|
|
Salon du
Livre du Caire. Ibrahim Al-Moallem,
vice-président de l’Union mondiale des éditeurs, et
Helmi Al-Namnam,
vice-président de l’Organisme général égyptien du livre,
livrent leur bilan de la 44e édition. |
« Il faut
créer une société professionnelle indépendante pour gérer le
salon »
Al-Ahram
Hebdo : Comment percevez-vous l’avenir du Salon
international du livre du Caire en tant qu’éditeur et vice-président
de l’Union mondiale des éditeurs ?
Ibrahim
Al-Moallem :
Il est
exagéré d’appeler cette rencontre, basée sur l’idée de salon
et d’agora, d’« internationale ». Même si le Salon du livre
du Caire est une véritable occasion de répondre à cette
demande, il reste éloigné d’une dimension internationale. Il
s’agit certes de la plus grande rencontre entre le public et
le livre dans le monde arabo-musulman. Mais le ministère de
la Culture se trompe de rôle. Je regrette amèrement le fait
que cette occasion peine à se placer au premier rang de ce
genre d’événements internationaux.
—
Pourquoi, selon vous, le ministère de la Culture se
trompe-t-il de rôle ?
— Le
ministère de la Culture insiste à jouer un rôle comme il se
doit dans la coutume démocratique et comme l’impose le
contexte du XXIe siècle et la mondialisation : celui de
contrôleur de la qualité du service culturel présenté aux
citoyens et de régulateur du marché de l’industrie
culturelle. Pourtant, il adopte la politique de l’autruche.
Il veut tout faire. Le prix de cet amateurisme est d’être
marginalisé, de ne plus compter dans les contextes culturels
significatifs. Inutile d’expliquer que le Salon du livre
devrait inclure des rencontres entre professionnels du livre,
c’est-à-dire écrivains, éditeurs, bibliothécaires,
documentalistes, professeurs, chercheurs, libraires ... Dans
le passé, on voyait par exemple le fondateur de Gallimard,
la Maison Française d’Edition, venir participer au Salon du
livre du Caire. Vendre des livres au public, comme cela se
fait au Salon du Caire, est important. Mais c’est une
activité autre. De plus, les colloques auxquels sont invités
des personnalités politiques n’ont pas beaucoup de sens.
— Dans
quelle direction ce salon devrait-il évoluer pour bénéficier
à l’industrie culturelle du livre ?
— Cette
rencontre est aussi un marché, économiquement parlant, pour
les droits d’auteurs, des créateurs et des détenteurs des
droits d’auteurs. Cela permet de traduire des auteurs locaux
dans différentes langues, d’intégrer les œuvres et créations
du monde dans la culture locale et de partager les
expériences. Sans cela, le mouvement d’échange et de partage
interculturel perd son dynamisme. Aujourd’hui, le Salon du
livre d’Abou-Dhabi est internationalement plus reconnu que
celui du Caire, après son partenariat avec le Salon de
Frankfort. Il y a quelques années, j’ai organisé une
rencontre entre le ministre égyptien de la Culture et Herman
P. Spuijt, le président du Salon de Frankfort. Enthousiaste,
ce dernier a proposé au ministre une coopération sous la
forme qui lui semblerait adéquate. Mais rien n’a été fait
depuis du côté égyptien. En proposant ce partenariat, M.
Spuijt a montré qu’il était conscient du potentiel du Salon
du Caire. Aujourd’hui, le salon rate l’occasion d’être parmi
les meilleurs.
— Le
ministère égyptien de la Culture s’appuie cette année sur de
nouveaux cadres plus jeunes et plus ouverts pour
l’organisation du salon. Ne voyez-vous aucune amélioration ?
—
Malheureusement, non. Cela n’a rien changé. Le système
administratif gouvernemental ne s’appuie sur ces cadres que
dans une infime mesure. Le cadre bureaucratique majoritaire
manque de capacité à organiser cet événement à un niveau
international. Depuis quelques années, ils dopent les
chiffres de l’affluence et des participations. Il y a
quelques années, le mensonge était tellement flagrant que
cela est devenu comique. En déclarant que les titres des
livres présentés ont atteint le nombre de 15 millions alors
que la production écrite de l’humanité depuis l’invention de
l’alphabet et de l’écriture n’a pas atteint ce chiffre, une
erreur a été commise. Ce qui est grave, c’est qu’il est
difficile de savoir s’il s’agit de mauvaise foi, d’ignorance,
ou encore d’incompétence avec un chiffre choisi au hasard et
qui sonne prestigieux. Dire aussi que les visiteurs
dépassent le million de personnes n’a pas de sens. Certes,
ils dépassent les 100 000 par jour et c’est déjà un bon
chiffre. Le salon est grand par nature, il n’est pas
nécessaire de gonfler ces chiffres. Donner un chiffre exact
refléterait du professionnalisme.
— Quelle
solution préconisez-vous ?
— Il
faut donner du temps à la nouvelle équipe, mais je pense
qu’il est inévitable de créer une société professionnelle
indépendante pour gérer et organiser le salon, et dont le
but ne serait pas la réalisation de bénéfices financiers.
Elle mènerait un vrai travail d’organisation d’un salon
international digne de ce nom sans pour autant écarter le
soutien du ministère, s’il le faut, pour gérer les colloques,
les concerts et autres rencontres. Mais surtout pour
s’assurer du niveau et de la qualité du service culturel, et
du bon déroulement du salon à ses différents niveaux et,
pourquoi pas, développer l’esprit d’agora recréé à cette
occasion, mais sur des bases liées à l’actualité du livre.
— Et à
ce niveau, en quoi se trompe l’Etat ?
— Il
veut faire tout à la fois. Organiser, accueillir, éditer ...
Mais en fin de compte, ce travail n’est ni fait ni à refaire.
Les participations internationales sont devenues étatiques.
Elles se limitent aux ambassades et centres culturels
étrangers au Caire et non plus aux éditeurs, écrivains et
professionnels du livre des quatre coins du monde comme cela
devrait avoir lieu. C’est là qu’il faut réagir.
|
« Il faut
préserver le caractère populaire de l’événement »
Al-Ahram
Hebdo : En tant que nouveau vice-président du GEBO, quel est
votre bilan du salon de cette année ?
Helmi Al-Namnam
:
Le bilan de
cette année est plutôt positif. On a réussi à installer l’ordre
et la propreté, comme on a lutté contre les marchands ambulants.
Nous nous sommes engagés à donner les chiffres exacts pour en
tirer des analyses précises et objectives qui reflètent la
réalité de la scène culturelle égyptienne. Pour l’anecdote,
j’étais parmi ceux qui ont soulevé la question des chiffres dans
le passé, et je trouve cela inadmissible, mais c’est du passé.
Quant à la production de l’Organisme du livre cette année, on a
présenté 93 nouveaux titres, et les ventes ont beaucoup augmenté
par rapport aux années précédentes. D’un autre côté, aucun livre
n’a été censuré au Salon du livre.
— Mais,
qu’en est-il du roman d’Idriss Ali qui semble être accusé de
diffamation et atteinte à l’honneur d’un chef d’Etat ami,
vraisemblablement du leader libyen, et qui remet en usage un
délit banni dans le monde entier ?
— Cela est
une autre question loin du salon. J’ai lu le roman, il ne mérite
pas ce sort. Mais c’est l’éditeur lui-même qui a informé la
police et l’a visiblement orientée pour faire appliquer ce texte
de loi dans la jurisprudence égyptienne qui protège les
homologues étrangers du chef de l’Etat. Cet acte — qu’on dénonce
de toute façon comme tout autre acte qui limite la liberté
d’expression — n’a aucune relation avec le Salon du livre.
— Que
dites-vous à propos du désengagement de la participation
internationale et que ce salon ne constitue pas de station
internationale de partage des droits d’auteurs ?
— Cela est
lié plutôt à la faible lecture des Egyptiens en langues
étrangères. Cette année, le Centre culturel britannique a fermé
sa bibliothèque, cela est pour l’anglais, et pour le français,
on dénombre les titres des journaux et magazines en français qui
ont mis les clefs sous les portes. Donc, le retour commercial de
la participation internationale n’est pas garanti. D’un autre
côté, les prix de ces livres venant d’Europe sont exorbitants.
Imaginer que le public du Salon du livre, comme pour un salarié
égyptien, puisse acheter un livre à 500 ou 600 L.E., dans le
contexte économique actuel, est très optimiste et semble se
rapprocher de la fiction et de l’imaginaire qu’à la réalité. En
tant que détenteur des chiffres, je peux te dire que le pavillon
qui a le plus de succès est celui de la bibliothèque de la
famille, où le livre est vendu entre une et trois L.E., de même
pour le fameux espace de bouquinistes, Sour Al-Azbekiya, en
plein air, où se vendent les livres anciens et les bon marché.
— Et les
espoirs d’un salon international ne se sont-ils pas dirigés vers
Abou-Dhabi et d’autres foires plus dynamiques dans la région ?
— A titre
d’exemple, une version de la Foire de Francfort s’est déplacée à
Abou-Dhabi à la demande de l’Emirat. Dans ce genre de pays,
comme en Arabie saoudite, ce sont les universités et les
institutions qui s’engagent à prendre des exemplaires des
éditeurs, par nombre décimal au mieux. Mais le véritable public
du livre ne peut se trouver que dans des villes où l’on compte
les habitants par millions. Mais cela n’empêche que dans la
région, en général, la crise de la lecture est réelle. Aux pays
du Golfe, et plus au Caire, l’hégémonie de la culture orale est
de plus en plus la règle. Les gens écoutent le Coran et ne le
lisent pas. Avec la parabole et les chaînes satellites, la
situation se rétrograde et s’empire de jour en jour. Il en faut
un véritable plan pour inciter à la lecture, et cela est ce que
nous sommes en train de faire.
— L’Etat
n’assume-t-il pas trop de responsabilité, sans un résultat
satisfaisant pour la culture ? N’est-il pas le moment pour
compter sur le secteur privé ? Que pensez-vous de l’idée d’une
société indépendante pour gérer l’événement ?
— Le Salon
du livre était créé par l’Etat, et je pense qu’il faut qu’il
reste à l’Etat. Parce qu’il y en a dedans l’idée aussi de
subventionner la culture des masses. Si le secteur privé veut
organiser son événement, il n’a qu’à le faire. Il faut créer de
nombreuses formes de coopération, ils ont à participer
activement, par exemple, dans le programme national de la
traduction. Mais le Salon représente l’Etat quand elle fête la
culture, son rôle est de présenter les livres à bas prix et
s’assurer de l’accessibilité du livre aux plus démunis, toutes
activités autres en dépit de leurs importances restent
secondaires. |
|
|
Propos
recueillis par Amr Zoheiri |
|
|