Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Un cocon pour renaitre

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 Semaine du 15 au 20 décembre 2010, numéro 849

 

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Nulle part ailleurs

Initiative . L’institution Ana Al-Masri se présente comme une bouée de sauvetage qui offre aux petits marginalisés des soins éducatifs, psychologiques et diverses activités. Le tout dans une ambiance familiale les aidant à se réintégrer dans la société. Reportage.

Un cocon pour renaitre

L’immense bâtiment, cerné d’un grand jardin, semble susciter la curiosité des visiteurs de la nouvelle cité Al-Haram City, dans la ville du 6 Octobre. Des bus emmènent des enfants en âge de scolarisation à l’école, d’autres accompagnés par des adultes font une promenade ou du sport. Dans la cour très spacieuse, les plus jeunes, débordant d’énergie, jouent avec beaucoup d’entrain, tandis que de petits groupes se forment, les uns chuchotent entre eux, d’autres se chamaillent ou lancent des plaisanteries, tandis que d’autres, les oreilles tendues, écoutent attentivement un des adultes qui raconte une histoire. La scène pourrait se passer comme dans une grande maison familiale.

En posant la question aux agents de sécurité du bâtiment, l’image s’éclaircit. Il s’agit de la résidence de l’institution Ana Al-Masri pour les enfants en difficultés, qui n’ont que la rue comme refuge. Ana Al-Masri est une ONG fondée en 2008 qui offre un ensemble de services et de soins à ces enfants en danger. Le but est de développer leurs compétences, de découvrir leurs talents, de les pousser à s’intégrer dans la société, pour devenir des membres productifs et actifs, et de leur garantir un avenir meilleur. Ou, plus simplement, de les rendre à leurs familles. Aujourd’hui, 63 enfants, dont l’âge varie entre 2 et 14 ans, ont eu cette chance de trouver refuge ici plutôt que de traîner dans la rue. Ici, les enfants, qui sont recommandés par le ministère de la Solidarité, par le Conseil national de la maternité et de l’enfance, ou par d’autres ONG, mènent un quotidien ressemblant à celui des autres enfants qui vivent normalement dans leurs familles. Ils se réveillent à 6h du matin, prennent leur douche, leur petit-déjeuner, puis ceux qui sont scolarisés se rendent à l’école tandis que d’autres suivent des cours d’alphabétisation. Les plus petits s’amusent dans la garderie ou écoutent des histoires racontées par des mamans ou des papas de substitution, qui ne sont que l’équipe de travail de l’institution. La journée est répartie entre l’éducation, le sport et les différentes activités : dessin, musique, ou cours de couture.

Un programme de vie complet et une mission humanitaire qui n’est pas une tâche aisée avec des enfants qui ont vécu des conditions de vie difficiles, ayant bien souvent connu la violence, soit dans leurs familles, soit dans la rue. Gagner leur confiance, panser leurs plaies, les orienter, leur apprendre à respecter les règles et les plier à une certaine discipline sont des défis auxquels doit faire face l’équipe de l’institution, comme l’explique Nadia, Brésilienne, qui, avec son mari Pedro, participent au projet en transmettant l’expérience acquise dans leur pays. Les exemples de la transformation radicale des nouveaux internes ne manquent pas. Dans la garderie, des enfants entre 2 et 6 ans sont là, bien propres et bien habillés après la deuxième douche de la journée, jouant, dessinant ou s’intéressant aux histoires racontées par Réda, l’enseignante, ou Iman, la responsable de la garderie. Un bambin de 5 ans reste isolé, il pleure et refuse de se mêler aux jeux, malgré tous les efforts pour tenter de le convaincre de faire autre chose, dessiner ou faire de la musique. L’enfant ne cesse de répéter la même phrase : « Je veux maman ». Une maman qui, depuis qu’elle l’a déposé ici, n’est plus jamais revenue le voir, bien qu’elle ait promis de le faire. « Son mari, le père de l’enfant, est condamné à 25 ans de prison, elle a dû laisser son petit durant des mois tout seul dans la rue, car elle était obligée d’aller travailler, et elle ne le récupérait que le soir. Actuellement, elle a trouvé un autre mari mais qui ne veut pas de cet enfant, alors, elle est venue le déposer chez nous. Depuis, elle ne lui rend plus visite », se lamente Iman, qui éprouve des torrents de colère contre cette mère dont l’enfant ne trouve pas le sommeil la nuit, attendant qu’elle vienne le prendre dans ses bras.

Parler aux parents

Pourtant, il faut savoir être diplomate avec les parents, comme l’explique Soha Hamed, sociologue et responsable de l’intégration familiale des enfants. « Nous essayons toujours de parler avec eux, de les aider parfois à améliorer leurs conditions de vie, de leur faire comprendre les meilleurs moyens de se comporter avec leurs petits. Le but étant d’essayer de faire retourner l’enfant à sa famille. Une mère qui avait maltraité son enfant en le frappant et le brûlant a commencé à changer son comportement ; cependant, d’autres tiennent à leur férocité. Et, selon la loi, je n’ai pas le droit de les empêcher de récupérer leurs petits, même s’ils ont été abusés ou maltraités », explique-t-elle. C’est le cas de Mohannad, 5 ans, qui est venu à l’institution en état de choc, gravement blessé. Il est resté plusieurs jours isolé, sans prononcer un mot, souffrant d’énurésie. « Petit à petit, nous avons commencé à l’approcher, à gagner sa confiance, à l’intégrer dans la grande famille d’Ana Al-Masri. Et dès qu’il a commencé à retrouver son équilibre, à exprimer ses sentiments, à plaisanter et à jouer avec ses camarades, on est venu nous le reprendre », raconte Iman, se souvenant du drame survenu quand Mohannad a entendu le bruit du moteur de la moto de son père. En une seconde, l’enfant a retrouvé son état de traumatisme, essayant de se cacher pour ne pas retourner chez lui. « Ce jour-là, le père a refusé de tendre l’oreille à nos conseils, de changer sa façon de traiter son petit. Il fallait le laisser un certain temps avec nous pour qu’il soit convaincu de retourner chez lui. Pourtant, ce père a insisté à récupérer son enfant, malgré ses cris et son état de choc évident. Personne n’a oublié ce jour qui nous a marqués à vie, car nous étions impuissants face aux cris de secours du petit qui ne voulait pas retourner à la maison et être torturé de nouveau », dit Iman, en montrant la photo de l’enfant, suspendue au mur en compagnie d’autres qui ont trouvé refuge dans cette ONG. Des petits rejetés par leurs familles ou même ne sachant rien de leur passé, trouvés dans les rues sans connaître même pas leurs noms.

Différents cas mais aussi divers problèmes face à des parents parfois inconscients. L’ONG tient cependant à réintégrer les petits dans la société, après une période de formation qui dure plusieurs mois, tout comme s’il s’agissait d’enfants sans problèmes particuliers. « Dans les écoles où nous les renvoyons, nous payons tous les frais pour leur éviter d’être remarqués », explique Mariam Ezzat, responsable de l’ONG. Une stratégie qui, cependant, n’empêche pas tous les problèmes. Belal, un élève intelligent, a été renvoyé par son professeur parce qu’il a refusé d’être frappé par son professeur. « Le petit a protesté contre cette punition, répétant qu’il est un être humain qui refuse d’être frappé. Il a résisté en tenant le bâton levé par le professeur qui allait le battre », explique Mariam, tout en ajoutant que l’équipe de l’ONG est intervenue pour résoudre le problème et que l’enfant est finalement retourné à l’école le lendemain. « Dans les établissements scolaires, et même dans les clubs, ils disent qu’ils vivent à la maison et non pas à l’institution. Ici, nous essayons de leur faire sentir qu’ils vivent dans leur propre maison, au sein d’une grande famille », explique Soha qui essaye, avec les 26 autres membres de l’ONG, d’alléger les dégâts sur le psychisme des petits. Elle cite l’exemple d’un des garçons, doué au football et qui poursuit un entraînement dans un club de renom. Il se sent humilié par le regard des autres enfants qui ont appris qu’il appartient à une institution. « L’enfant a commencé à demander des vêtements et des chaussures de marque, pour dépasser ce sentiment de malaise. Un genre de comportement que nous essayons de contenir en leur apprenant à s’adapter à leurs conditions de vie et à avoir confiance en eux-mêmes », explique la sociologue.

24 heures sur 24

L’équipe de travail fait une permanence durant 24 heures et ne cesse de suivre des formations pour mieux aider les enfants et leurs familles. Certains ont réussi à nouer des relations solides avec les petits qui cherchent bien souvent de l’affection, de la sécurité et de la confiance. D’autres, pourtant, ne résistent pas et choisissent d’autres travaux plus faciles. Mais souvent, la récompense est à la hauteur des efforts déployés. « Nous avons des exemples d’enfants qui ont commencé à mener leur propre vie après deux ans dans l’ONG, comme Koko, qui travaille et réside dans un dry clean au 6 Octobre. Il se comporte comme les autres garçons de son âge et commence à s’intégrer véritablement dans la société. Mais il reste proche de notre association et demande notre aide en cas de besoin », explique Mariam.

Dix autres branches seront bientôt installées, espère Mariam, dans différents endroits, comme Imbaba, Choubra, Dar Al-Salam ou Hélouan. « Nous aurons aussi un centre au Moqattam, pour les jeunes mamans de la rue qui pourront s’y réfugier, elles et leurs enfants », explique-t-elle, tout en montrant la maquette d’un autre village, beaucoup plus vaste, sur 24 feddans, qui accueillera prochainement des enfants marginalisés, toujours au 6 Octobre. Un lieu unique équipé d’une académie de formation professionnelle et d’une boulangerie, et ce, pour permettre à un grand nombre d’enfants d’y résider et d’avoir un accès à une formation professionnelle.

Des rêves sans limites portés par l’équipe d’Ana Al-Masri, qui travaille en coopération avec plusieurs autres ONG. Nadia, la Brésilienne, est l’une des plus enthousiastes. Elle ne cesse de faire le tour de la grande maison pour surveiller les différentes activités et donner quelques conseils ici et là. A l’atelier de peinture, les petits artistes sont en train de colorier des dessins sur des verres, de peindre une table de billard ou de faire des poteries, sous la surveillance de Pedro. Abdo, 10 ans, fait le guide pour la visite. Blessé dans un match de foot, il n’est pas allé à l’école aujourd’hui, et montre fièrement aux visiteurs des dessins accrochés au mur, prononçant quelques mots en anglais, comme « hand craft ». Le petit, qui rêve d’être un joueur de foot comme Ahmad Hassan, montre un dessin qu’il a fait d’une famille ayant beaucoup d’enfants. « C’est la famille que je voudrais avoir, mais je crois que je me contenterais d’avoir deux enfants seulement pour les bien soigner », explique l’enfant hyper actif, qui ne cesse d’aller d’un endroit à un autre et d’ajouter des commentaires ou des explications à tout ce que disent les sociologues.

Gamal Ghorab, enseignant d’éducation technique, vient chaque jour pour former les petits passionnés par la couture. Des machines à coudre, des modèles et des tissus que la célèbre designer égyptienne Marie Louis, faisant partie du conseil de l’ONG, a apportés ici, donnent l’occasion aux petits d’avoir une meilleure formation. Et voilà Karim, Abdel-Rahmane et d’autres travaillant avec efficacité et rapidité comme de véritables professionnels, pour faire des T-shirts et des shorts qui conviennent à leurs tailles. Le petit Karim, 10 ans, intervient pour dire que c’est lui qui a fait le short qu’il porte. Des activités, des jeux mais aussi des devoirs à faire, une journée pleine d’activités, mais aussi de problèmes et de disputes qui se déclenchent parfois. Souvent, des punitions tombent, mais aussi des récompenses. Le soir, des sorties en groupe sont organisées : un moyen de se rapprocher des petits et de les faire parler de leurs maux d’une manière indirecte et moins conventionnelle. A 9h du soir, c’est l’heure d’éteindre les lumières. Chaque petit groupe se dirige vers sa chambre pour dormir après une longue journée pleine de travail et d’activités. Chacun se livre alors à ses rêves. Bassam pense au jour où il deviendra pédiatre, Samah rêve d’être serrée dans les bras de sa maman, morte depuis quelques mois, Yara imagine le jour où elle pourra retourner dans sa maison de famille qu’elle a quittée, elle et ses deux frères, après le divorce et le remariage de ses parents. Quant au petit Mahmoud, il pense au plat de légumes farcis que la surveillante lui a promis pour le déjeuner du lendemain.

Doaa Khalifa

 




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