Parlement . La présence des hommes d’affaires est devenue proéminente et va, selon les observateurs, affecter l’agenda de l’Assemblée du peuple dans le sens d’une plus grande importance accordée aux législations économiques. Analyse.

Argent et politique font bon ménage

Les noms changent mais la tendance se poursuit. Depuis près de trois sessions parlementaires, l’influence des hommes d’affaires est de plus en plus accentuée. Ils sont à la tête de la majorité des commissions économiques et leur influence sur les discussions et législations n’est pas négligeable. Selon les prévisions, la nouvelle session parlementaire connaîtra quelques changements de noms des principaux présidents et vices-présidents des commissions, mais le principe reste le même ; les commissions économiques seront présidées par des hommes d’affaires du Parti National Démocrate (PND, au pouvoir).

L’échec ou le départ de certains chefs de commissions lors des législatives du mois dernier ainsi que la réussite d’autres qui étaient absents du dernier Parlement obligent le PND à refaire ses comptes. Amin Moubarak, qui revient au Parlement après 5 années d’absence, devrait reprendre la tête de la commission de l’industrie et de l’énergie à la place de Mohamad Aboul-Einein, propriétaire de Ceramica Cleopatra, la plus grande entreprise de céramique en Egypte. Mais il ne sortira pas perdant, les rumeurs disent qu’il présidera plus probablement la commission économique suite au départ de son ex-président, Moustapha Al-Saïd. L’autre possibilité serait qu’Amin Moubarak arrive à la tête de la commission des transports. Quant à la commission du plan et du budget, l’une des plus importantes, elle gardera comme président le magnat du fer à béton en Egypte et dans la région, le puissant Ahmad Ezz (PND). De même, la commission du logement conservera comme président Tareq Talaat Moustapha, le président du conseil d’administration du fameux groupe immobilier portant le nom de son père. Le groupe a fait la une des médias pour avoir acheté du gouvernement les terrains de son énorme projet Madinaty sans adjudications et presque gratuitement.

L’entrée en masse des hommes d’affaires au Parlement a eu son effet sur les discussions parlementaires et même les législations. La première chose remarquée est que la place des projets de lois économiques est devenue plus importante. Mahmoud Nafadi, président de la section des journalistes parlementaires, note que depuis 2000, les lois économiques soumises aux discussions parlementaires sont devenues plus fréquentes. « Les législations et les discussions économiques sont devenues plus importantes que les lois de nature sociale ou politique », remarque-t-il. Une étude élaborée par Amgad Khalil Al-Gabbass, chercheur au Centre des recherches et des études arabes, note que 18 projets de loi économiques ont été débattus en 2007/2008, soit 47 % des projets de lois approuvés par le Parlement. La nouvelle session va également débattre d’une liste de lois économiques. Les plus éminentes sont la loi sur l’assurance médicale selon laquelle plus de citoyens seront couverts par l’assurance tout en impliquant des hôpitaux et des sociétés d’assurance privées. La nouvelle loi sur la fonction publique, les modifications de la loi sur la taxe des ventes pour la transformer en taxe sur la valeur ajoutée et donc la généraliser. Mohamad Aboul-Einein, homme d’affaires et député, voit les choses autrement. « Partout dans le monde, les législations d’ordre économique occupent une place importante. C’est un signe de développement. C’est l’économie qui détermine le bien-être des citoyens et influe sur les aspects politiques et sociaux », défend-il.

A des fins personnelles

Souvent, les hommes d’affaires ont été soupçonnés d’utiliser le Parlement à des fins personnelles. Comme Ahmad Ezz, montré du doigt lorsque sont citées les modifications de la loi sur le monopole qui, plus sévères, auraient affecté ses propres affaires. En fait, bien qu’il n’ait jamais été officiellement accusé de monopole, dans l’esprit des Egyptiens, le mot monopole est associé à Ahmad Ezz. La loi de l’impôt sur le revenu est un autre exemple de l’influence des hommes d’affaires au Parlement. Promulguée en 2000, elle a réduit l’impôt maximum de 40 à 20 %. « Cette loi n’a pas été en faveur des hommes d’affaires. Avant, on bénéficiait d’exemption de 10 ans sur toute nouvelle activité ; la nouvelle loi a réduit le taux de l’impôt, mais a aussi supprimé toutes les exemptions », s’insurge Aboul-Einein, et d’ajouter que les hommes d’affaires font partie de la société, les députés-hommes d’affaires ne peuvent pas faire passer des lois faites sur mesure, « ils sont sous les projecteurs et seront l’objet de scandales s’ils le font ».

Mais les observateurs ne lâchent pas. Nafadi note également qu’il est rare qu’un homme d’affaires soumette des questions au gouvernement. « Ils ne veulent jamais trop fâcher les responsables, ils en ont besoin, même les hommes d’affaires opposants », dit-il. L’étude d’Amgad Al-Gabbass appuie l’observation du journaliste parlementaire en estimant que les hommes d’affaires du Parlement sont contre davantage de démocratisation, puisqu’ils tirent profit de la situation actuelle. L’étude note que les comptes rendus de l’Assemblée du peuple n’ont enregistré aucune initiative législative ou de surveillance en faveur de réformes politiques de la part des hommes d’affaires malgré leur présence notable.

En chiffres, le nombre d’hommes d’affaires dans le Parlement 2011 n’est pas encore connu. Il a grimpé de 37, en 1985, à 77 en 2000, puis à 68 en 2005 sur les 454 sièges que compte le Parlement. La présence des hommes d’affaires est devenue plus importante depuis l’an 2000. Plusieurs s’étaient présentés en tant qu’indépendants au départ, puis ont adhéré au PND qui les a bien accueillis. « Le rôle des hommes d’affaires est devenu plus éminent avec la libéralisation économique, ce qui est assez commun dans d’autres pays du monde. Seulement, dans d’autres pays, il y a plus de valeurs économiques et politiques, et surtout des législations pour éviter le conflit d’intérêts et contrôler la corruption », estime Omar Hashem Rabiaa, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. C’est peut-être ce qui manque en Egypte.

Marwa Hussein