deux faibles et
petites Egypte. Mais alors qu’au temps de leur unité les
Egyptiens avaient érigé les pyramides, au moment de leur
séparation ils se préoccupèrent de la guerre civile entre
les deux Etats, celui du nord dont la capitale était Memphis
et celui du Sud avec pour capitale Thèbes.
Cependant, l’Egypte dans cet état de faiblesse n’était pas
pour plaire aux dieux. Car cette Egypte, comme le veut le
dieu Atoum qui règne sur l’univers et les hommes, le grand
dieu qui n’est incarné dans aucune forme humaine ou animale
comme les autres dieux qui lui sont affilés, comme Mout, est
une terre noire, terre de fertilité, d’unité, de sécurité et
de paix.
Le ciel
s’insurgea de colère à cause de ce qui était advenu à
l’Egypte. Isis pleura cette division : « J’ai rassemblé les
membres d’Osiris du haut des montagnes. Comment puis-je
maintenant rassembler les restes du pays ! ». Mais le dieu
Ptah, protecteur de l’unité de l’Egypte, la réconforta et
apaisa ses craintes. Il avait créé celui qui redonnera à
l’Egypte l’unité pour laquelle elle était destinée par les
dieux.
Et en
une nuit chaude d’été, Khonsou, le dieu de la lune, chasseur
des mauvais esprits et guérisseur des maladies, plana dans
les cieux, sur un nuage blanc limpide, porteur d’un message
des dieux, en direction de la vallée :
Le matin,
on entendit la voix de Mentouhotep II, gouverneur de l’Etat
du sud de la ville de Thèbes, qui clamait dans tous les
recoins du pays depuis la mer au nord jusqu’au pays de Pount
au sud :
J’arrive
ma bien-aimée, j’arrive
La
beauté c’est toi, tel Mout
La rive
du fleuve est ton bras
Et l’eau
du Nil ton sang
Mais le
crocodile s’est assoupi là-bas,
Sur les
plages de sable, la gueule ouverte
Alors
que ton amour me remplit de courage et d’initiative
Je vais
surplomber le fleuve
Je vais
te libérer ma bien-aimée
Je vais
te redonner beauté et élégance
Je vais
te redonner gloire et prestige.
Mentouhotep, gouverneur de Thèbes, qui avait reçu les
paroles de la lune, avait été prédestiné pour sauver
l’Egypte. Il ne se passa pas quelques semaines sans qu’il ne
mette fin au chaos qui avait sévi et qu’on avait surnommé la
phase de transition. Il fonda la onzième dynastie par
laquelle débuta le Moyen empire. Amenhotep suivit les traces
du grand Ménès et unifia une fois de plus le Nord et le Sud
pour une union destinée par les dieux à ne jamais être
interrompue jusqu’à la fin des temps.
Traduction de Soheir Fahmi