Walid Mounir,
à l’opposé des poètes de sa génération des années 1970,
explore un univers lyrique, d’une légèreté insoutenable. En
voici quelques vers tirés de son recueil de poèmes
Taam qadim
lel helm
(un ancien goût du rêve), au 1er anniversaire de sa mort.
Le collier du pigeon
Toutes les femmes de la terre sont en une femme
Une seule femme
Ses arbres la nomment
Sa source est pure, profonde, et son vin coule à l’infini
Ses oiseaux sont très hauts
Plus hauts que le ciel, peut-être,
Son temps est un et il dure
Une femme comme un coquillage
Et son âme est la perle du coquillage
Je ne peux la décrire comme mon oreille la voit
Parce qu’elle est la musique
Ou bien telle que l’écoutent mes doigts
Parce qu’elle est le velours de la rosée
Ni comme mes yeux la sentent
Car elle est blanche comme l’éclair
Et elle ne dure pas
Toutes les femmes de la terre sont en une femme
Tous les astres de l’espace
Tous les nuages suspendus
Tous les jardins qui possèdent le miel de la reine
Tout l’univers tourne ici comme une bague
Au doigt d’une femme.
Cadeau perdu
Par le courrier rapide
On m’a envoyé beaucoup de papillons
Et beaucoup de coquillages
J’ai tant souhaité que les amis m’envoient
Beaucoup de pays
Pour choisir entre eux une patrie
Où les jardins ne sont pas un mirage
Et je m’y promènerais pour le simple plaisir
Et ses potences seraient de soie
J’ai tant souhaité que les deux femmes
Dont la tendresse déchaîne en moi tant de tempêtes
M’envoient des livres sur les vêtements des cosmonautes
Et des ailes pour voler
J’ai tant souhaité que le fleuve m’envoie
Beaucoup de pensées
J’en choisirais pour lui la volonté de la dernière crue
J’ai tant souhaité que le soleil m’envoie
Dans le courrier rapide
Un ruban délicat
Que je poserais dans les ténèbres sur le corps de ces roses
Qui se retournent, nues, avec le murmure de l’eau
Des présents si nombreux
J’ai tant souhaité avoir seulement un anneau
Et quand je l’effleure
Je disparais
Comme l’éther.
Un joli pari
Le pari sur ta présence avec moi
Comme les étoiles du ciel
C’est un joli pari
Le pari sur ta présence avec moi
Comme le parfum qui voyage chaque été
Est un joli pari
Les étoiles seulement
Et le parfum seulement
Sont le secret de ce qui est plus loin de tout
Et plus près de tout, ensemble,
Les étoiles seulement
Et le parfum seulement
Preuves de la fusion des détails de notre expérience
réaliste
Dans l’impossible
Et moi, à vrai dire, les seules femmes qui me conviennent
Vont et viennent selon mon besoin de battements d’ailes
D’oiseaux sur les rameaux des palmiers
Je n’aime pas les femmes qui font un nid
Eternellement dans mes poumons
Et qui m’entourent en chaque saison comme fait la mer
Avec l’archipel
Et je t’aime quand l’air est léger comme mon âme
Et quand les nuits sont enveloppées
D’une transparence qui blesse le safran
Et s’en vont lentement vers la source du nectar
Et je t’aime comme le feu aux froides demeures et la paix
Sur un amoureux portant des nuages
En extase toujours, comme un amant,
Le pari que la passion deviendra
Une chance pour découvrir la rosée
En harmonie avec ses pensées
Pour définir à nouveau le sens du jour
Et rendre au crépuscule sa vraie valeur,
Le pari que l’on verra le sabot du poulain
Se refermer comme l’espace sur la forme de ce hennissement.
Pour tout ceci, madame,
Parier sur toi
Est un joli pari.
La tentation du saint
L’amour pardonne toujours
Malgré cela, il n’a pas trouvé ceux qui vont le pardonner
Le vent demande encore :
Ses mains ont embrasé combien de feux ?
Et combien de lunes ont été baptisées en son nom dans le
sang ?
Combien de saules ont été coupés ?
Et combien d’oiseaux sont tombés de sa haute tour
Pour que la poussière les jette à la poussière ?
Une amoureuse gémit comme si elle était la flûte solitaire,
Et un amoureux pleure longtemps, puis n’hérite pas les
nuages.
Quand le vent deviendra-t-il plus clément
Et les amoureux croiront-ils moins aux sens des miracles ?
Simplement l’amour est un saint
Qui a appris des pirates des mers le courage de l’oubli.
Il n’a pas achevé ses connaissances en tant que saint,
A la fin, il n’est pas devenu meurtrier,
Mais il est devenu une part de nous
Avec ses erreurs
Et ses vertus.
Et il pardonne toujours
Et il veut que ses yeux qui ont marché durant des années
derrière les illusions
Le guident vers ceux qui pourront lui pardonner.
Une chambre avec vue
Même si la vie est brève
La vague doit demeurer longtemps, comme les rêves,
Et la rose : la couleur de la rose
Le parfum de la rose
L’épine de la rose
Doivent sortir du corps de la rose
Pour que la goutte tremble avec sa substance.
Le balcon est vaste,
Et les jours passent là-bas comme des nuages
Et un jardin oublie son manteau sur le trottoir
Du vent,
Une mer s’étend jusqu’aux confins du monde,
Deux amoureux sont heureux,
Un wagon, garé dans un coin, est en panne
Et une femme qui se retourne pour se rappeler l’adresse de
la maison oubliée
Quelque chose ne divulgue pas son essence
Et répand dans l’atmosphère l’odeur des arbres en fuite.
Quand il faut cacher des secrets
Parce que l’histoire est abrégée
Et parce que ce qui se perd on ne le retrouve pas
Parce qu’on a tué des anges
Et des vents soufflent et les palmiers ne les bravent pas
Parce que le jeune homme ne se pose plus des questions sur
son cœur
Et la jeune fille qui a oublié chez lui hier
La clé de ses rêves
N’a pas tenu à reprendre l’objet confié
Parce que les poèmes de Jahine
l’ont inondé avec leurs pluies
Et parce que Avicenne va le
reconnaître
Quand il frappera à la porte avant le coucher du soleil
Il s’est mis à boire son café en silence
Il a ignoré le bruit que faisaient ses amis
Puis il s’est levé, leur a dit adieu, et s’en est allé
brûlé comme un papillon.
Capturer la lune
Vas-tu retourner avec moi ?
Il est rare que deux êtres enlèvent une seule mer.
Il est rare que les poissons captifs écrivent
De la poésie.
L’amour est rare ici.
Ce qui se passe maintenant c’est le premier miracle
De cette mer.
Ce qui arrive n’est pas arrivé
Et n’arrivera pas
La victoire de la rose blanche nous suffit
L’embrasement de la lune éteinte sous l’eau nous suffit
Il nous suffit que dix années se lèvent de leur couchant.
Tu retourneras avec moi
Il faut seulement appeler notre voix perdue
Dans les noms créés.
Il n’y a plus que nous deux.
Que penses-tu de prendre un thé,
A une table cassée de l’hôtel de la vie ?
Nous nous raconterons nos débuts
Et nos passions
Et nos ambitions
Et nous chanterons quand nos mains vont se tenir,
Nous chanterons,
Et nous verrons nos murs tomber d’eux-mêmes.
Il est si rare que les amoureux possèdent l’amour donc
Les murs ne sont pas tombés, madame,
Allons,
Car pour capturer, on n’attend pas l’appât du piège
Plus d’une seconde.
Traduction de Suzanne El Lackany