L’autre Soudan
Abdel-Moneim Saïd
Ce
n’est un secret pour personne que le Soudan se trouvera
confronté à un tournant historique décisif dans les quelques
semaines qui viennent, précisément le 9 janvier 2011, date
du référendum sur l’autodétermination pour les Sudistes.
L’autodétermination est l’une des clauses fondamentales de
l’Accord de paix global signé entre le gouvernement
soudanais et le Mouvement populaire de la libération du
Soudan à Naivasha au Kenya en
2005. Les deux parties s’étaient entendues à accorder aux
Sudistes le droit à l’autodétermination par le biais d’un
vote pour l’union du Soudan ou pour la séparation du Sud. Le
vote pour l’indépendance donnera naissance à un Etat sudiste
souverain avec un nom, un hymne national, un drapeau, une
armée, une monnaie, des ambassades à l’étranger et une
adhésion aux Nations-Unies et aux organisations
internationales et régionales.
Tous les indices portent à croire que les Sudistes opteront
pour la séparation et diront que les Nordistes n’ont rien
fait pour faire prévaloir l’unité du Soudan. D’une certaine
manière, le Mouvement populaire pour la libération du Soudan
s’est totalement investi pour créer cet Etat du Sud, avec
tout ce qui en découle, y compris les intérêts et les
relations internationales, les influences à l’intérieur
comme à l’extérieur. Ils ont fait en sorte que la partition
soit leur lot et leur destin. Dès le départ, il y avait une
tendance de la part du mouvement des Frères musulmans à se
débarrasser du Sud qui, à leurs yeux, entrave l’islamisation
fondamentale et rigoriste de l’Etat. Un rêve longtemps
caressé par les esprits des groupes fascistes, amateurs des
unités politiques « pures » réunissant exclusivement une
ethnie, une religion ou une idéologie. Ce qu’ils détestent
le plus c’est cette diversité qui réunit en son sein
musulmans et non musulmans, ou même des musulmans de
différentes ethnies.
Pour être plus précis, je dirais que nos frères sudistes
sont sur le point de faire face à la naissance d’un vide
stratégique énorme engendrant des tourbillons susceptibles
de changer les choses de fond en comble. Le vide stratégique
est une situation où le pouvoir, qui maintient l’équilibre
et qui gère l’état de coalition et d’animosité, est absent.
Nous ne savons probablement pas ce qui adviendrait dans le
Nord-Soudan après le référendum et la séparation. Il est
certain qu’un acteur politique donné devra payer le prix,
surtout que tout pouvoir politique est appelé à préserver
l’intégration économique de l’Etat. Car c’est bien là que
réside l’essence de la sécurité de l’Etat. C’est une réalité
que l’on ne retrouve pas dans l’agenda des Frères musulmans,
que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, chez ceux qui
sont toujours au pouvoir ou ceux qui l’ont abandonné. De
même, personne ne peut prévoir les événements qui auront
lieu dans le Sud entre les différentes tribus qui
connaîtront le pouvoir et l’Etat pour la première fois, et
qui sont contrôlés par un mouvement politique qui n’avait
pas pour vertu la tolérance et qui ne dispose que de
l’unique ressource de l’Etat, à savoir le pétrole, soit 98 %
du revenu du nouvel Etat.
Bien entendu, nous ne savons pas encore comment se
dérouleront les choses entre les deux Etats, d’autant plus
que de nombreux dossiers restent en suspens. Le Nord qui
souffrira de douleurs au terme de cette opération «
chirurgicale » pour la séparation politique et économique
aura à affronter des pressions sur des questions, telles que
la région d’Abyei. Les Nordistes
voient d’un mauvais œil les coalitions conclues par le Sud
avec des puissances étrangères et qui lui ont permis
d’obtenir ce qu’il ne devait pas obtenir. Le Sud, de son
côté, ne trouvera aucun inconvénient à blâmer le Nord pour
tout ce qui est arrivé. Ce Sud vivra les calvaires d’un Etat
dépourvu des fondements modernes et qui a réuni des réfugiés
venus de tous bords. Ceux-ci se demanderont toujours si les
cérémonies de célébration de l’indépendance seraient à elles
seules suffisantes pour dissiper la douleur de vivre dans
des camps de réfugiés.
Ce qui complique davantage la situation est que le Soudan
est un pays très pauvre, classé n° 154 sur 169 sur la liste
du développement humain de 2010 publiée par le PNUD.
Le vrai problème est que la partition et la nouvelle
naissance des deux Etats ont lieu dans un climat d’extrême
pauvreté, de violence et de propagation d’armes, résultant
de nombreuses guerres civiles, au Sud, comme dans l’Est et
l’Ouest. Ceci outre les guerres avec le Tchad et les
tensions qui seront exacerbées par le séisme soudanais.
Il est possible que le Nord et le Sud puissent réaliser un
transfert pacifique du pouvoir et donner naissance à deux
Etats voisins coopératifs pour leurs intérêts communs et
qu’ils puissent bénéficier des expériences des pays ayant
connu la division après une union de longue date. Mais ce
scénario n’est pas vraiment envisageable à la lumière de la
situation au Soudan et de son arrière-plan de pauvreté, de
pressions internes et externes et de règlement de comptes
politiques. L’autre scénario prévoit une ingérence
internationale. En d’autres termes, une tutelle
internationale s’impose pour que les conditions de vie du
nouveau-né soient acceptables. Mais qui dans le monde payera
le prix de cette nouvelle situation au Soudan, surtout avec
une économie mondiale en récession, des Etats-Unis sous le
poids de la crise mondiale, et une Chine, un Japon et une
Russie parlant d’un rôle mondial sans qu’aucun d’eux ne soit
prêt à payer un seul dollar ou à sacrifier un soldat ?
L’Europe, quant à elle, ainsi que les Etats-Unis ne sont pas
disposés à s’engager dans des méandres politiques, à la
suite du chaos de l’Iraq et de l’Afghanistan.
Doit-on faire assumer tout le fardeau à la Ligue arabe pour
gérer cette opération soudanaise avec les moyens de bord
dont dispose son secrétaire général Amr Moussa ? D’autant
plus que la Ligue arabe, depuis sa création, a toujours été
noyée jusqu’au cou dans la cause palestinienne et qu’elle
investit le reste de son temps à peine à la réconciliation
libanaise ou palestinienne ou autres réconciliations du
Machreq arabe.
Je crois que l’Egypte est le pays le mieux placé pour mener
à bien la question soudanaise. Il est vrai qu’il y a des
susceptibilités et que les options sont difficiles et
fatales au sens propre du terme. Dans ce cas-là, la mission
ne relève pas uniquement de l’Egypte en tant qu’Etat, mais
de toutes les forces responsables devant mettre en avant la
pensée et la politique nécessaires à une réalité complexe.