Initiative .
L’institution Ana Al-Masri se
présente comme une bouée de sauvetage qui offre aux petits
marginalisés des soins éducatifs, psychologiques et diverses
activités. Le tout dans une ambiance familiale les aidant à
se réintégrer dans la société. Reportage.
Un cocon pour renaitre
L’immense
bâtiment, cerné d’un grand jardin, semble susciter la
curiosité des visiteurs de la nouvelle cité Al-Haram
City, dans la ville du 6 Octobre. Des bus emmènent des
enfants en âge de scolarisation à l’école, d’autres
accompagnés par des adultes font une promenade ou du sport.
Dans la cour très spacieuse, les plus jeunes, débordant
d’énergie, jouent avec beaucoup d’entrain, tandis que de
petits groupes se forment, les uns chuchotent entre eux,
d’autres se chamaillent ou lancent des plaisanteries, tandis
que d’autres, les oreilles tendues, écoutent attentivement
un des adultes qui raconte une histoire. La scène pourrait
se passer comme dans une grande maison familiale.
En posant la question aux agents de sécurité du bâtiment,
l’image s’éclaircit. Il s’agit de la résidence de
l’institution Ana Al-Masri pour
les enfants en difficultés, qui n’ont que la rue comme
refuge. Ana Al-Masri est une ONG
fondée en 2008 qui offre un ensemble de services et de soins
à ces enfants en danger. Le but est de développer leurs
compétences, de découvrir leurs talents, de les pousser à
s’intégrer dans la société, pour devenir des membres
productifs et actifs, et de leur garantir un avenir
meilleur. Ou, plus simplement, de les rendre à leurs
familles. Aujourd’hui, 63 enfants, dont l’âge varie entre 2
et 14 ans, ont eu cette chance de trouver refuge ici plutôt
que de traîner dans la rue. Ici, les enfants, qui sont
recommandés par le ministère de la Solidarité, par le
Conseil national de la maternité et de l’enfance, ou par
d’autres ONG, mènent un quotidien ressemblant à celui des
autres enfants qui vivent normalement dans leurs familles.
Ils se réveillent à 6h du matin, prennent leur douche, leur
petit-déjeuner, puis ceux qui sont scolarisés se rendent à
l’école tandis que d’autres suivent des cours
d’alphabétisation. Les plus petits s’amusent dans la
garderie ou écoutent des histoires racontées par des mamans
ou des papas de substitution, qui ne sont que l’équipe de
travail de l’institution. La journée est répartie entre
l’éducation, le sport et les différentes activités : dessin,
musique, ou cours de couture.
Un programme de vie complet et une mission humanitaire qui
n’est pas une tâche aisée avec des enfants qui ont vécu des
conditions de vie difficiles, ayant bien souvent connu la
violence, soit dans leurs familles, soit dans la rue. Gagner
leur confiance, panser leurs plaies, les orienter, leur
apprendre à respecter les règles et les plier à une certaine
discipline sont des défis auxquels doit faire face l’équipe
de l’institution, comme l’explique Nadia, Brésilienne, qui,
avec son mari Pedro, participent au projet en transmettant
l’expérience acquise dans leur pays. Les exemples de la
transformation radicale des nouveaux internes ne manquent
pas. Dans la garderie, des enfants entre 2 et 6 ans sont là,
bien propres et bien habillés après la deuxième douche de la
journée, jouant, dessinant ou s’intéressant aux histoires
racontées par Réda, l’enseignante, ou Iman, la responsable
de la garderie. Un bambin de 5 ans reste isolé, il pleure et
refuse de se mêler aux jeux, malgré tous les efforts pour
tenter de le convaincre de faire autre chose, dessiner ou
faire de la musique. L’enfant ne cesse de répéter la même
phrase : « Je veux maman ». Une maman qui, depuis qu’elle
l’a déposé ici, n’est plus jamais revenue le voir, bien
qu’elle ait promis de le faire. « Son mari, le père de
l’enfant, est condamné à 25 ans de prison, elle a dû laisser
son petit durant des mois tout seul dans la rue, car elle
était obligée d’aller travailler, et elle ne le récupérait
que le soir. Actuellement, elle a trouvé un autre mari mais
qui ne veut pas de cet enfant, alors, elle est venue le
déposer chez nous. Depuis, elle ne lui rend plus visite »,
se lamente Iman, qui éprouve des torrents de colère contre
cette mère dont l’enfant ne trouve pas le sommeil la nuit,
attendant qu’elle vienne le prendre dans ses bras.
Parler aux parents
Pourtant,
il faut savoir être diplomate avec les parents, comme
l’explique Soha Hamed,
sociologue et responsable de l’intégration familiale des
enfants. « Nous essayons toujours de parler avec eux, de les
aider parfois à améliorer leurs conditions de vie, de leur
faire comprendre les meilleurs moyens de se comporter avec
leurs petits. Le but étant d’essayer de faire retourner
l’enfant à sa famille. Une mère qui avait maltraité son
enfant en le frappant et le brûlant a commencé à changer son
comportement ; cependant, d’autres tiennent à leur férocité.
Et, selon la loi, je n’ai pas le droit de les empêcher de
récupérer leurs petits, même s’ils ont été abusés ou
maltraités », explique-t-elle. C’est le cas de
Mohannad, 5 ans, qui est venu à
l’institution en état de choc, gravement blessé. Il est
resté plusieurs jours isolé, sans prononcer un mot,
souffrant d’énurésie. « Petit à petit, nous avons commencé à
l’approcher, à gagner sa confiance, à l’intégrer dans la
grande famille d’Ana Al-Masri.
Et dès qu’il a commencé à retrouver son équilibre, à
exprimer ses sentiments, à plaisanter et à jouer avec ses
camarades, on est venu nous le reprendre », raconte Iman, se
souvenant du drame survenu quand
Mohannad a entendu le bruit du moteur de la moto de
son père. En une seconde, l’enfant a retrouvé son état de
traumatisme, essayant de se cacher pour ne pas retourner
chez lui. « Ce jour-là, le père a refusé de tendre l’oreille
à nos conseils, de changer sa façon de traiter son petit. Il
fallait le laisser un certain temps avec nous pour qu’il
soit convaincu de retourner chez lui. Pourtant, ce père a
insisté à récupérer son enfant, malgré ses cris et son état
de choc évident. Personne n’a oublié ce jour qui nous a
marqués à vie, car nous étions impuissants face aux cris de
secours du petit qui ne voulait pas retourner à la maison et
être torturé de nouveau », dit Iman, en montrant la photo de
l’enfant, suspendue au mur en compagnie d’autres qui ont
trouvé refuge dans cette ONG. Des petits rejetés par leurs
familles ou même ne sachant rien de leur passé, trouvés dans
les rues sans connaître même pas leurs noms.
Différents cas mais aussi divers problèmes face à des
parents parfois inconscients. L’ONG tient cependant à
réintégrer les petits dans la société, après une période de
formation qui dure plusieurs mois, tout comme s’il
s’agissait d’enfants sans problèmes particuliers. « Dans les
écoles où nous les renvoyons, nous payons tous les frais
pour leur éviter d’être remarqués », explique Mariam
Ezzat, responsable de l’ONG. Une
stratégie qui, cependant, n’empêche pas tous les problèmes.
Belal, un élève intelligent, a
été renvoyé par son professeur parce qu’il a refusé d’être
frappé par son professeur. « Le petit a protesté contre
cette punition, répétant qu’il est un être humain qui refuse
d’être frappé. Il a résisté en tenant le bâton levé par le
professeur qui allait le battre », explique Mariam, tout en
ajoutant que l’équipe de l’ONG est intervenue pour résoudre
le problème et que l’enfant est finalement retourné à
l’école le lendemain. « Dans les établissements scolaires,
et même dans les clubs, ils disent qu’ils vivent à la maison
et non pas à l’institution. Ici, nous essayons de leur faire
sentir qu’ils vivent dans leur propre maison, au sein d’une
grande famille », explique Soha
qui essaye, avec les 26 autres membres de l’ONG, d’alléger
les dégâts sur le psychisme des petits. Elle cite l’exemple
d’un des garçons, doué au football et qui poursuit un
entraînement dans un club de renom. Il se sent humilié par
le regard des autres enfants qui ont appris qu’il appartient
à une institution. « L’enfant a commencé à demander des
vêtements et des chaussures de marque, pour dépasser ce
sentiment de malaise. Un genre de comportement que nous
essayons de contenir en leur apprenant à s’adapter à leurs
conditions de vie et à avoir confiance en eux-mêmes »,
explique la sociologue.
24 heures sur 24
L’équipe de travail fait une permanence durant 24 heures et
ne cesse de suivre des formations pour mieux aider les
enfants et leurs familles. Certains ont réussi à nouer des
relations solides avec les petits qui cherchent bien souvent
de l’affection, de la sécurité et de la confiance. D’autres,
pourtant, ne résistent pas et choisissent d’autres travaux
plus faciles. Mais souvent, la récompense est à la hauteur
des efforts déployés. « Nous avons des exemples d’enfants
qui ont commencé à mener leur propre vie après deux ans dans
l’ONG, comme Koko, qui travaille
et réside dans un dry clean au 6 Octobre. Il se comporte
comme les autres garçons de son âge et commence à s’intégrer
véritablement dans la société. Mais il reste proche de notre
association et demande notre aide en cas de besoin »,
explique Mariam.
Dix autres branches seront bientôt installées, espère
Mariam, dans différents endroits, comme Imbaba,
Choubra, Dar Al-Salam ou
Hélouan. « Nous aurons aussi un
centre au Moqattam, pour les
jeunes mamans de la rue qui pourront s’y réfugier, elles et
leurs enfants », explique-t-elle, tout en montrant la
maquette d’un autre village, beaucoup plus vaste, sur 24
feddans, qui accueillera
prochainement des enfants marginalisés, toujours au 6
Octobre. Un lieu unique équipé d’une académie de formation
professionnelle et d’une boulangerie, et ce, pour permettre
à un grand nombre d’enfants d’y résider et d’avoir un accès
à une formation professionnelle.
Des rêves sans limites portés par l’équipe d’Ana Al-Masri,
qui travaille en coopération avec plusieurs autres ONG.
Nadia, la Brésilienne, est l’une des plus enthousiastes.
Elle ne cesse de faire le tour de la grande maison pour
surveiller les différentes activités et donner quelques
conseils ici et là. A l’atelier de peinture, les petits
artistes sont en train de colorier des dessins sur des
verres, de peindre une table de billard ou de faire des
poteries, sous la surveillance de Pedro. Abdo, 10 ans, fait
le guide pour la visite. Blessé dans un match de foot, il
n’est pas allé à l’école aujourd’hui, et montre fièrement
aux visiteurs des dessins accrochés au mur, prononçant
quelques mots en anglais, comme « hand
craft ». Le petit, qui rêve d’être un joueur de foot
comme Ahmad Hassan, montre un dessin qu’il a fait d’une
famille ayant beaucoup d’enfants. « C’est la famille que je
voudrais avoir, mais je crois que je me contenterais d’avoir
deux enfants seulement pour les bien soigner », explique
l’enfant hyper actif, qui ne cesse d’aller d’un endroit à un
autre et d’ajouter des commentaires ou des explications à
tout ce que disent les sociologues.
Gamal Ghorab, enseignant
d’éducation technique, vient chaque jour pour former les
petits passionnés par la couture. Des machines à coudre, des
modèles et des tissus que la célèbre designer égyptienne
Marie Louis, faisant partie du conseil de l’ONG, a apportés
ici, donnent l’occasion aux petits d’avoir une meilleure
formation. Et voilà Karim, Abdel-Rahmane
et d’autres travaillant avec efficacité et rapidité comme de
véritables professionnels, pour faire des T-shirts et des
shorts qui conviennent à leurs tailles. Le petit Karim, 10
ans, intervient pour dire que c’est lui qui a fait le short
qu’il porte. Des activités, des jeux mais aussi des devoirs
à faire, une journée pleine d’activités, mais aussi de
problèmes et de disputes qui se déclenchent parfois.
Souvent, des punitions tombent, mais aussi des récompenses.
Le soir, des sorties en groupe sont organisées : un moyen de
se rapprocher des petits et de les faire parler de leurs
maux d’une manière indirecte et moins conventionnelle. A 9h
du soir, c’est l’heure d’éteindre les lumières. Chaque petit
groupe se dirige vers sa chambre pour dormir après une
longue journée pleine de travail et d’activités. Chacun se
livre alors à ses rêves. Bassam pense au jour où il
deviendra pédiatre, Samah rêve
d’être serrée dans les bras de sa maman, morte depuis
quelques mois, Yara imagine le
jour où elle pourra retourner dans sa maison de famille
qu’elle a quittée, elle et ses deux frères, après le divorce
et le remariage de ses parents. Quant au petit Mahmoud, il
pense au plat de légumes farcis que la surveillante lui a
promis pour le déjeuner du lendemain.
Doaa
Khalifa