Al-Ahram Hebdo, Littérature | Hoda Tewfiq, Le goût de l’étonnement

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 Semaine du 22 au 28 décembre 2010, numéro 850

 

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Littérature

Hoda Tewfiq épouse une écriture poétique qui joue sur le tandem du cri et du silence. Voici deux nouvelles de son recueil Mazaq al-dahcha (le goût de l’étonnement, éditions Charqiyat, 2010), portant le sentiment de l’angoisse lié à l’exil.

Le goût de l’étonnement

Journal intime de l’hallucination

1

Comme elle est longue la nuit quand mon enfant pleure et mon cœur en est désemparé. Je ne sais quoi faire pour cesser ses cris et ses larmes ! Comme ils sont difficiles ces instants qui passent pour nous deux. Les médecins ont dit que ma fille est normale, qu’elle est forte de caractère. Les femmes ont dit qu’elle est affaiblie. Et j’ai dit : elle s’est nourrie du sang triste de mon cœur.

De ma mère, j’ai hérité les pleurs sans larmes et le lit de la maladie est sombre … Mon cœur pleure en la voyant alitée, elle fait un effort sur elle-même pour sourire et elle me dit : « Le plus important c’est vous, roses de mon cœur ».

Comme la nuit est longue … Je ressens de la fatigue et je ne sais pourquoi je suis assaillie par des cauchemars. Un sentiment de peur enfoui en moi me saisit. Et mon enfant qui crie toujours creuse profondément ce sentiment. C’est le cœur quand il est atteint … Peut-être que si je pense au voyage et que je prends la décision de partir, la vie prendra-t-elle un autre cours, mais comment faire alors que mes enfants sont petits et ne vont pas supporter la séparation ?

Est-ce que j’hallucine ? Je sens que les coups de l’horloge me font entrer dans une course contre le sommeil. J’ai faim mais je vais dormir d’abord. Je n’ai pas dormi depuis deux jours, lorsque la crise de larmes de ma fille a commencé. Je vais dormir maintenant, dormir …

2

La famille de la langue anglaise me manque. L’école préparatoire, la salle en bois qui donne sur la cour à travers la seule fenêtre qui s’y trouve. L’odeur du laboratoire à côté pénètre de la fenêtre, avec les expériences du passé proche. La salle est très petite, très froide, faiblement éclairée, mais elle nous rassemble dans la chaleur des histoires, des souvenirs et des soucis.

Les larmes enveloppent les rires qui résonnent entre les murs en bois, les complaintes montent aussi haut que nos voix, on ne se lasse ni des petits ennuis ni des choses qui se répètent. Les conversations tournent autour des maris, des enfants, du fardeau d’une maison.

Tous les jours, tous les jours, c’est la tournée des verres de thé entre nous, les sandwichs de fèves et de beignets de fèves, les cahiers de préparation, les cours supplémentaires, la pression du travail, les choses drôles ou étranges de l’éducation et de l’enseignement : chaque jour avec la même monotonie.

Parfois nous ressentons une nouvelle impulsion. Comme si un enfant naissait entre nous, porté par nos cerveaux, un enfant qui nous a manqué depuis les années de notre jeunesse.

C’est le rêve de l’existence et de la solitude.

Des années d’éloignement étaient passées avant que l’un ne rencontre l’autre et des années de métamorphoses viendront avant que le rêve ne se réalise.

Toutes les peines ensemble

1

Il n’était pas là quand j’ai poussé la porte entrouverte. Je n’ai entendu ni le bruit de sa toux ni son accent de la Haute-Egypte qui accueillait chaque personne qui entrait ; même la table basse et ronde autour de laquelle il nous réunissait avait disparu.

Le narguilé se trouvait dans un coin calme et les livres jaunis étaient sur l’étagère, la vieille radio était muette. Il était parti.

On a dit qu’une sirène de la mer l’avait tenté, et on a dit que les villes de la nuit l’avaient avalé, et on a dit qu’il avait coupé ses moustaches effrayantes puis il avait coupé sa langue par inadvertance. Mais il n’était pas présent quand les champs recevaient le mois de la crue.

2

Je me réveille, je suis surprise par le silence autour de moi … Je prépare un verre de thé et je verse dessus le jeu du rêve, un enfant qui s’enfonce dans les histoires de l’Histoire, tissant en imagination un souhait et désirant voir des pays. Le professeur nous apprenait toujours : « Ceux qui sont morts pour la patrie ne sont pas morts, l’enfant palestinien est plus qu’un enfant ». Il l’avait dit avant de partir. La nuit était un faux jour. Les champs m’ont délaissée et je suis tombée amoureuse des villes. Et les rues ont violé ma pudeur. De la fumée et de la poussière. Les cris des marchands. Des cadavres de gens vivants. Enfin, le verre de thé noir s’est vidé et la mémoire ne s’est pas vidée de ce qu’elle contenait.

Durant les cours de géographie, nous dessinions des cartes pour délimiter les traits du monde et quand nous les colorions nous voyions le monde si vieux … les résidus des guerres s’emprisonnaient sous les pores des peaux où coulait lentement l’ennui. Et nous voyions la lune pleurer avec des larmes en argent.

Nous étions petits. Nous pleurions quand les dents de l’enfance se détachaient et nous ramassions ces dents, puis nous attendions que le soleil se lève pour les lancer à ses pieds en disant tout haut : « ô soleil, petit soleil, prends la dent de la douleur et donne-nous une dent qui, de faim, pourra manger des pierres ».

Quand nos yeux regardaient en direction du soleil, les cartes brûlaient dans le sens inverse.

3

Le vent frappe les portes et les fenêtres. Mes idées se bousculent mais la pluie ne tombe pas abondante. Et me voici accueillant le temps de l’examen, un temps aussi étendu que les pays qui ont vu mon exil. J’époussette de ma mémoire la poussière de la douleur. Je regarde du côté de la porte d’en face, là où mon aimable voisine est étendue sur le lit de la mort … Je sais qu’elle a posé sa tête sur l’oreiller mais elle ne dort pas comme nous, car elle laisse le corps fatigué dégagé, elle pleure et adresse des prières à Dieu, elle le remercie et le supplie d’être Clément avec elle.

Nous sommes contenues dans un même espace, je le sais. Mais la terre qui la porte me rejette hors de ses flancs.

Maintenant le cœur s’est fermé aux soupirs de la nuit. Je résiste à la dispersion, je lutte avec les papiers pour pouvoir étudier, au terme de l’examen il y a le commencement d’un chemin dans le cercle des soucis qui ne finissent pas.

Sur les murs blancs, il y a une vieille poussière qui les faisait paraître très pâles. Je descends les escaliers de marbre, chaque marche prend la couleur de mes tristes souvenirs. Je m’arrête devant la grande porte de la sortie, je balaye du regard le bâtiment vieilli, je m’appuie contre le tronc d’un arbre ancien :

— L’heure de quitter l’université est venue !

J’ai respiré l’air de l’enfance, tout en regardant une dernière fois autour de moi, une larme coulait sur le visage d’une fille, je voyais deux amis s’enlacer, deux amoureux se quitter, des mains se serraient fortement, avec aussi un sourire de délivrance, un regard chargé d’espoir, des valises prêtes pour le voyage …

Et doucement, je me suis retirée comme mon ombre de ces quatre années.

4

Les chambres sont des prisons, les maisons sont des prisons, les rues sont des prisons, et toi tu n’as pas pu crier quand ton frère t’a entraînée d’un seul coup et t’a tirée loin de ton livre pour que tu lui prépares le repas. Tu n’as pas crié.

Et quand il t’a embrassée pour ton 21e anniversaire, tu as pleuré, désirant la mort.

Les cerveaux sont une prison, les cœurs sont une prison.

Les cellules des prisons ouvrent leurs bras à ceux qui prêchent le terrorisme, les journaux m’apparaissent tous les jours avec leurs faces laides, montrant une bombe à retardement et les corps déchirés, et l’enfant noyé dans son sang comme un chien dans un linceul. Et quand ils ont crié dans les rues : Notre patrie, notre islam …

Un passant a dit : Dieu peut tout.

Une passante a dit : Que Dieu nous épargne sa colère.

Et j’ai dit : Que Dieu nous punisse pour notre silence.

Les lampes sont une prison … l’air est une prison.

Et toi tu ne crieras pas … .

Traduction de Suzanne El Lackany

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Hoda Tewfiq

Née dans le gouvernorat de Béni-Soueif, elle a obtenu sa licence de  lettres anglaises de l’Université du Caire en 1995. Hoda Tewfiq a déjà reçu le Prix de la littérature de la guerre en 1998 et celui de la nouvelle décerné par le journal hebdomadaire Akhbar Al-Adab en 1999. Elle a déjà publié trois recueils de nouvelles Anna tassir ragolan (Anna devient homme) aux éditions des Palais de la culture en 2007, An aqer wa ahwal (autour d’un stérile et un louche) aux éditions Markaz Al-Hadara Al-Arabiya dans la même année 2007, Kahf al-botë (la cave de la lenteur) aux éditions Al-Dar en 2008 et Mazaq al-dahcha (le goût de la stupeur), Charqiyat en 2010.

 




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