Roman .
Le 5e Forum international du Caire pour la créativité
romanesque arabe s’est tenu du 12 au 15 décembre au Conseil
suprême de la culture sous le titre « Le Roman arabe
jusqu’où ? ». Bilan de l’expérimentation dans le roman
aujourd’hui.
Le renouveau comme religion
Genre
littéraire protéiforme, moderne, ou postmoderne, le roman a
toujours suscité, auprès des spécialistes et des critiques,
d’infinies questions. Le 5e Forum international du roman
arabe, organisé par le Conseil suprême de la culture, a
ainsi réuni des chercheurs, professeurs et romanciers
pendant une série de conférences et de tables rondes, sur
quatre jours, pour réfléchir aux nouvelles problématiques du
genre romanesque. Vers où ? Quel est l’avenir du genre dans
un monde multiculturel et global ? Question qui a sous-tendu
en filigrane toutes les réflexions et les interventions.
Gaber Asfour, président du
comité organisateur du forum qui s’est tenu du 12 au 15
décembre, a rappelé d’emblée lors de la séance d’ouverture
que le roman arabe, très loin désormais de ce temps où le
modèle occidental était un exemple de civilisation à suivre
en littérature aussi, s’est ouvert à lui-même des horizons
innovants. Le roman a franchi les limites explorées. Il
accueille tous les autres arts et genres.
Transgénérique, la littérature
arabe connaît par exemple maintenant le roman poétique (al-riwaya
al-chéeriya). Un romancier tel
que Khairi
Chalabi n’a-t-il pas écrit des pages entières rimées
dans un roman ? De même, le roman a rejoint les nouvelles
technologies. On trouve des romans en ligne ou des romans en
interaction avec la culture de l’image. Le monde virtuel
soutient la narration.
De nombreuses personnalités ont tour à tour réfléchi sur le
roman numérique puis ont abordé l’exemple marquant du roman
d’Ibrahim Abdel-Méguid Fi
kol osboue
youm gomaa
(chaque semaine il y a un vendredi). Dans ce texte
romanesque, l’espace virtuel, qu’est l’Internet, est
intrinsèquement lié à la structure et à la fonction
signifiante du roman. La dialectique entre le monde virtuel
et le monde réel décide du devenir des personnages. Dix-huit
personnages exactement parmi lesquels un philosophe, une
jeune fille qui cherche un prétendant, un jeune homme
révolté, un professeur d’université, une tueuse
professionnelle, un conducteur de microbus épuisé, une
journaliste dévergondée et d’autres types psychologiques.
L’histoire de chacun, laissée comme un aveu sur le net,
construit la charpente du récit. Le site devient le lieu où
ils se rencontrent, se croisent, et ils vivent à travers
lui. Annexée au roman à la fin, une page contient le profil
de chaque personnage, son portrait qui ressemble à un C.V.
L’écrivain a démontré par ce roman que le contact et les
relations entre les gens ont perdu toute chaleur humaine et
se réalisent électroniquement à travers les programmes de «
chat » : des vérités intimes sont dévoilées banalement au
plus grand nombre. Mais il s’agit surtout d’une étape-clé
dans l’évolution des formes romanesques dans le système
littéraire arabe, car l’écrivain utilise le potentiel visuel
de l’écran et du site électronique et la configuration du
groupe virtuel qui réunit les personnages. Expérimentation
réussie.
Mélange entre réel et fantastique
L’expérimentation des formes nouvelles, tout comme il existe
un art expérimental, s’est révélée être effectivement le
centre d’intérêt qui a préoccupé la majorité des
intervenants.
Pour le critique Ibrahim Fathi, l’expérimentation est partie
intégrante de toute véritable création et elle est donc
constitutive du genre romanesque. Chaque œuvre qui a fait
date dans l’histoire littéraire est expérimentale
puisqu’elle se situe par rapport à un refus des structures
narratives traditionnelles. Selon lui, l’expérimentation
contemporaine dans le roman égyptien touche aussi à l’espace
— et non seulement au temps — qui devient en lui-même un
personnage.
Un autre aspect en est le mélange entre la narration du réel
et la dimension fantastique. Ou l’intertextualité (le
dialogue entre les textes), ou la polyphonie (plusieurs voix
dans le roman), ou bien les techniques du jeu avec les
registres de la langue ou avec la multiplication des points
de vue dans le texte. Bref, tout ce qui bouscule la forme
comme structure symbolique. Et tout ce qui fait la modernité
du genre en dépassant la forme fixe et les contraintes. Pour
le critique palestinien Fayçal Darag,
l’expérimentation a été la solution ultime à l’issue d’une
crise entre romanciers et institutions du pouvoir. C’est en
son essence un acte de liberté revendiquée. D’autres, à
l’instar du professeur et critique Mohamed
Badaoui, pensent que l’actuelle
idéologie de l’expérimental prend ses sources à partir de
l’époque de la première guerre, où la littérature arabe
cherchait ses modèles et qu’elle a atteint maintenant « le
non-genre », qui est un modèle non défini. Un résultat de la
déconstruction des modèles, en somme. On pense aussi que
l’hybride est né de l’expérimental. Que l’expérimentation
est légitime quant au principe puisqu’il n’est pas admis de
proposer au romancier une formule d’écriture prête à
l’emploi. Que le roman doit connaître des expériences
extrêmes comme le roman théorique (c’est-à-dire le roman
dans le roman, il se réfléchit lui-même). Que l’avenir sera
au roman expérimental. L’idée admise à l’unanimité c’est que
l’expérimental est indispensable pour perpétuer le genre
romanesque qui est tout le temps work
in progress.
Pour
que le roman
ne meure
pas.
Suzanne El Lackany