Santé.
Une commission technique a décidé de faire évacuer
l’Institut national du cancer, qui risque l’effondrement.
Equipe médicale et surtout patients sont sous le choc.
L’Hebdo a suivi les dernières heures qui ont précédé
l’évacuation.
Un
phare qui s’écroule
Des
lits sont alignés dans tous les sens tout le long d’un
corridor et des centaines de malades ont quitté leurs
pavillons. Les uns sont allongés sur leurs lits ou sur des
matelas par terre sans draps et d’autres enveloppés dans des
couvertures ou transportés dans des chaises roulantes ou des
civières. Des infirmières, les mains chargées d’équipements
médicaux et de matelas, descendent les escaliers, ou aident
les patients à prendre l’ascenseur. Des parents ou des amis
tentent de réconforter leurs malades qui gémissent ou
pleurent. Cette scène affligeante a lieu à l’Institut
national des tumeurs, situé au bout de la rue Qasr Al-Aïni,
où tout le personnel a été appelé en urgence pour préparer
l’évacuation de tous les malades dont la plupart sont des
enfants ou des personnes âgées. C’est fini, l’Institut du
cancer, ou Maahad al-awram comme il est appelé en arabe,
ferme ses portes pour cause d’effondrement imminent. Cette
annonce est d’autant plus choquante que cet institut
représente le phare de tous les malades du cancer, notamment
ceux qui ne peuvent pas se payer le traitement coûteux,
puisque les soins y sont gratuits. Le procureur général a
même ordonné l’ouverture d’une enquête pour comprendre
comment cet édifice, seulement vieux de vingt ans, est dans
un tel état.
Sur
place et en présence des responsables, des médecins et des
infirmières, les malades prennent leur mal en patience. Ils
ont été regroupés au 7e étage. Et pour ne pas les effrayer,
le personnel de l’institut fait l’impossible pour que tout
se passe bien tout en tentant de garder son sang-froid. Mais
cela n’empêche pas les malades d’être inquiets. Certains
tremblent de tous leurs membres et on ne sait si c’est à
cause du froid, de la douleur ou de l’avenir obscur qui les
attend face à une maladie atroce.
Aujourd’hui, l’incertitude règne. Patients et proches se
posent un tas de questions. Bahiya, dont la fille de 5 ans
est atteinte d’un cancer du cerveau, ne sait pas quoi faire
depuis qu’elle a appris que le bâtiment risque de
s’effondrer et va être évacué. Elle a du mal à le croire.
Elle regarde autour d’elle et n’ose prononcer un mot.
Habitant à Charqiya, elle accompagne sa fille trois fois par
semaine depuis deux ans dans ce centre médical bien équipé
pour faire des séances de chimiothérapie gratuitement. « Ma
fille a déjà entamé sa thérapie, comment peut-elle l’arrêter
aussi brusquement ? Elle va, certainement, rechuter. Quel
sera son sort ? Où peut-on aller pour faire la prochaine
séance de chimiothérapie ? Sera-t-elle gratuite ou payante ?
Dans n’importe quel hôpital, une séance de chimiothérapie
coûte au moins 1 400 L.E. », dit Bahiya avec tristesse.
Dans cet
institut, Bahiya ne paie rien. Elle se rappelle qu’il y a
deux ans, on lui avait seulement demandé de faire don de son
sang. Dans cet institut, tous les malades sont soignés
gratuitement car ils n’ont pas les moyens d’aller ailleurs.
En effet,
parents et patients éprouvent un sentiment de gratitude
envers cet institut et son équipe dévouée.
Et
malgré cette scène dramatique, les malades continuent
d’affluer, ne voulant pas croire que l’institut va fermer
ses portes. D’ailleurs, ils ne savent pas où aller ni à qui
s’adresser.
Dans cet
institut dépendant du ministère de l’Enseignement supérieur,
on reçoit les pauvres gens qui affluent des quatre coins
d’Egypte. Des paysans, des fermiers habitant les divers
gouvernorats et même des malades venant de Libye, du Soudan
et du Yémen. Tous sont atteints du cancer.
C’est la
panique générale aussi bien pour l’équipe médicale que pour
les malades et leurs parents, surtout après l’annonce que
l’institut ne pourra plus accueillir personne. Une femme
toute vêtue de noir vient d’arriver du village de Toukh.
Elle tente de rentrer, mais on l’empêche de le faire. « On
n’a pas de place vacante ya setti, ce sont des ordres », lui
lance l’agent de sécurité. Toutes les activités de
l’institut sont suspendues, ce sont des dizaines de patients
qui risquent de se trouver privés de soins vitaux car la
capacité d’accueil est aujourd’hui limitée. Dans les
couloirs de l’institut, plusieurs malades attendent de faire
une séance de chimiothérapie depuis plus d’un mois. D’autres
font le va-et-vient plusieurs fois par semaine pour
connaître le jour où ils pourront être opérés. Mais ils sont
tous sous le choc. « Pas de chimothérapie ni d’intervention,
tout a été ajourné », leur lance l’agent de sécurité.
Pourtant,
le directeur de l’institut, le Dr Salah Abdel-Hadi, qui
tente de les calmer, affirme que les malades ne seront
nullement affectés par l’évacuation de ce bâtiment.
«
Personne ne sait encore ce qu’on va faire, ni où l’on va
évacuer, tout ce monde », dit Naguiya, l’infirmière tout en
lançant à ses patients : « Allez de l’autre côté ... de la
poussière et des cailloux tombent du plafond ... faites
attention à vos têtes ».
Les
responsables, quant à eux, se sont contentés de déclarer que
ce bâtiment sera restauré en un temps record qui ne
dépassera pas les 18 mois. Un terrain vaste situé dans la
région de Tagammoe sera consacré au nouvel institut. Quant à
celui de la rue Qasr Al-Aïni, il sera réservé aux recherches
scientifiques, une fois réinauguré.
Mais, la
question qui se pose aujourd’hui est : comment un édifice
assez récent et qui date de 20 ans seulement est-il sur le
point de s’écrouler ? « Nous avons été surpris comme tout le
monde », commente un médecin de l’hôpital. Le bâtiment en
question a été construit en 1975 et inauguré en 1989 et sa
capacité est de 360 lits.
Cela
fait 20 ans que l’équipe médicale qui travaille dans cet
institut se consacre corps et âme aux malades atteints du
cancer, aidant aussi les enfants à s’adapter à cette
maladie.
Quant au
bâtiment côté nord, bien qu’il remonte à une date plus
lointaine, à savoir 1969, il est dans un état meilleur et
comprend 280 lits. Et le bâtiment central, regroupant les
salles d’opération, de soins intensifs, de chimothérapie et
de radiographie, il accueille entre 700 et 900 cas par jour
et traite 1 500 malades environ par an.
En peu
de temps, il est devenu le seul centre pour les malades
atteints du cancer en Egypte et au Proche-Orient.
Le
bâtiment qui risque de s’effondrer comprend douze étages et
son problème date de 10 ans. Le personnel avait remarqué que
de l’eau s’infiltrait à travers les murs, inondant les
pavillons des malades. Mais ni le doyen, ni le directeur de
l’institut n’ont réagi pour résoudre le problème qui date de
l’année 2000.
Au cours
du mois dernier, une commission technique a été chargée
d’examiner le bâtiment et a automatiquement ordonné son
évacuation pour être restauré.
Le
rapport technique publié par le comité signale de grosses
fissures sur les murs, des façades lézardées ainsi que des
défauts de construction apparents aussi bien à l’intérieur
qu’à l’extérieur du bâtiment. Des éléments qui vont
accélérer l’effondrement du bâtiment si des mesures urgentes
ne sont pas prises pour le restaurer.
La
restauration de ce bâtiment va coûter un minimum de 30
millions et les travaux vont durer deux ans.
L’évacuation du bâtiment sud a débuté la semaine dernière et
devait se prolonger jusque tard dans la nuit. Mais, il
semble que cela pourrait prendre plus de temps, au moins
trois semaines, comme l’affirme le directeur de l’institut,
le Dr Achraf Saad Zaghloul. « On essaie de voir comment
faire dans l’immédiat pour transférer tous les équipements.
On a évacué un grand nombre de malades et on verra si nous
pourrons transférer les cas les plus critiques vers des
centres hospitaliers voisins », précise-t-il.
La
difficulté consiste à trouver des places vacantes dans les
autres établissements hospitaliers. 140 lits ont finalement
été casés dans le bâtiment côté nord, en bon état. Ces
patients ne souffriront pas beaucoup puisqu’ils seront
déplacés à quelques mètres seulement. 100 malades seront
conduits dans un hôpital aux environs du Caire ; les 90
restants se sont admis à l’hôpital universitaire dépendant
de l’Université du Caire.
Les
grandes interventions comme la greffe de moelle auront lieu
soit à l’Institut Nasser ou à l’hôpital d’Al-Cheikh Zayed.
En ce qui concerne les malades, le transport sera assuré par
des ambulances. « Les parents des malades ou l’équipe
médicale seront transportés en bus vers ces destinations »,
confirme le doyen de l’institut, Dr Salah Abdel-Hadi.
Mais les
malades qui souffrent déjà du cancer ne sont pas prêts à
subir plus de souffrances, comme celles qu’ils sont en train
de vivre ces jours-ci. « Nous ne sommes pas obligés de payer
le prix d’une erreur dont nous ne sommes pas responsables »,
lance un malade.
Le
cancer est synonyme de douleur et de mort. C’est le plus
souvent un cauchemar, un véritable parcours du combattant
depuis le choc du diagnostic, l’annonce de la maladie, la
découverte de la tumeur ou des cellules malignes, passant
par la visite de routine chez le médecin, le traitement
incessant et le rythme monotone des examens systématiques,
des séances de radiothérapie, de chimiothérapie, des
consultations, du bloc opératoire mais aussi parfois la
rechute …
C’est le
cas de Badia, 45 ans, qui a subi une intervention
chirurgicale gratuitement à l’institut. Elle avait une
tumeur au sein. Aujourd’hui, après deux ans, elle doit
refaire la même intervention. Maintenant, il n’y a plus de
place libre à l’institut. « Que dois-je faire ? », se
demande-t-elle. Le cancérologue qui suivait son cas l’a
avertie que les frais de son traitement peuvent atteindre
les 140 000 L.E. Badia ne sait pas à qui s’adresser. « Je ne
peux demander à personne de me prêter cette somme, surtout
que la guérison n’est pas du tout garantie. Je préfère
partir en silence sans provoquer de mal à quiconque. Il
suffit pour ma famille le malheur de la séparation, je ne
peux pas me permettre de la laisser, en plus, dans le besoin
», dit Badia, avec une douloureuse résignation.
Manar
Attiya