Al-Ahram Hebdo, Littérature | Mohamed Salmawy; Ce qu’avait dit la lune
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 10 au 16 mars 2010, numéro 809

 

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Littérature

Dans un texte inédit Dix papyrus égyptiens, Mohamed Salmawy revient sur l’histoire de l’Egypte ancienne, laissant libre cours à son imaginaire, tout en se fondant sur des faits historiques réels.

Ce qu’avait dit la lune

Ménès le grand, dont le nom revient également dans les écritures anciennes sous le nom de Narmer, est le premier à avoir unifié la Haute et la Basse Egypte en l’an 3100 av. J.-C. et à fonder la première dynastie de l’Egypte. Pourtant, l’histoire de l’Egypte ne débute pas avec la dynastie de Ménès, mais 2400 ans avant avec l’époque prédynastique.

Après l’époque de Ménès, 900 ans environ plus tard, à la fin de la sixième dynastie, l’Egypte était gouvernée par un vieux pharaon, le roi Pépi II qui accéda au trône après la mort de son demi-frère Mérenrê. Mais alors que le pouvoir de Mérenrê ne dura que neuf années, celui de Pépi II se prolongea plus de 90 ans. Ce dernier se fit vieux et devint de plus en plus faible, ne quittant plus son palais et ne sachant rien des affaires des gens, alors que sa cour gouvernait en son nom. L’Egypte vivait alors une période de troubles et de turbulences, durant lesquels des révolutions éclataient et des envahisseurs menaçaient ses frontières est.

Cependant, Ipo Our, grand trésorier du Royaume et l’un des hommes les plus fidèles au trône, était touché par cette situation. Il revoyait l’histoire grandiose de l’Ancien empire, durant laquelle les pharaons avaient érigé les pyramides qui avaient transcendé les temps, comme ne l’avaient fait aucun autre monument sorti des mains des hommes et qui avaient réalisé pour l’Egypte gloire et éternité.

A chaque fois qu’Ipo Our voyait la pyramide de Khéops Le Grand, érigée en 2700 av. J.-C., son cœur se fendait de peine pour l’état du pays qui avait été envahi par les crises économiques et les conflits sociaux, mais il ne savait que faire. Il était tiraillé par les insomnies. Il se levait la nuit, arpentant sa chambre de long en large, angoissé et apeuré qu’il était par ce qui pouvait advenir à l’Egypte si les choses suivaient leur cours.

Dans une nuit sombre, Ipo Our sortit de sa demeure dans les dernières heures de la nuit à la recherche de Khonsou, le dieu de la lune, capable de chasser les mauvais esprits qui pourraient peut-être l’aider à supprimer le mal qui planait sur le pays et à guérir les maladies en leur trouvant un remède.

Ipo Our lança un regard vers le ciel qu’il trouva très sombre et sans lune. Il regarda à droite et à gauche cherchant un signe ou un symbole signifiant le salut qui viendrait des dieux. Mais il n’était entouré que d’une obscurité intense. Il cria dans le vide : « Où êtes-vous, créateurs de cette terre de pureté … Terre protégée du Nil … ? Où êtes-vous grand dieu Atoum, créateur de l’univers et des dieux ? Vous êtes-vous désistés de nous ? Avez-vous délaissé cette terre de pureté ? ».

Mais subitement, l’obscurité vint à se fendre légèrement et Khonsou fit son apparition derrière un nuage. Ipo Our leva alors ses mains pieusement et le silence plana sur les lieux quelques instants, durant lesquels la lune parla d’une voix que personne d’autre qu’Ipo Our n’entendit … Puis le ciel se mit à pleuvoir.

Ipo Our revint chez lui silencieux, l’âme apaisée. Le lendemain, il se dirigea vers le palais royal et demanda un entretien avec pharaon. Mais il fut reçu par le grand chambellan de la cour qui lui demanda les raisons de cette visite. Ipo Our lui répondit : « Je voudrais m’entretenir avec notre roi des affaires du pays ». Le chambellan de la cour lui dit : « Apprends, grand trésorier, que pharaon a pris de l’âge et que notre devoir envers lui est de lui éviter tout ce qui pourrait lui causer des inquiétudes ».

Ipo Our répondit : « Mais les dieux m’ont envoyé pour rendre compte à Pharaon des affaires du pays ». Le grand chambellan de la cour dit : « Et qu’en est-il des affaires du pays ? Pépi II est le plus grand Pharaon de l’histoire de l’Egypte et les affaires du pays à son époque vont pour le mieux ».

Ipo Our revint chez lui, assailli par la maladie et ne quitta plus son lit. Il pressentit sa mort proche et rédigea ce papyrus pour Pharaon qui remonte à 2260 av. J.-C.

 

Toutes les belles choses se sont évaporées

Il ne reste que laideur en tout lieu.

Les bonnes choses ont disparu

Il n’en reste plus qu’un semblant de rien.

Le pays tel un fourneau d’argile

Ne crée que poteries insipides

Et situations renversées.

 

Les grands sont dans la détresse

Et les pauvres affamés dans la déchéance.

Le fleuve est en sang,

Et de ses eaux s’abreuvent les gens.

 

Les temples ont été délaissés.

Les monuments sont en débris.

Des montagnes de pierre s’amoncellent.

 

Médite mon Roi :

L’or, la turquoise et l’argent

La malachite, le bronze et l’agate

Garnissent les poitrines des voleurs

Alors que les personnes intègres s’écrient :

Rien à manger ?

 

Contemple Grand Pharaon :

Ceux qui possédaient

Des habits de luxe

Sont de haillons vêtus.

Et celui qui jamais n’a tissé

Possède des tissus en lin luxueux.

Oh ! Détresse pour ce qui sévit dans le pays !

 

Oh ! Pharaon grandiose

Descendant des plus grands rois de tous les temps

Fils des dieux et leur bien-aimé

Entre tes mains le sceptre

Et sur ta tête la couronne magnifique

Frappe donc violemment la tête du serpent

Règle les problèmes de corruption et fait régner la justice sur le pays

Afin qu’à nouveau s’éveillent les fleurs

Et revienne le tapis de verdure

Couvrant la terre de la vallée du Nil

Et que poussent à nouveau les arbres.

Cette image est en contradiction avec ce qui se trouve dans d’autres endroits sur les débuts du règne de Pépi II, où l’on raconte les histoires des campagnes historiques et de conquêtes vers l’Asie et l’Afrique, dont les célèbres quatre campagnes dirigées vers l’Afrique par le prince Harkuf, gouverneur du Sud, en Afrique sous les ordres des rois Mérenrê et Pépi II, qui ouvrent ainsi de nouvelles voies pour l’Egypte et entreprennent des chemins inconnus jusqu’alors en Nubie et au Darfour. Le prince revenait de ses voyages rapportant des produits précieux, tels l’encens, l’ébène, les cuirs de léopard et les défenses d’éléphant. Les tribus africaines ahuries par la force de l’armée égyptienne offraient à ses membres tout ce qu’ils désiraient.

Sur les fresques du tombeau de Harkuf qui raconte l’histoire de ces triomphes et de ses conquêtes magnifiques, nous pouvons lire le texte d’un message envoyé par le pharaon Pépi II qui n’était alors âgé que de dix ans durant la quatrième campagne du prince vers le Sud depuis 4500 ans. Campagne où le prince avait rapporté à Pharaon un nain en guise de présent.

Dès que Pharaon apprit la nouvelle du présent, il écrivit à Harkuf pour lui dire avec l’enthousiasme des enfants :

« Reviens vite au palais royal et rapporte ce nain venu des limites de la terre. Prends garde à lui et soigne-le bien. Lorsqu’il prendra en ta compagnie la barque du Nil pour venir au palais, fasse qu’il soit encadré par des hommes forts afin qu’il ne tombe pas dans l’eau. Et lorsque arrivera le temps du sommeil, mets lui une garde de confiance et reviens le voir durant la nuit au moins dix fois. Notre Majesté attend avec impatience de voir ce nain bien plus que toutes les richesses du Sinaï à l’est ou du pays de Pount au sud ».

Le prince Harkuf était fier de ce message et le garda précieusement sa vie durant. Puis il donna l’ordre de l’incruster sur son tombeau après sa mort.

Toutefois, les temps des grandes campagnes avaient pris fin après que Pharaon avança en âge sur son trône. L’état du pays se détériora et il ne restait qu’à l’un de ses hommes les plus fidèles que de le prévenir des dangers éminents pour le pays.

Le grand scripte lut le message d’Ipo Our au vieux roi alors qu’il se tenait adossé par le grand chambellan de la cour d’un côté et de l’autre par le grand prêtre. Mais le roi ne comprit pas le message. Les dires des hommes de la cour sur les affaires du royaume qui allaient au mieux et qui ne cessaient de progresser l’avaient atteint de surdité quant à tout autre discours. Le Pharaon regarda le grand prêtre à sa droite et le chambellan de la cour à sa gauche et leur demanda : « Que signifie le message d’Ipo Our ? ». Le chambellan de la cour répondit : « Je ne sais pas Votre Majesté. Cela pourrait être un texte littéraire imaginaire comme ceux que peuvent halluciner les poètes ».

Le roi dit : « Mais la littérature prend son essor dans la réalité et les poètes ont de l’imagination, mais ils ne hallucinent pas. Qu’a voulu dire Ipo Our d’après toi ? ». Le chambellan du palais répondit : « Sans doute parle-t-il d’autres royaumes à l’est ou à l’ouest qui n’ont rien à voir avec votre royaume, Majesté ». Le grand prêtre dit : « N’accordez aucun intérêt à ce papyrus, Votre Majesté, ce ne sont qu’hallucinations de maladies, rien de plus ».

Pharaon s’inquiéta de ce qu’il venait d’entendre et dit : « Ipo Our est-il malade ? Pourquoi personne ne m’en a rien dit ? Envoyez chez lui les grands médecins du palais pour le soigner, puis invitez-le à venir nous voir afin de comprendre ce qu’il a voulu dire dans son message ». Mais Ipo Our, qui avait reposé sa conscience en envoyant ce message, quitta notre monde le jour même. Et Pharaon ne sut jamais ce qu’avait voulu dire Ipo Our dans son message.

La situation se détériora dans tous les recoins du pays, l’Etat se démantela et la corruption sévit partout. Et en une nuit où la lune avait disparu, le vieux pharaon d’Egypte mourut et le chaos régna. Après trois ans, l’Ancien Empire prit fin et les rois et les pharaons des VIIe, VIIIe, IXe et Xe dynasties se succédèrent rapidement en une soixantaine d’années seulement. Comme si l’histoire de l’Egypte se transforma en un film muet, comique et rapide, durant lequel l’Egypte se démantelait. Puis arriva la grande catastrophe, lorsque le lien sacré qui avait uni les deux rives du Nil fut coupé et l’unité de la terre d’Egypte qu’avait fondé le grand Ménès, il y avait 900 ans, n’existait plus. La grande Egypte forte et glorieuse laissa la place à deux faibles et petites Egypte. Mais alors qu’au temps de leur unité les Egyptiens avaient érigé les pyramides, au moment de leur séparation ils se préoccupèrent de la guerre civile entre les deux Etats, celui du nord dont la capitale était Memphis et celui du Sud avec pour capitale Thèbes.

Cependant, l’Egypte dans cet état de faiblesse n’était pas pour plaire aux dieux. Car cette Egypte, comme le veut le dieu Atoum qui règne sur l’univers et les hommes, le grand dieu qui n’est incarné dans aucune forme humaine ou animale comme les autres dieux qui lui sont affilés, comme Mout, est une terre noire, terre de fertilité, d’unité, de sécurité et de paix.

Le ciel s’insurgea de colère à cause de ce qui était advenu à l’Egypte. Isis pleura cette division : « J’ai rassemblé les membres d’Osiris du haut des montagnes. Comment puis-je maintenant rassembler les restes du pays ! ». Mais le dieu Ptah, protecteur de l’unité de l’Egypte, la réconforta et apaisa ses craintes. Il avait créé celui qui redonnera à l’Egypte l’unité pour laquelle elle était destinée par les dieux.

Et en une nuit chaude d’été, Khonsou, le dieu de la lune, chasseur des mauvais esprits et guérisseur des maladies, plana dans les cieux, sur un nuage blanc limpide, porteur d’un message des dieux, en direction de la vallée :

Le matin, on entendit la voix de Mentouhotep II, gouverneur de l’Etat du sud de la ville de Thèbes, qui clamait dans tous les recoins du pays depuis la mer au nord jusqu’au pays de Pount au sud :

 

J’arrive ma bien-aimée, j’arrive

La beauté c’est toi, tel Mout

La rive du fleuve est ton bras

Et l’eau du Nil ton sang

Mais le crocodile s’est assoupi là-bas,

Sur les plages de sable, la gueule ouverte

Alors que ton amour me remplit de courage et d’initiative

Je vais surplomber le fleuve

Je vais te libérer ma bien-aimée

Je vais te redonner beauté et élégance

Je vais te redonner gloire et prestige.

Mentouhotep, gouverneur de Thèbes, qui avait reçu les paroles de la lune, avait été prédestiné pour sauver l’Egypte. Il ne se passa pas quelques semaines sans qu’il ne mette fin au chaos qui avait sévi et qu’on avait surnommé la phase de transition. Il fonda la onzième dynastie par laquelle débuta le Moyen empire. Amenhotep suivit les traces du grand Ménès et unifia une fois de plus le Nord et le Sud pour une union destinée par les dieux à ne jamais être interrompue jusqu’à la fin des temps.

Traduction de Soheir Fahmi

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La semaine prochaine, le 2e papyrus

 




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