Al-Ahram Hebdo, Visages | Zeina El Tibi, Un être pour deux mondes
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 10 au 16 février 2010, numéro 805

 

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Visages

Présidente de l’Association des femmes arabes de la presse et de la communication à Paris et codirectrice de l’Observatoire des études géopolitiques, Zeina El Tibi est une invitée du Salon international du livre du Caire. L’écrivain franco-libanaise défend la francophonie en tant qu’outil respectant l’identité de l’Autre.

Un être pour deux mondes

A la fois libanaise et française, elle est en parfaite harmonie avec ces deux nationalités. Zeina El Tibi, une personnalité loin de laisser indifférent. Les yeux noirs, les cheveux courts et lisses, cette dame, toujours tirée à quatre épingles, n’hésite pas à parler en arabe et à vous accueillir chaleureusement. Elle vient sans doute du pays du Cèdre. Mais elle passe avec aisance à la langue française et s’acharne à défendre la francophonie, peut-être plus que les Français eux-mêmes. « Quand De Gaule est décédé, la France est devenue veuve et le Liban orphelin », a-t-elle répété pendant le colloque organisé au Salon du livre pour expliquer le rapport entre le Liban et la France. Issue d’une ancienne famille de la presse libanaise, elle avait l’amour du journalisme dans les veines. Son grand-père, Chaker El Tibi, avait fondé après la première guerre mondiale le journal Ikha (fraternité). Son père, Wafik El Tibi, a créé, après la seconde guerre mondiale avec son frère Afif, le quotidien nationaliste Al-Yom (le Jour). Il était aussi président du syndicat des Rédacteurs de la presse libanaise et fut doyen de l’Institut national pour la formation des journalistes. « Mon père a fait entrer l’étude du journalisme à l’Université libanaise, il a formé des générations de journalistes et il était connu pour la fermeté de ses convictions ainsi que son esprit ouvert et tolérant. Je pense avoir suivi ses pas », raconte-t-elle. Cela va sans dire. Le journalisme est, pour elle, un métier noble ayant une mission honnête qui est le respect de ses convictions ainsi que le respect de l’esprit des autres. « Je ne supporte pas les mesquineries. Par exemple, les caricatures faites sur le prophète Mohamad au Danemark est un fait mesquin. Si on voulait vraiment le critiquer, qu’on le fasse mais avec élégance », explique-t-elle mécontente. Elle a aussi hérité de son père un penchant nationaliste. Mais quel nationalisme ? « Oui, je suis une nationaliste arabe et je ne le cache pas. Mais, il faut souligner que le nationalisme des années 1970 est complètement différent de celui de nos jours. Aujourd’hui, avec l’entêtement israélien qui refuse une paix réelle et s’oppose à l’établissement d’un Etat palestinien et à la présence d’un peuple palestinien, le nationalisme se trouve coincé entre extrémisme et appel à l’intervention étrangère », indique-t-elle.

Cette intellectuelle, dévouée aux dialogues des cultures, est préoccupée par la crise de son pays natal. Ainsi a-t-elle mentionné dans l’un de ses articles publiés à la revue d’études géopolitiques que la crise libanaise ne pourrait être résolue que par l’union nationale qui garantirait par la suite une paix civile. Mais la francophonie peut-elle vraiment jouer un rôle dans cette affaire ? « La francophonie n’est qu’une aide externe. Sarkozy a invité toutes les parties libanaises sans exception à se réunir à Saint Cloud. Mais, pour sortir de l’impasse, c’est à nous-mêmes les Libanais de prendre les décisions : chacun doit faire des concessions. Personne n’a ni totalement raison ni totalement tort. Si le Hezbollah se déclare à la résistance, c’est contre quoi ? Bien sûr, contre un danger extérieur. Si on fait la paix, on n’aura pas besoin d’armes. Le problème c’est qu’on a besoin de résistance quand même et qu’on soit pour ou contre le Hezbollah, on ne peut pas dire à Israël Amen tout le temps », assure-t-elle.

Installée à Paris depuis 1976, Zeina El Tibi, qui préside l’Association des femmes arabes de la presse et de la communication à Paris et qui occupe le poste de codirectrice de l’Observatoire d’études géopolitiques, suit toujours de près la situation de son pays. « Le Liban passe par une période très difficile de son histoire. Les chaînes de télé satellites ne représentent que 10 % des Libanais. Or, l’image du vrai Libanais n’est pas réellement reflétée par ses médias. 28,5 % de la population est pauvre et le taux de chômage atteint 44 % », annonce-t-elle. Mais les déclarations du nouveau gouvernement, avec en tête Saad Al-Hariri, lui donnent quelque lueur d’optimisme. Zeina El Tibi se montre très attachée à ses racines. Une certaine nostalgie se ressent à travers ses mots, ses yeux brillent en insérant un proverbe arabe au sein de son discours. Cela n’empêche qu’elle s’identifie à la France, son pays d’accueil. « Je suis arrivée à Paris avec un certain bagage culturel auquel j’ai ajouté d’autres avec le temps. Je ne pourrai jamais oublier que le gouvernement français a facilité à l’époque les démarches d’inscription des Libanais à l’Université française », dit-elle.

La route de Beyrouth à Paris n’était pas évidente. Jeune fille appartenant à une famille aisée et de renom, elle menait à Beyrouth une vie comblée. Une fois la guerre déclenchée, ses parents prennent la décision de l’envoyer avec ses deux frères à Paris pour rejoindre leur frère aîné déjà sur place. « C’était très dur. On a quitté la maison en véhicule blindé. Mon père est resté parce qu’il avait des responsabilités et ma mère n’a pas voulu lâcher ses racines. Elle a réussi à construire une autre maison loin de Beyrouth. Une manière de nous garder attachés à nos racines ». La guerre a gravement marqué sa jeunesse surtout que, selon ses termes, c’était une guerre qui ne servait à rien. « J’ai évité de raconter à ma fille des histoires sur la guerre libanaise parce que cela me fait toujours mal au cœur et je ne voulais pas la faire souffrir. Mais maintenant, elle commence à la découvrir elle-même », dévoile-t-elle.

Zeina a su s’adapter aux nouvelles normes imposées dans la société française, tout en gardant ses propres valeurs d’Arabe. Une interaction qui lui a permis de s’intégrer et d’être productive. « Une fois à Paris, j’ai réalisé que je devais compter sur moi-même. Alors, je me suis inscrite à l’université pour poursuivre mes études en Histoire et j’ai travaillé comme correspondante à la Revue du Liban ». Et le voilà, le journalisme lui a ouvert les portes d’une nouvelle vie heureuse et surtout plus sereine. « Je suis allée faire un entretien avec l’écrivain Charles Saint-Prot qui a rédigé un livre intitulé : La politique arabe de la France ». L’entretien s’est terminé et une histoire d’amour a commencé. Elle était éblouie par sa façon de voir les choses, « son aptitude d’entreprendre une analyse profonde et réelle des faits et bien sûr sa tendance de pro-arabe ». Zeina a cessé, dorénavant, de sentir le déracinement. La présence de son mari lui était un support moral énorme. Ce couple traduit bien ce que signifie un amour mûr ; tous les deux peignent une image de complémentarité, de compromis humain. Elle lui lance un regard comme pour vérifier une information, il intervient pour lui rappeler un incident. Tous les deux n’ont pas hésité à mettre leur nom sur le carton d’invitation en français et en arabe comme s’ils voulaient confirmer les deux identités. « Au Liban, j’étais dans un lycée francophone où j’ai étudié l’Histoire et la géographie de la France. Mon mari est très proche du monde arabe par ses études et ses recherches. On a donc des points de rencontre. On est un couple franco-arabe », sourit-elle. L’on comprend, alors, comment ce couple harmonieux s’entraide dans la direction de l’Observatoire d’études géopolitiques. Leur agenda est chargé : un colloque à Beyrouth, un autre au Caire. Avec toujours comme un grand titre : la problématique des dialogues de cultures. Un sujet qui les préoccupe. Lui, il le traite au niveau de la politique et de l’islam, elle l’aborde surtout sur le plan de la francophonie. Elle a même rédigé un livre intitulé Le Québec, l’Amérique en français, considéré comme une référence en la matière. Elle a profité des reportages avec des personnalités politiques ou d’autres dans le domaine universitaire et économique. Bref, des Québécois de tous les milieux pour esquisser le portrait d’une province canadienne qui a tant lutté pour conserver une identité spécifique et qui fait l’enrichissement culturel du Canada. « La francophonie ne doit pas dévier l’identité nationale. Par contre, elle doit respecter les identités et instaurer un dialogue », note-t-elle.

Et toujours dans le but de favoriser un dialogue entre les deux rives de la Méditerranée, Zeina El Tibi a fondé en 2006 l’Association des femmes arabes de la presse et de la communication à Paris. « L’Association a plusieurs rôles : se réunir, se connaître, s’entraider et surtout créer un réseau professionnel entre les jeunes journalistes et les administrations, mais aussi organiser des rencontres avec des personnalités politiques éminentes et présenter des modèles de femmes du monde arabe à la société française. Nous avons invité par exemple une femme sahraouie qui était la présidente du Club des femmes d’affaires pour la région du Sud du Maroc. Elle a souligné comment la femme arabe n’est pas figée, mais au contraire active et dynamique ». Zeina El Tibi en fait partie. Elle appartient à ce genre de personnes aux normes et valeurs universelles.

Lamiaa Al-Sadaty

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Jalons

15 août 1954 : naissance à Beyrouth.

Octobre 1976 : Départ en France.

1980 : Licence en Histoire, Université Paris I – Sorbonne.

Juillet 1984 : Naissance de sa fille unique Leïla.

2005 : Master en communication, Sorbonne nouvelle-Paris III.

2006 : Fondation de l’Association des femmes arabes de la presse et de la communication à Paris dont elle est présidente.

 




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