Cinéma .
Le réalisateur Fawzi Saleh a
enregistré des moments vifs et intenses dans la vie des
enfants-tanneurs du Vieux-Caire, à travers un documentaire
Guild hay
(peau vive), primé au Festival d’Abou-Dhabi.
Avoir le mal du Caire
Juste
quelques heures avant de remporter le prix spécial au
dernier Festival du cinéma d’Abou-Dhabi
pour son documentaire Peau vive, le réalisateur
Fawzi Saleh évoquait ses
ambitions de tourner un long métrage basé sur le roman
d’Ahmad Zaghloul Al-Chiatti,
Wouroud
samma lé saqr (les fleurs
vénéneuses d’un faucon). Il semblait être désespéré de
remporter un prix au festival. Il a même déclaré : « Je suis
inquiet du choix que peut adopter un jury présidé par le
Palestinien Elia Soliman ».
Aujourd’hui, après avoir remporté un prix de 25 000 dollars
avec les estimes du jury lequel a fait l’éloge de son film,
Saleh déclare sur un ton confiant : « Les attendus ont
dévoilé que le président du jury, Elia Soliman, possède une
conception démocratique de l’art. Il n’aime pas imposer ses
choix et préfère défendre la diversité ».
Fawzi
Saleh est venu s’installer au Caire, depuis 8 ans, provenant
de sa ville natale Port-Saïd, poussé par la volonté
d’étudier le cinéma et de changer le monde. Il a fait son
entrée dans les milieux culturels par un recueil de poèmes
en dialectal, publié en 2007 chez Merit.
De gauche, il a vite percé les secrets du Caire et ses trous
noirs. C’est certainement ce qui l’a poussé à aborder un
sujet comme celui du film Guild
hay (peau vive) sur les enfants
qui travaillent dans les tanneries, situées derrière la
muraille de Magra Al-Oyoun
dans le Vieux-Caire. Fawzi a
voulu que son film soit un hymne à la vie, parlant d’enfants
qui avancent vers une mort lente, vu les conditions de leur
travail. Le réalisateur a passé sa première année d’étude à
l’Institut du cinéma, vivant dans un modeste appartement pas
loin des tanneries. Il souligne : « Mon ambition est de
produire des films sur des mondes
inabordés par le cinéma indépendant qui se plaît à
aborder des sujets au caractère orientaliste, chose que je
n’aime pas du tout ».
Il révèle que son expérience de la pauvreté n’était pas sa
seule motivation pour produire ce film, mais surtout sa
volonté de briser le stéréotype comme présenté sur les
écrans, tous assassins ou terroristes ou prostituées.
Il contredit alors les stéréotypes par des stimulants
artistiques et intellectuels et cherche à présenter les
pauvres loin de la lecture consommatrice fréquente dans les
films commerciaux de Khaled Youssef, à titre d’exemple.
Cette manière de voir diffère, selon lui, du cinéma des
réalisateurs des années 1980, tels Mohamad Khan,
Khaïri
Béchara et Daoud Abdel-Sayed.
Fawzi
Salah se veut plus proche de ces derniers, il a d’ailleurs
décidé de faire du cinéma après avoir regardé le film de
Khan, Ahlam
Hind wa Camélia (les
rêves de Hind et de Camélia) et
Yom helw wé
yom mor
(un jour doux et un autre amer) de
Béchara. Ces films ont éclairé sa lanterne.
D’aucuns ont vu dans Guild
hay, produit en partie par le
comédien Mahmoud Hémeida, un
nouveau coup acéré contre la réputation de l’Egypte. Le
réalisateur s’en moque alors et réplique : « Je savais que
mon film n’allait pas attirer les organismes privés de
production régis par des systèmes commerciaux. Ils ne
veulent pas trop se casser la tête avec les histoires des
pauvres. C’est pourquoi j’ai eu recours au Fonds arabe pour
la culture et les arts afin d’assurer un financement. En
outre, j’ai ignoré complètement les lectures fascistes
faites à partir de mon film, notamment de la part de
certaines personnes complices du régime ».
Un certain enthousiasme se dégage naturellement du
vocabulaire quotidien du réalisateur, qui est monté sur
l’estrade du Festival d’Abou-Dhabi
pour offrir son prix à « ceux qui rêvent de jours meilleurs
et de justice ». Mais cet enthousiasme est tout à fait
absent de son film où le romantisme a pris le dessus, pour
nous faire découvrir le monde des enfants-tanneurs, leur
passion pour les jeux et leur vie sur les charrettes
chargées de déchets.
Le réalisateur reconnaît plusieurs défauts : « Lorsque je
regarde mon film, je ressens un balbutiement. Le public a
été assez indulgent à mon égard, épris du style singulier de
la narration ».
Fawzi
Saleh a vécu la plus grande partie de sa vie à Port-Saïd. Il
en garde un accent assez fort, caractéristique des habitants
de cette ville côtière, dont il a écrit un article dans la
revue Amkéna (lieux). « J’aurais
bien aimé être un Cairote. J’ai une vraie passion pour Le
Caire. Je me suis réveillé un jour pour découvrir que la
ville où j’ai toujours vécu n’est plus. Ce n’est plus la
ville cosmopolite dont a parlé le penseur Samir Amin dans
ses mémoires, ni la ville de la résistance que j’ai connue à
travers les histoires de ma grand-mère. Il n’en reste plus
qu’une ville remplie de marchandises et de courtiers. C’est
pourquoi je ne voulais pas narrer d’histoires sur ma ville
».
Sayed
Mahmoud
Hassan