Normalisation. Le syndicat des Journalistes a sanctionné deux de ses membres accusés d’avoir enfreint le règlement sur la normalisation avec Israël.

Décision controversée

Deux journalistes accusés de normalisation avec Israël ont été sanctionnés cette semaine par la commission disciplinaire du syndicat des Journalistes. La commission composée de cinq membres (quatre journalistes et un magistrat du Conseil d’Etat) s’était réunie pour se prononcer sur les mesures à prendre contre Hala Moustapha, rédactrice en chef du magazine Al-Democratiya (la démocratie, publié par Al-Ahram) et Hussein Sérag, rédacteur en chef adjoint du magazine October. Les deux journalistes étaient accusés d’avoir enfreint le règlement du syndicat qui interdit tout acte de normalisation avec Israël. Hala Moustapha avait soulevé un tollé en recevant l’ambassadeur d’Israël au Caire dans son bureau d’Al-Ahram au mois de septembre dernier. Quant à Hussein Sérag, il a enfreint le règlement du syndicat en visitant Israël et il aurait assisté, il y a quelques mois, à un dîner chez un diplomate israélien. Si Hala Moustapha a écopé d’un avertissement, Hussein Sérag a eu trois mois de suspension.

Depuis les années 1980 et sur décision de l’Assemblée générale, le syndicat des Journalistes interdit à ses membres toute forme de normalisation avec Israël et ce tant que les territoires palestiniens occupés n’auront pas été libérés. L’article 77 de la loi du syndicat des Journalistes prévoit des sanctions contre les membres qui enfreignent le règlement. Les sanctions vont d’un simple avertissement à la suspension en passant par la privation des élections syndicales. « Nous nous sommes contentés d’un avertissement parce que la mission de la commission est de garantir le respect des décisions prises de manière démocratique. Le règlement du syndicat interdit à ses membres tout geste de normalisation à l’égard d’Israël, sous peine de blâme ou d’exclusion, c’est la décision prise à l’unanimité de l’Assemblée générale et elle doit être respectée », déclare Gamal Fahmi, membre de la commission disciplinaire du syndicat. Il explique que la commission a pris en compte le fait que Hala Moustapha n’était pas au courant des détails du règlement du syndicat. Elle pensait que le règlement interdisait seulement de se rendre en Israël. « Ce qui, visiblement, n’était pas le cas de Hussein Sérag, dont les multiples visites en Israël constituaient un défi flagrant aux règlements du syndicat », ajoute Fahmi.

A l’issue de cette décision du syndicat, Hala Moustapha a déclaré qu’elle la rejetait. Elle n’écarte pas un recours devant la justice pour annuler ce qu’elle considère comme un dommage moral. « Cette décision est contre le principe de la liberté d’expression que le syndicat devrait protéger », a déclaré Hala Moustapha à Al-Ahram Hebdo. Elle s’engage toutefois à respecter la décision du syndicat. Quant à Hussein Sérag, il est plus critique. Selon lui, cette sanction est inéquitable et injustifiée. « Il est invraisemblable que je sois sanctionné parce que j’exerce mon métier. Où était le syndicat des Journalistes depuis 1981 ? Je travaille sur le dossier palestino-israélien depuis 25 ans et il est tout à fait normal que je sois amené à visiter Israël pour couvrir des événements sur le terrain. Quand je me suis rendu à Tel-Aviv, c’était au vu et au su de tous et avec l’autorisation de mon rédacteur en chef. Je respecte le règlement du syndicat, mais il y a une différence entre l’exercice professionnel qui exige parfois des contacts avec la partie israélienne et une prise de position politique. C’est là que réside le problème », lance Hussein Sérag. Et d’ajouter qu’il n’appartient pas à un syndicat de décider pour ses membres « où ils doivent aller et où ils ne doivent pas aller ». Des arguments que rejette Abdel-Mohsen Salama, membre du conseil du syndicat des Journalistes. Selon lui, chaque syndicat a un code de conduite que les membres doivent respecter. Mais des questions surgissent alors : quelle est la signification exacte du mot normalisation ? Et surtout comment faire la différence entre un acte professionnel et un autre politique ? Abdel-Mohsen Salama reconnaît qu’il y a une ambiguïté dans la définition de la normalisation. « Même les membres du comité disciplinaire n’étaient pas d’accord sur la nature des actes qui doivent entrer sous l’interdiction de normalisation », explique Salama, ajoutant que le conseil du syndicat se réunira prochainement pour se mettre d’accord sur la définition de la normalisation et établir des règles précises concernant l’exercice du métier dans le cadre du règlement du syndicat.

Au-delà de ces considérations, c’est le dossier de la normalisation qui est, une fois de plus, au centre d’un débat. L’Egypte est le premier pays arabe à avoir signé la paix avec Israël en 1979, mais les milieux intellectuels et la société civile restent largement hostiles à une normalisation avec l’Etat hébreu sans accord de paix avec les Palestiniens. Si au niveau officiel les relations avec l’Etat hébreu sont normalisées, il n’en est pas de même au niveau populaire et intellectuel. « Ce décalage n’a mené à rien et n’a pas aidé la cause palestinienne », pense Hala Moustapha. Et d’ajouter que le gros de la tendance prônant le boycott d’Israël est alimenté par un milieu médiatique qui n’a pas changé depuis les années 1960. « Alors que le gouvernement égyptien est le plus grand normalisateur avec Israël, les gens qui agissent de la même manière sont punis », poursuit-elle, en allusion aux visites régulières de responsables politiques israéliens en Egypte. Ceux qui s’opposent à la normalisation avec Israël estiment que cela constitue une carte de pression importante sur l’Etat hébreu. Salah Eissa, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Al-Qahira (Le Caire), trouve que le recours à des sanctions disciplinaires vis-à-vis des journalistes accusés de normalisation est une arme à double tranchant, surtout que la politique officielle n’est pas hostile à la normalisation. « Le respect des règlements et l’éthique du syndicat sont recommandés. C’est la première fois qu’un syndicat professionnel sanctionne un de ses membres pour avoir enfreint une décision de l’assemblée générale. Or, la loi sur les syndicats professionnels ne mentionne pas l’obligation pour les membres d’un syndicat de se soumettre aux décisions de l’assemblée générale. Et par conséquent, un verdict judiciaire en faveur d’un de ces journalistes fera de ces décisions lettre morte », conclut Eissa.

May Al-Maghrabi