Présidente de l’Association des femmes arabes de la presse
et de la communication à Paris et codirectrice de
l’Observatoire des études géopolitiques,
Zeina El Tibi est une
invitée du Salon international du livre du Caire. L’écrivain
franco-libanaise défend la francophonie en tant qu’outil
respectant l’identité de l’Autre.
Un
être pour deux mondes
A la
fois libanaise et française, elle est en parfaite harmonie
avec ces deux nationalités. Zeina El Tibi, une personnalité
loin de laisser indifférent. Les yeux noirs, les cheveux
courts et lisses, cette dame, toujours tirée à quatre
épingles, n’hésite pas à parler en arabe et à vous
accueillir chaleureusement. Elle vient sans doute du pays du
Cèdre. Mais elle passe avec aisance à la langue française et
s’acharne à défendre la francophonie, peut-être plus que les
Français eux-mêmes. « Quand De Gaule est décédé, la France
est devenue veuve et le Liban orphelin », a-t-elle répété
pendant le colloque organisé au Salon du livre pour
expliquer le rapport entre le Liban et la France. Issue
d’une ancienne famille de la presse libanaise, elle avait
l’amour du journalisme dans les veines. Son grand-père,
Chaker El Tibi, avait fondé après la première guerre
mondiale le journal Ikha (fraternité). Son père, Wafik El
Tibi, a créé, après la seconde guerre mondiale avec son
frère Afif, le quotidien nationaliste Al-Yom (le Jour). Il
était aussi président du syndicat des Rédacteurs de la
presse libanaise et fut doyen de l’Institut national pour la
formation des journalistes. « Mon père a fait entrer l’étude
du journalisme à l’Université libanaise, il a formé des
générations de journalistes et il était connu pour la
fermeté de ses convictions ainsi que son esprit ouvert et
tolérant. Je pense avoir suivi ses pas », raconte-t-elle.
Cela va sans dire. Le journalisme est, pour elle, un métier
noble ayant une mission honnête qui est le respect de ses
convictions ainsi que le respect de l’esprit des autres. «
Je ne supporte pas les mesquineries. Par exemple, les
caricatures faites sur le prophète Mohamad au Danemark est
un fait mesquin. Si on voulait vraiment le critiquer, qu’on
le fasse mais avec élégance », explique-t-elle mécontente.
Elle a aussi hérité de son père un penchant nationaliste.
Mais quel nationalisme ? « Oui, je suis une nationaliste
arabe et je ne le cache pas. Mais, il faut souligner que le
nationalisme des années 1970 est complètement différent de
celui de nos jours. Aujourd’hui, avec l’entêtement israélien
qui refuse une paix réelle et s’oppose à l’établissement
d’un Etat palestinien et à la présence d’un peuple
palestinien, le nationalisme se trouve coincé entre
extrémisme et appel à l’intervention étrangère »,
indique-t-elle.
Cette
intellectuelle, dévouée aux dialogues des cultures, est
préoccupée par la crise de son pays natal. Ainsi a-t-elle
mentionné dans l’un de ses articles publiés à la revue
d’études géopolitiques que la crise libanaise ne pourrait
être résolue que par l’union nationale qui garantirait par
la suite une paix civile. Mais la francophonie peut-elle
vraiment jouer un rôle dans cette affaire ? « La
francophonie n’est qu’une aide externe. Sarkozy a invité
toutes les parties libanaises sans exception à se réunir à
Saint Cloud. Mais, pour sortir de l’impasse, c’est à
nous-mêmes les Libanais de prendre les décisions : chacun
doit faire des concessions. Personne n’a ni totalement
raison ni totalement tort. Si le Hezbollah se déclare à la
résistance, c’est contre quoi ? Bien sûr, contre un danger
extérieur. Si on fait la paix, on n’aura pas besoin d’armes.
Le problème c’est qu’on a besoin de résistance quand même et
qu’on soit pour ou contre le Hezbollah, on ne peut pas dire
à Israël Amen tout le temps », assure-t-elle.
Installée à Paris depuis 1976, Zeina El Tibi, qui préside
l’Association des femmes arabes de la presse et de la
communication à Paris et qui occupe le poste de codirectrice
de l’Observatoire d’études géopolitiques, suit toujours de
près la situation de son pays. « Le Liban passe par une
période très difficile de son histoire. Les chaînes de télé
satellites ne représentent que 10 % des Libanais. Or,
l’image du vrai Libanais n’est pas réellement reflétée par
ses médias. 28,5 % de la population est pauvre et le taux de
chômage atteint 44 % », annonce-t-elle. Mais les
déclarations du nouveau gouvernement, avec en tête Saad
Al-Hariri, lui donnent quelque lueur d’optimisme. Zeina El
Tibi se montre très attachée à ses racines. Une certaine
nostalgie se ressent à travers ses mots, ses yeux brillent
en insérant un proverbe arabe au sein de son discours. Cela
n’empêche qu’elle s’identifie à la France, son pays
d’accueil. « Je suis arrivée à Paris avec un certain bagage
culturel auquel j’ai ajouté d’autres avec le temps. Je ne
pourrai jamais oublier que le gouvernement français a
facilité à l’époque les démarches d’inscription des Libanais
à l’Université française », dit-elle.
La route
de Beyrouth à Paris n’était pas évidente. Jeune fille
appartenant à une famille aisée et de renom, elle menait à
Beyrouth une vie comblée. Une fois la guerre déclenchée, ses
parents prennent la décision de l’envoyer avec ses deux
frères à Paris pour rejoindre leur frère aîné déjà sur
place. « C’était très dur. On a quitté la maison en véhicule
blindé. Mon père est resté parce qu’il avait des
responsabilités et ma mère n’a pas voulu lâcher ses racines.
Elle a réussi à construire une autre maison loin de
Beyrouth. Une manière de nous garder attachés à nos racines
». La guerre a gravement marqué sa jeunesse surtout que,
selon ses termes, c’était une guerre qui ne servait à rien.
« J’ai évité de raconter à ma fille des histoires sur la
guerre libanaise parce que cela me fait toujours mal au cœur
et je ne voulais pas la faire souffrir. Mais maintenant,
elle commence à la découvrir elle-même », dévoile-t-elle.
Zeina a
su s’adapter aux nouvelles normes imposées dans la société
française, tout en gardant ses propres valeurs d’Arabe. Une
interaction qui lui a permis de s’intégrer et d’être
productive. « Une fois à Paris, j’ai réalisé que je devais
compter sur moi-même. Alors, je me suis inscrite à
l’université pour poursuivre mes études en Histoire et j’ai
travaillé comme correspondante à la Revue du Liban ». Et le
voilà, le journalisme lui a ouvert les portes d’une nouvelle
vie heureuse et surtout plus sereine. « Je suis allée faire
un entretien avec l’écrivain Charles Saint-Prot qui a rédigé
un livre intitulé : La politique arabe de la France ».
L’entretien s’est terminé et une histoire d’amour a commencé.
Elle était éblouie par sa façon de voir les choses, « son
aptitude d’entreprendre une analyse profonde et réelle des
faits et bien sûr sa tendance de pro-arabe ». Zeina a cessé,
dorénavant, de sentir le déracinement. La présence de son
mari lui était un support moral énorme. Ce couple traduit
bien ce que signifie un amour mûr ; tous les deux peignent
une image de complémentarité, de compromis humain. Elle lui
lance un regard comme pour vérifier une information, il
intervient pour lui rappeler un incident. Tous les deux
n’ont pas hésité à mettre leur nom sur le carton
d’invitation en français et en arabe comme s’ils voulaient
confirmer les deux identités. « Au Liban, j’étais dans un
lycée francophone où j’ai étudié l’Histoire et la géographie
de la France. Mon mari est très proche du monde arabe par
ses études et ses recherches. On a donc des points de
rencontre. On est un couple franco-arabe », sourit-elle.
L’on comprend, alors, comment ce couple harmonieux
s’entraide dans la direction de l’Observatoire d’études
géopolitiques. Leur agenda est chargé : un colloque à
Beyrouth, un autre au Caire. Avec toujours comme un grand
titre : la problématique des dialogues de cultures. Un sujet
qui les préoccupe. Lui, il le traite au niveau de la
politique et de l’islam, elle l’aborde surtout sur le plan
de la francophonie. Elle a même rédigé un livre intitulé Le
Québec, l’Amérique en français, considéré comme une
référence en la matière. Elle a profité des reportages avec
des personnalités politiques ou d’autres dans le domaine
universitaire et économique. Bref, des Québécois de tous les
milieux pour esquisser le portrait d’une province canadienne
qui a tant lutté pour conserver une identité spécifique et
qui fait l’enrichissement culturel du Canada. « La
francophonie ne doit pas dévier l’identité nationale. Par
contre, elle doit respecter les identités et instaurer un
dialogue », note-t-elle.
Et
toujours dans le but de favoriser un dialogue entre les deux
rives de la Méditerranée, Zeina El Tibi a fondé en 2006
l’Association des femmes arabes de la presse et de la
communication à Paris. « L’Association a plusieurs rôles :
se réunir, se connaître, s’entraider et surtout créer un
réseau professionnel entre les jeunes journalistes et les
administrations, mais aussi organiser des rencontres avec
des personnalités politiques éminentes et présenter des
modèles de femmes du monde arabe à la société française.
Nous avons invité par exemple une femme sahraouie qui était
la présidente du Club des femmes d’affaires pour la région
du Sud du Maroc. Elle a souligné comment la femme arabe
n’est pas figée, mais au contraire active et dynamique ».
Zeina El Tibi en fait partie. Elle appartient à ce genre de
personnes aux normes et valeurs universelles.
Lamiaa Al-Sadaty