2010.
Année
jubilé pour l’Afrique, 50
ans
d’indépendance de la plupart
des pays du continent qui
sont
célébrés. Il
s’agit
notamment de 17 pays, dont
14 anciennes colonies
françaises. Le
Cameroun, le premier,
l’a fêté
le 1er janvier dernier de
manière un
peu
silencieuse. Et le 4 avril
prochain ce
sera le tour du
Sénégal, la
liste suivra avec le Togo
le 27 avril, le Madagascar le 26
juin
jusqu’à la Mauritanie le
28 novembre. Les
célébrations
devront se
poursuivre, mais
l’analyse et
la réflexion
aussi. Quel
bilan de
cette
indépendance ? Le
continent a-t-il
vraiment
acquis sa
libération au
sens propre
du
terme
? Et aussi
qu’en
est-il de l’Egypte, la
première à
obtenir l’indépendance
officiellement en 1922 et qui
fut la
pionnière des mouvements
de libération
nationale
africaine (Lire page 5) ?
Maintient-elle son
rôle à
l’avant-garde
du
panafricanisme, ou au
contraire, elle
subit de plus en plus de
reculs
comme le disent la
plupart des
spécialistes dans
ce
domaine
? Certes, il
faut
reconnaître d’emblée un
changement radical
entre les
années 1960 et la période
actuelle. Le
colonialisme,
dans le
sens classique
du terme,
face auquel se
sont
déroulées les guerres
d’indépendance,
n’existe plus.
Il s’est
muté en
diverses formules
bien
différentes et plus compliquées
avec l’économie
comme principal
moteur. La
mondialisation tente,
plus ou
moins, de lever les barrières,
mais
évidemment, elle a lieu
sans réelle
parité. L’Occident,
auquel se joint
une Chine qui
n’est guère
celle
de Mao, détient
toutes les clefs en main. A
cela
s’ajoutent des faiblesses
structurelles
dans les pays
africains
: échecs
économiques et
d’autres
politiques par manque de
démocratie, par le
retour en force
du
tribalisme dans
plusieurs
Etats et aussi par
l’inefficacité des institutions
qui se sont
données dès le
départ un
rôle sauveteur
mais qui, au bout
du compte,
n’ont pas
présenté grand-chose, il
s’agit de
l’Organisation de l’Unité
Africaine (OUA),
ensuite de
l’Union Africaine (UA).
De plus, la croissance
est
jugulée par la
pauvreté et les
pénuries
alimentaires, sans oublier
les problèmes de
l’eau. Un
constat qui
ne donne pas beaucoup
d’enthousiasme 50
ans après.
Mais est-ce la
réalité des
choses qui émerge après
les rêves
euphoriques des premières
années
?
Un
retour des
puissances coloniales
Voire,
il y
a eu une
évolution
assez complexe.
Si par
exemple les premières années
d’indépendance
ont marqué
une volonté
d’indépendance
très
radicale, par la suite,
il y a
eu une
évolution
vers un retour de
coopération
entre certains et les
anciens
colonisateurs envisagés
sous un
autre angle. Or, même
cette reprise
s’est
trouvée marginalisée.
A titre
d’exemple,
l’Afrique francophone. La France
n’est plus le
partenaire
exclusif et la figure
tutélaire
qu’elle est
restée
durant de longues
décennies. Pour
autant,
ce
vieux couple perdure,
fort de ses liens
passés, en
quête d’une nouvelle
relation. C’est
Pékin qui a
offert le prochain centre
de conférences de
l’Union
africaine à Addis-Abeba.
Un complexe
où sera
discuté l’avenir
du continent. Tout
un symbole.
L’époque où
Paris régnait sans rival
sur son «
pré-carré », principalement
l’Afrique
occidentale et
centrale,
est révolue. L’AFP cite
à cet
égard le
journaliste Antoine Glaser, co-auteur de Comment la
France a perdu
l’Afrique
: « Le système
franco-africain
était
totalement intégré :
politique,
militaire, financier ». Et
d’ajouter
: « Franc CFA, interventions
militaires, cooptation des
dirigeants africains,
réseaux
occultes, chasses gardées
commerciales,
accès aux
ressources … La France dirigeait
ces pays
comme des néo-colonies »,
poursuit Glaser.
De son
côté, à
partir des
années 2000, l’Afrique a
été de plus en plus
convoitée par des
puissances
émergentes, Pékin en
tête, pour
ses richesses,
notamment en
pétrole.
« De
relations bilatérales
privilégiées post-coloniales,
on est passé
à une
diversification de partenaires
», résume Philippe
Hugon, de
l’Institut des Relations
Internationales et
Stratégiques (IRIS).
Selon la Documentation
française, la Chine
est
désormais,
devant la France et après les
Etats-Unis, le deuxième
partenaire commercial de
l’Afrique
où les entreprises
françaises
gardent toujours la main
dans
certains domaines
(barrages, câbles
sous-marins).
Indépendances
conditionnées
Ainsi,
le politologue
égyptien
directeur du Centre
d’études
arabo-africaines du
Caire,
Helmi Chaaraoui,
affirme que
pour les années 1960, «
lorsque les pays
colonialistes
ont craint
la vague d’indépendance de
cette
période, ils
ont donné
une
indépendance de pure forme
aux pays africains. De Gaulle a
accordé
l’indépendance à 16 pays
entre 1960
et 1961 ». Cette
indépendance
faite de liens
économiques
et autres
n’a donc
pas survécu de
cette
manière. En 2007, le très
critiqué «
discours de Dakar » du
président Nicolas
Sarkozy a
mis en lumière le
ressentiment
d’une
partie des Africains
à l’égard
de l’ex-puissance
coloniale,
à qui elle
reprochait déjà
ses
restrictions en matière de
visas.
Un
rôle perdu
du moins
qui souffre de
grande
rivalité pour les anciens
colonisateurs et des crises en
série pour les pays
indépendants.
Cette
mainmise
occidentale ou
mondiale
n’a guère
apporté de
stabilité à
l’Afrique.
Le continent a connu de 1960
à 1990, les
trente premières années
de son indépendance, 79 coups de
force au cours
desquels 82
dirigeants ont
été tués
ou
renversés. En
comparaison, le monde
arabe, dans
l’œil du
cyclone depuis la
découverte
du pétrole,
dénombre pour la
même
période dix-huit coups
d’Etat.
Instabilité
réciproque.
L’Egypte
en position difficile
C’est
à l’image
de la complexité
du monde
actuel.
Mais
somme
toute, les rapports entre
les Africains et les pays
occidentaux et
puis les nouveaux
venus,
comme la Chine, restent
solides.
Mais qu’en
est-il de
l’Egypte
? L’âge
d’or est
bien
dépassé, celui
où le pays des
pharaons a
œuvré pour l’indépendance
de l’Afrique.
L’Egypte a
aussi été la
pionnière en
matière de
solidarité et
d’action commune
africaine (lire page 5).
Le premier sommet
africain a
eu lieu au Caire en 1965.
Une
réunion qui a
témoigné du
lancement de
l’Organisation de
l’Unité
Africaine (OUA). Le Caire,
par la suite, s’est
concentré
surtout sur
plusieurs
rassemblements régionaux
dans la
partie orientale
du continent qui
est
le prolongement
géographique et
historique le plus
proche de
l’Egypte. A
cet égard,
il se charge
du dossier
agricole du NEPAD
(Nouveau partenariat pour le
développement de
l’Afrique).
L’activité diplomatique
est
allée sur
la bonne
voie, mais
plutôt dans
la théorie. On
relève les propositions
égyptiennes
dans les sommets de 1992
et 1994 pour
résoudre la question de la dette
africaine et
notamment
militaire afin
d’assurer le
rééchelonnement
à des conditions plus
faciles.
L’Egypte a participé aux
forces de maintien de la
paix en
Somalie dans les
années 1990
dans le Darfour
et au Sud
Soudan.
Mais ce
rôle a
commencé à faire face
à des
problèmes, en plus d’un recul
général en
matière de politique
internationale. Le
Caire
semble n’avoir plus les
moyens de faire face aux
défis et
exigences
nombreuses du continent.
Certains
analystes
parlent même
d’une
débâcle due à
une
négligence du continent.
Entre
autres, le fait que
l’Egypte
n’a même pas
participé aux
négociations
entre le
gouvernement du
Soudan et le
Mouvement
Populaire de Libération
du Soudan
(MPLS) en 2005 à Nairobi. Son
rôle
est
très faible
dans la
crise du
Darfour en
dépit du
voisinage territorial
du Soudan.
Pour des questions tout aussi
vitales que
l’eau du
Nil,
l’Egypte souffre
aussi d’une
véritable
incurie diplomatique.
Ses
négociations avec les pays
du Bassin
du Nil
avancent à pas de
tortues.
Reconnaître
la réalité
?
Un
recul qui a
attiré à
l’Egypte des accusations de
certains pays
africains,
selon lesquelles
l’Egypte a
négligé l’Afrique au
profit de ses relations
arabes et
ses rapports avec l’Occident.
Mais
n’est-il
peut-être pas vrai
que les
problèmes africains
ont pris
une extension immense face
à laquelle
l’Egypte
n’a pas les moyens de
faire face. Il
faut des
armes pour résoudre les
guerres
civiles, des assistances pour
contribuer au développement,
des aides financières pour
affronter les catastrophes, la
technologie pour réaliser
le progrès. Des
domaines où
l’Egypte
n’a pas de grandes
capacités par rapport aux
grandes
puissances. Helmi
Chaaraoui
relève d’ailleurs
que le rôle
de l’Egypte
s’est réduit,
parce que
nous
n’avons pas d’influence
au sein de
l’UA et des
autres
rassemblements régionaux.
« Même le
commerce est
devenu
réduit. Il
ne reste
rien de la
flotte commerciale
égyptienne
destinée à
l’Afrique. Il
ne reste
que les missions et
déplacements
diplomatiques,
ce qui est
très peu
», conclut-il. Des
voies et
des moyens
restent disponibles, les
intérêts des pays
du Sud
sont quand
même
solidaires.
Ahmed
Loutfi
Chaimaa
Abdel-Hamid