Al-Ahram Hebdo, Enquête | Un phare qui s’écroule
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 3 au 9 février 2010, numéro 804

 

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Enquête

Santé. Une commission technique a décidé de faire évacuer l’Institut national du cancer, qui risque l’effondrement. Equipe médicale et surtout patients sont sous le choc. L’Hebdo a suivi les dernières heures qui ont précédé l’évacuation.

Un phare qui s’écroule

Des lits sont alignés dans tous les sens tout le long d’un corridor et des centaines de malades ont quitté leurs pavillons. Les uns sont allongés sur leurs lits ou sur des matelas par terre sans draps et d’autres enveloppés dans des couvertures ou transportés dans des chaises roulantes ou des civières. Des infirmières, les mains chargées d’équipements médicaux et de matelas, descendent les escaliers, ou aident les patients à prendre l’ascenseur. Des parents ou des amis tentent de réconforter leurs malades qui gémissent ou pleurent. Cette scène affligeante a lieu à l’Institut national des tumeurs, situé au bout de la rue Qasr Al-Aïni, où tout le personnel a été appelé en urgence pour préparer l’évacuation de tous les malades dont la plupart sont des enfants ou des personnes âgées. C’est fini, l’Institut du cancer, ou Maahad al-awram comme il est appelé en arabe, ferme ses portes pour cause d’effondrement imminent. Cette annonce est d’autant plus choquante que cet institut représente le phare de tous les malades du cancer, notamment ceux qui ne peuvent pas se payer le traitement coûteux, puisque les soins y sont gratuits. Le procureur général a même ordonné l’ouverture d’une enquête pour comprendre comment cet édifice, seulement vieux de vingt ans, est dans un tel état.

Sur place et en présence des responsables, des médecins et des infirmières, les malades prennent leur mal en patience. Ils ont été regroupés au 7e étage. Et pour ne pas les effrayer, le personnel de l’institut fait l’impossible pour que tout se passe bien tout en tentant de garder son sang-froid. Mais cela n’empêche pas les malades d’être inquiets. Certains tremblent de tous leurs membres et on ne sait si c’est à cause du froid, de la douleur ou de l’avenir obscur qui les attend face à une maladie atroce.

Aujourd’hui, l’incertitude règne. Patients et proches se posent un tas de questions. Bahiya, dont la fille de 5 ans est atteinte d’un cancer du cerveau, ne sait pas quoi faire depuis qu’elle a appris que le bâtiment risque de s’effondrer et va être évacué. Elle a du mal à le croire. Elle regarde autour d’elle et n’ose prononcer un mot. Habitant à Charqiya, elle accompagne sa fille trois fois par semaine depuis deux ans dans ce centre médical bien équipé pour faire des séances de chimiothérapie gratuitement. « Ma fille a déjà entamé sa thérapie, comment peut-elle l’arrêter aussi brusquement ? Elle va, certainement, rechuter. Quel sera son sort ? Où peut-on aller pour faire la prochaine séance de chimiothérapie ? Sera-t-elle gratuite ou payante ? Dans n’importe quel hôpital, une séance de chimiothérapie coûte au moins 1 400 L.E. », dit Bahiya avec tristesse.

Dans cet institut, Bahiya ne paie rien. Elle se rappelle qu’il y a deux ans, on lui avait seulement demandé de faire don de son sang. Dans cet institut, tous les malades sont soignés gratuitement car ils n’ont pas les moyens d’aller ailleurs.

En effet, parents et patients éprouvent un sentiment de gratitude envers cet institut et son équipe dévouée.

Et malgré cette scène dramatique, les malades continuent d’affluer, ne voulant pas croire que l’institut va fermer ses portes. D’ailleurs, ils ne savent pas où aller ni à qui s’adresser.

Dans cet institut dépendant du ministère de l’Enseignement supérieur, on reçoit les pauvres gens qui affluent des quatre coins d’Egypte. Des paysans, des fermiers habitant les divers gouvernorats et même des malades venant de Libye, du Soudan et du Yémen. Tous sont atteints du cancer.

C’est la panique générale aussi bien pour l’équipe médicale que pour les malades et leurs parents, surtout après l’annonce que l’institut ne pourra plus accueillir personne. Une femme toute vêtue de noir vient d’arriver du village de Toukh. Elle tente de rentrer, mais on l’empêche de le faire. « On n’a pas de place vacante ya setti, ce sont des ordres », lui lance l’agent de sécurité. Toutes les activités de l’institut sont suspendues, ce sont des dizaines de patients qui risquent de se trouver privés de soins vitaux car la capacité d’accueil est aujourd’hui limitée. Dans les couloirs de l’institut, plusieurs malades attendent de faire une séance de chimiothérapie depuis plus d’un mois. D’autres font le va-et-vient plusieurs fois par semaine pour connaître le jour où ils pourront être opérés. Mais ils sont tous sous le choc. « Pas de chimothérapie ni d’intervention, tout a été ajourné », leur lance l’agent de sécurité.

Pourtant, le directeur de l’institut, le Dr Salah Abdel-Hadi, qui tente de les calmer, affirme que les malades ne seront nullement affectés par l’évacuation de ce bâtiment.

« Personne ne sait encore ce qu’on va faire, ni où l’on va évacuer, tout ce monde », dit Naguiya, l’infirmière tout en lançant à ses patients : « Allez de l’autre côté ... de la poussière et des cailloux tombent du plafond ... faites attention à vos têtes ».

Les responsables, quant à eux, se sont contentés de déclarer que ce bâtiment sera restauré en un temps record qui ne dépassera pas les 18 mois. Un terrain vaste situé dans la région de Tagammoe sera consacré au nouvel institut. Quant à celui de la rue Qasr Al-Aïni, il sera réservé aux recherches scientifiques, une fois réinauguré.

Mais, la question qui se pose aujourd’hui est : comment un édifice assez récent et qui date de 20 ans seulement est-il sur le point de s’écrouler ? « Nous avons été surpris comme tout le monde », commente un médecin de l’hôpital. Le bâtiment en question a été construit en 1975 et inauguré en 1989 et sa capacité est de 360 lits.

Cela fait 20 ans que l’équipe médicale qui travaille dans cet institut se consacre corps et âme aux malades atteints du cancer, aidant aussi les enfants à s’adapter à cette maladie.

Quant au bâtiment côté nord, bien qu’il remonte à une date plus lointaine, à savoir 1969, il est dans un état meilleur et comprend 280 lits. Et le bâtiment central, regroupant les salles d’opération, de soins intensifs, de chimothérapie et de radiographie, il accueille entre 700 et 900 cas par jour et traite 1 500 malades environ par an.

En peu de temps, il est devenu le seul centre pour les malades atteints du cancer en Egypte et au Proche-Orient.

Le bâtiment qui risque de s’effondrer comprend douze étages et son problème date de 10 ans. Le personnel avait remarqué que de l’eau s’infiltrait à travers les murs, inondant les pavillons des malades. Mais ni le doyen, ni le directeur de l’institut n’ont réagi pour résoudre le problème qui date de l’année 2000.

Au cours du mois dernier, une commission technique a été chargée d’examiner le bâtiment et a automatiquement ordonné son évacuation pour être restauré.

Le rapport technique publié par le comité signale de grosses fissures sur les murs, des façades lézardées ainsi que des défauts de construction apparents aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du bâtiment. Des éléments qui vont accélérer l’effondrement du bâtiment si des mesures urgentes ne sont pas prises pour le restaurer.

La restauration de ce bâtiment va coûter un minimum de 30 millions et les travaux vont durer deux ans.

L’évacuation du bâtiment sud a débuté la semaine dernière et devait se prolonger jusque tard dans la nuit. Mais, il semble que cela pourrait prendre plus de temps, au moins trois semaines, comme l’affirme le directeur de l’institut, le Dr Achraf Saad Zaghloul. « On essaie de voir comment faire dans l’immédiat pour transférer tous les équipements. On a évacué un grand nombre de malades et on verra si nous pourrons transférer les cas les plus critiques vers des centres hospitaliers voisins », précise-t-il.

La difficulté consiste à trouver des places vacantes dans les autres établissements hospitaliers. 140 lits ont finalement été casés dans le bâtiment côté nord, en bon état. Ces patients ne souffriront pas beaucoup puisqu’ils seront déplacés à quelques mètres seulement. 100 malades seront conduits dans un hôpital aux environs du Caire ; les 90 restants se sont admis à l’hôpital universitaire dépendant de l’Université du Caire.

Les grandes interventions comme la greffe de moelle auront lieu soit à l’Institut Nasser ou à l’hôpital d’Al-Cheikh Zayed. En ce qui concerne les malades, le transport sera assuré par des ambulances. « Les parents des malades ou l’équipe médicale seront transportés en bus vers ces destinations », confirme le doyen de l’institut, Dr Salah Abdel-Hadi.

Mais les malades qui souffrent déjà du cancer ne sont pas prêts à subir plus de souffrances, comme celles qu’ils sont en train de vivre ces jours-ci. « Nous ne sommes pas obligés de payer le prix d’une erreur dont nous ne sommes pas responsables », lance un malade.

Le cancer est synonyme de douleur et de mort. C’est le plus souvent un cauchemar, un véritable parcours du combattant depuis le choc du diagnostic, l’annonce de la maladie, la découverte de la tumeur ou des cellules malignes, passant par la visite de routine chez le médecin, le traitement incessant et le rythme monotone des examens systématiques, des séances de radiothérapie, de chimiothérapie, des consultations, du bloc opératoire mais aussi parfois la rechute …

C’est le cas de Badia, 45 ans, qui a subi une intervention chirurgicale gratuitement à l’institut. Elle avait une tumeur au sein. Aujourd’hui, après deux ans, elle doit refaire la même intervention. Maintenant, il n’y a plus de place libre à l’institut. « Que dois-je faire ? », se demande-t-elle. Le cancérologue qui suivait son cas l’a avertie que les frais de son traitement peuvent atteindre les 140 000 L.E. Badia ne sait pas à qui s’adresser. « Je ne peux demander à personne de me prêter cette somme, surtout que la guérison n’est pas du tout garantie. Je préfère partir en silence sans provoquer de mal à quiconque. Il suffit pour ma famille le malheur de la séparation, je ne peux pas me permettre de la laisser, en plus, dans le besoin », dit Badia, avec une douloureuse résignation.

Manar Attiya

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