Sexisme.
15 ans après
avoir
évoqué pour la première fois
le mot Gender, la société
égyptienne a encore
du mal à
l’intégrer
dans sa
culture. Les
réticences semblent
tirer leurs
origines d’un
héritage
culturel bien
ancré.
Une
égalité loin d’être
acquise
C’est
à pékin,
en 1995, lors de la
quatrième
Conférence mondiale
sur la situation de la femme
qu’a été
évoqué le
principe
du Gender Mainstreaming (démarche
pour l’égalité
entre
hommes et femmes). « On
n’est né
ni homme,
ni femme, on le
devient ». En
adoptant
ce
principe, les gouvernements
se sont
engagés, pour la première fois,
à inclure
dans tous
les domaines de
leurs actions la notion
d’égalité
entre les femmes et les hommes.
Au cours des
dernières
années et suite
à cette
conférence, les
voix se
sont élevées en
Egypte pour
appliquer ce
principe du
Gender ou genre social et
annuler
toutes sortes de
discrimination à
l’égard des femmes tout en
cherchant à
leur
assurer leurs
droits. « On a
eu recours
aux conventions
internationales pour
instaurer l’égalité
entre
hommes et femmes. Et
bien que
les lois déjà
existantes
appellent à
cette
égalité, la réalité
est toute
autre. On
espérait que
ces conventions
internationales
que l’on
avait
ratifiées allaient
bannir
toutes sortes de
discriminations à
l’égard des femmes »,
dit Amina
Chafiq,
membre du
Conseil national de la femme.
Selon elle,
avant les
années 1970, on n’osait
aborder
ni le
sujet de l’égalité
ni celui
des droits de la femme
que de
manière très
discrète.
C’est seulement
depuis la
conférence de Pékin
que
l’Egypte a
entamé le pas pour imposer les
principes
du genre social. Autrement
dit, la
société a commencé
à parler
du rôle
que jouent
les femmes dans la
société, à
mettre
l’accent sur les
critères
selon lesquels la
vocation de chacun
doit être
jugée selon
ses
compétences et non pas son
sexe.
L’important
c’est que
toute
personne, homme
ou femme,
soit capable d’achever
son travail avec compétence.
En
effet,
ce combat a
porté ses
fruits. Ces
dernières années,
et pour la première
fois dans
l’histoire de
l’Egypte,
une femme a été
nommée juge.
La femme a aussi
réussi à
occuper le
poste de doyenne et
d’autres
postes très
importants
dans les conseils
législatifs.
Aujourd’hui,
deux femmes
sont ministres
et on vise le
poste de
gouverneur. De plus,
il y a
eu la
création du
Conseil de la femme, un
organisme
officiel qui s’intéresse
aux problèmes des femmes.
Il
est vrai
que
l’héritage omniprésent
des traditions et des coutumes
représente le plus grand
obstacle qui entrave la femme
à acquérir
cette
égalité. Pourtant,
d’après
Chafiq, on ne
peut pas
nier non plus
que la
société a évolué
vis-à-vis du concept
du genre social.
Un
changement qui commence à
avoir des
réactions positives.
Des
droits
acquis à
titre
officiel
Au
cours des
dernières années, la
femme a eu
droit au kholea (avoir
le droit de divorcer sans le
consentement de son
mari
tout en cédant
à ses
droits financiers). Les
enfants nés
d’une mère
égyptienne
et d’un père
étranger
ont désormais
droit à
la nationalité de
leur mère.
Et ce,
sans oublier la
loi qui
permet à la femme de
voyager sans autorisation de son
mari ou
de son père. « Le
débat
actuel concernant la
question du genre social
et les
droits de la femme est un
bon signe et
une preuve
qu’un certain
progrès est
en train de s’instaurer
dans la
société.
Même
si cela se fait
à pas de
tortue, l’important
c’est que
l’on avance
», dit
Amina Chafiq. Elle
a évidemment
raison. Il est facile de se
rappeler le
tabou qui entourait le
sujet
délicat de l’excision
il y a
presque 10 ans. Même le
fait de le traiter
dans un article
journalistique
était une
aventure en
tant que
telle.
Aujourd’hui,
on en parle partout.
Conférences,
médias,
pancartes.
Chafiq
a observé
ce
changement qu’a
connu la
société. Mais
elle sait
que si
elle aborde
le sujet du
genre social et de
l’égalité
entre les deux sexes, on
lui mettra
les bâtons
dans les roues.
L’astuce
est
donc d’améliorer les
conditions de vie des deux sexes
tout en faisant le lien
entre ce
progrès et le
statut de la femme.
« On est des
êtres
humains, sans différenciation
de sexe.
Ce sont
les conditions sociales
et
l’éducation qui accentuent
en nous ces
différences.
Chacun
doit jouer
son rôle
dans la société.
Un rôle que
seules les
compétences doivent
déterminer et non pas le
sexe »,
analyse Chafiq.
Pourtant,
la féministe
Fardos
Bahnassi voit
que l’on
est
encore bien loin de
ce concept. La
réalité
prouve que les slogans
scandés sur
la question de l’égalité
entre les
deux sexes ne
sont que
de pures
apparences, un
moyen
d’embellir notre image
sur la scène
mondiale,
bref, un enjeu
politique.
« Les
seules
personnes intéressées par
le sujet du
genre social, c’est
l’élite
cultivée et les
activistes qui
travaillent
dans le domaine de la
lutte pour les
droits de la femme. Quant aux
simples
citoyens, qui sont
d’ailleurs les premiers
concernés,
ils ne
sont même
pas au courant », confie
Bahnassi.
La femme
rurale dans
l’ombre
La
situation dans les
villages
d’Egypte reflète
une toute
autre image
bien sombre.
Dans un
village situé au fin fond de
Sohag en Haute-Egypte,
les femmes n’osent porter
ni lunettes
si elles
ont une
vue faible,
ni appareil
auditif si
elles
entendent mal. « Seuls
les hommes
ont droit
à ces
choses »,
dit Oum Ahmad, qui
entend mal
mais ne
peut
s’offrir cet
appareil qui
l’aiderait
à mieux vivre. « On
va
dire que je
suis sourde,
et je ne
l’admets pas »,
dit-elle.
Loin de
la Haute-Egypte, au Delta,
Oum Bachar
raconte les
petits détails de
sa
vie. Des détails qui en
disent long
sur sa
vision des choses.
Quand elle
était jeune,
elle et
sa sœur
cédaient
leur part de viande
ou de
poulet à
leurs
frères et leur
père, et sa
mère
donnait l’exemple. Après
son mariage,
elle a fait la
même chose avec son
mari
et a appris
à sa
fille que la
priorité
est toujours aux
hommes qui,
eux, ont
besoin d’être
bien
nourris et, surtout,
bien servis.
«
Comment osez-vous me dire
qu’une
fille et un garçon
sont
égaux
; l’un
va dominer
l’autre,
avoir le dernier mot, gérer
les affaires de la famille et
c’est
l’homme et c’est
comme ça
que cela
s’est
toujours passé », révèle
Oum Bachar.
Cette femme
ne s’est
jamais
donnée l’occasion de
s’arrêter
devant ces «
détails » et
les a toujours
considérés
comme un fait accompli. Elle
trouve que son devoir
est
de dépenser tout son argent pour
la maison en plus des
tâches
ménagères. Pourtant,
ce
rôle
qu’elle joue
depuis des
années ne
semble pas
l’avoir encouragée
à changer son image et
avoir plus
d’estime pour elle-même.
D’après
Bahnassi, il
est inutile de
parler de genre social,
puisque les traditions qui
gèrent nos
sociétés
ont tendance
à favoriser
les hommes.
Ce sont
eux qui
prennent les décisions.
« Ces
derniers ne
sont prêts
à changer la situation
actuelle
que sur des
papiers.
Ce
qui explique
pourquoi
ils résistent
à tout
changement réel »,
explique
Bahnassi.
La
preuve,
selon cette
dernière,
est ce qui se
déroule
actuellement sur la
scène : le
Conseil d’Etat «
marchandise » pour
donner aux femmes des
responsabilités
judiciaires. «
Il faut
d’abord changer les
mentalités et la culture, et
ce n’est
pas impossible, il
suffit de
croire vraiment
à cette
notion pour développer la
société »,
résume Bahnassi.
La
lutte continue
Pourtant,
les activistes
ne semblent
pas baisser les bras.
Ils
n’arrêtent pas de
lutter
contre toutes
sortes de discriminations
à l’égard
des femmes. Des ONG et des
organisations gouvernementales
travaillent
sur plusieurs axes,
mais
l’inégalité existe
encore :
différence entre les
salaires
dans certains
secteurs publics, on
élève encore les
filles
d’une manière
différente
que celle des
garçons, et
bien que le
nombre de femmes qui
participent
à la vie politique
augmente d’un jour
à l’autre,
elles n’ont
pas de véritable influence,
comme si
elles
étaient là pour le décor.
Selon
les études et les
statistiques
annoncées, la violence
contre la femme
augmente
d’une année
à l’autre,
l’excision
est encore présente avec
force, la différence
entre le
nombre de garçons et de
filles qui
vont à
l’école est
énorme, car beaucoup de
familles ne
voient pas la raison pour
laquelle la
fille doit
être
instruite. « Loin des traditions, les
lois
elles-mêmes
présentent aussi
une sorte
de discrimination contre les
femmes. Comme la
loi de
l’adultère qui condamne
l’homme et
la femme mais
différemment.
Et les lois
officieuses qui
excluent les femmes de
certains
héritages », dit
Abir Ali,
avocate au Centre des procès
de la femme.
Entre
les voix qui
demandent
une vraie
égalité
entre les deux sexes et
ceux qui
utilisent des slogans juste
pour la forme,
d’autres
n’hésitent pas à
expliquer comment
cette question
du genre social
n’est
qu’une invitation à
bouleverser la
société, car,
d’après eux,
ces appels
viennent de
l’Occident et veulent
propager des
idées qui
ne sont pas les
nôtres.
En fait,
cette
théorie conservatrice
semble
avoir de plus en plus de poids
dans la
société.
La preuve
: ces femmes qui se
cachent de plus en plus derrière
leur voile et
niqab.
C’est d’ailleurs
elles-mêmes qui
demandent la
séparation
entre les deux sexes,
voulant effacer
toute une
histoire de lutte de
leurs
grands-mères pour sortir
dans la rue
et avoir le
droit de vivre
comme les
hommes. « La société
doit tenir
compte des
expériences passées
avant de
choisir quel
chemin
suivre. Cette
tendance
rétrograde limite le
rôle de la femme
à celui
de la mère
ou de la maîtresse de
maison », a
écrit l’écrivain
Nabil Abdel-Fattah
dans un
article qui commente le
débat sur
le genre social.
Ces
intellectuels
sont
capables de changer la société
et la
mobiliser à
réaliser
cette égalité
entre ses
citoyens sans
tenir
compte du
sexe.
Le jour
viendra
peut-être où des
mots comme
madame ou
demoiselle deviendront
signes
de discrimination et seront
interdits, car
considérés
comme un langage qui
amplifie le genre.
Hanaa
Al-Mekkawi