Al-Ahram Hebdo, Enquête | Une égalité loin d’être acquise
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 10 au 16 mars 2010, numéro 809

 

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Enquête

Sexisme. 15 ans après avoir évoqué pour la première fois le mot Gender, la société égyptienne a encore du mal à l’intégrer dans sa culture. Les réticences semblent tirer leurs origines d’un héritage culturel bien ancré.

Une égalité loin d’être acquise

C’est à pékin, en 1995, lors de la quatrième Conférence mondiale sur la situation de la femme qu’a été évoqué le principe du Gender Mainstreaming (démarche pour l’égalité entre hommes et femmes). « On n’est ni homme, ni femme, on le devient ». En adoptant ce principe, les gouvernements se sont engagés, pour la première fois, à inclure dans tous les domaines de leurs actions la notion d’égalité entre les femmes et les hommes. Au cours des dernières années et suite à cette conférence, les voix se sont élevées en Egypte pour appliquer ce principe du Gender ou genre social et annuler toutes sortes de discrimination à l’égard des femmes tout en cherchant à leur assurer leurs droits. « On a eu recours aux conventions internationales pour instaurer l’égalité entre hommes et femmes. Et bien que les lois déjà existantes appellent à cette égalité, la réalité est toute autre. On espérait que ces conventions internationales que l’on avait ratifiées allaient bannir toutes sortes de discriminations à l’égard des femmes », dit Amina Chafiq, membre du Conseil national de la femme. Selon elle, avant les années 1970, on n’osait aborder ni le sujet de l’égalité ni celui des droits de la femme que de manière très discrète. C’est seulement depuis la conférence de Pékin que l’Egypte a entamé le pas pour imposer les principes du genre social. Autrement dit, la société a commencé à parler du rôle que jouent les femmes dans la société, à mettre l’accent sur les critères selon lesquels la vocation de chacun doit être jugée selon ses compétences et non pas son sexe. L’important c’est que toute personne, homme ou femme, soit capable d’achever son travail avec compétence.

En effet, ce combat a porté ses fruits. Ces dernières années, et pour la première fois dans l’histoire de l’Egypte, une femme a été nommée juge. La femme a aussi réussi à occuper le poste de doyenne et d’autres postes très importants dans les conseils législatifs. Aujourd’hui, deux femmes sont ministres et on vise le poste de gouverneur. De plus, il y a eu la création du Conseil de la femme, un organisme officiel qui s’intéresse aux problèmes des femmes.

Il est vrai que l’héritage omniprésent des traditions et des coutumes représente le plus grand obstacle qui entrave la femme à acquérir cette égalité. Pourtant, d’après Chafiq, on ne peut pas nier non plus que la société a évolué vis-à-vis du concept du genre social. Un changement qui commence à avoir des réactions positives.

Des droits acquis à titre officiel

Au cours des dernières années, la femme a eu droit au kholea (avoir le droit de divorcer sans le consentement de son mari tout en cédant à ses droits financiers). Les enfants nés d’une mère égyptienne et d’un père étranger ont désormais droit à la nationalité de leur mère. Et ce, sans oublier la loi qui permet à la femme de voyager sans autorisation de son mari ou de son père. « Le débat actuel concernant la question du genre social et les droits de la femme est un bon signe et une preuve qu’un certain progrès est en train de s’instaurer dans la société. Même si cela se fait à pas de tortue, l’important c’est que l’on avance », dit Amina Chafiq. Elle a évidemment raison. Il est facile de se rappeler le tabou qui entourait le sujet délicat de l’excision il y a presque 10 ans. Même le fait de le traiter dans un article journalistique était une aventure en tant que telle. Aujourd’hui, on en parle partout. Conférences, médias, pancartes.

Chafiq a observé ce changement qu’a connu la société. Mais elle sait que si elle aborde le sujet du genre social et de l’égalité entre les deux sexes, on lui mettra les bâtons dans les roues. L’astuce est donc d’améliorer les conditions de vie des deux sexes tout en faisant le lien entre ce progrès et le statut de la femme. « On est des êtres humains, sans différenciation de sexe. Ce sont les conditions sociales et l’éducation qui accentuent en nous ces différences. Chacun doit jouer son rôle dans la société. Un rôle que seules les compétences doivent déterminer et non pas le sexe », analyse Chafiq.

Pourtant, la féministe Fardos Bahnassi voit que l’on est encore bien loin de ce concept. La réalité prouve que les slogans scandés sur la question de l’égalité entre les deux sexes ne sont que de pures apparences, un moyen d’embellir notre image sur la scène mondiale, bref, un enjeu politique.

« Les seules personnes intéressées par le sujet du genre social, c’est l’élite cultivée et les activistes qui travaillent dans le domaine de la lutte pour les droits de la femme. Quant aux simples citoyens, qui sont d’ailleurs les premiers concernés, ils ne sont même pas au courant », confie Bahnassi.

La femme rurale dans l’ombre

La situation dans les villages d’Egypte reflète une toute autre image bien sombre. Dans un village situé au fin fond de Sohag en Haute-Egypte, les femmes n’osent porter ni lunettes si elles ont une vue faible, ni appareil auditif si elles entendent mal. « Seuls les hommes ont droit à ces choses », dit Oum Ahmad, qui entend mal mais ne peut s’offrir cet appareil qui l’aiderait à mieux vivre. « On va dire que je suis sourde, et je ne l’admets pas », dit-elle.

Loin de la Haute-Egypte, au Delta, Oum Bachar raconte les petits détails de sa vie. Des détails qui en disent long sur sa vision des choses. Quand elle était jeune, elle et sa sœur cédaient leur part de viande ou de poulet à leurs frères et leur père, et sa mère donnait l’exemple. Après son mariage, elle a fait la même chose avec son mari et a appris à sa fille que la priorité est toujours aux hommes qui, eux, ont besoin d’être bien nourris et, surtout, bien servis.

« Comment osez-vous me dire qu’une fille et un garçon sont égaux ; l’un va dominer l’autre, avoir le dernier mot, gérer les affaires de la famille et c’est l’homme et c’est comme ça que cela s’est toujours passé », révèle Oum Bachar. Cette femme ne s’est jamais donnée l’occasion de s’arrêter devant ces « détails » et les a toujours considérés comme un fait accompli. Elle trouve que son devoir est de dépenser tout son argent pour la maison en plus des tâches ménagères. Pourtant, ce rôle qu’elle joue depuis des années ne semble pas l’avoir encouragée à changer son image et avoir plus d’estime pour elle-même. D’après Bahnassi, il est inutile de parler de genre social, puisque les traditions qui gèrent nos sociétés ont tendance à favoriser les hommes. Ce sont eux qui prennent les décisions. « Ces derniers ne sont prêts à changer la situation actuelle que sur des papiers. Ce qui explique pourquoi ils résistent à tout changement réel », explique Bahnassi.

La preuve, selon cette dernière, est ce qui se déroule actuellement sur la scène : le Conseil d’Etat « marchandise » pour donner aux femmes des responsabilités judiciaires. « Il faut d’abord changer les mentalités et la culture, et ce n’est pas impossible, il suffit de croire vraiment à cette notion pour développer la société », résume Bahnassi.

La lutte continue

Pourtant, les activistes ne semblent pas baisser les bras. Ils n’arrêtent pas de lutter contre toutes sortes de discriminations à l’égard des femmes. Des ONG et des organisations gouvernementales travaillent sur plusieurs axes, mais l’inégalité existe encore : différence entre les salaires dans certains secteurs publics, on élève encore les filles d’une manière différente que celle des garçons, et bien que le nombre de femmes qui participent à la vie politique augmente d’un jour à l’autre, elles n’ont pas de véritable influence, comme si elles étaient pour le décor.

Selon les études et les statistiques annoncées, la violence contre la femme augmente d’une année à l’autre, l’excision est encore présente avec force, la différence entre le nombre de garçons et de filles qui vont à l’école est énorme, car beaucoup de familles ne voient pas la raison pour laquelle la fille doit être instruite. « Loin des traditions, les lois elles-mêmes présentent aussi une sorte de discrimination contre les femmes. Comme la loi de l’adultère qui condamne l’homme et la femme mais différemment. Et les lois officieuses qui excluent les femmes de certains héritages », dit Abir Ali, avocate au Centre des procès de la femme.

Entre les voix qui demandent une vraie égalité entre les deux sexes et ceux qui utilisent des slogans juste pour la forme, d’autres n’hésitent pas à expliquer comment cette question du genre social n’est qu’une invitation à bouleverser la société, car, d’après eux, ces appels viennent de l’Occident et veulent propager des idées qui ne sont pas les nôtres.

En fait, cette théorie conservatrice semble avoir de plus en plus de poids dans la société. La preuve : ces femmes qui se cachent de plus en plus derrière leur voile et niqab. C’est d’ailleurs elles-mêmes qui demandent la séparation entre les deux sexes, voulant effacer toute une histoire de lutte de leurs grands-mères pour sortir dans la rue et avoir le droit de vivre comme les hommes. « La société doit tenir compte des expériences passées avant de choisir quel chemin suivre. Cette tendance rétrograde limite le rôle de la femme à celui de la mère ou de la maîtresse de maison », a écrit l’écrivain Nabil Abdel-Fattah dans un article qui commente le débat sur le genre social.

Ces intellectuels sont capables de changer la société et la mobiliser à réaliser cette égalité entre ses citoyens sans tenir compte du sexe.

Le jour viendra peut-être des mots comme madame ou demoiselle deviendront signes de discrimination et seront interdits, car considérés comme un langage qui amplifie le genre.

Hanaa Al-Mekkawi

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