La Suisse a approuvé dimanche, par référendum, une
proposition visant à expulser les étrangers coupables de
crimes. Andreas Gross,
député et président du groupe social démocrate à l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe, analyse ce nouveau
signe d’hostilité envers les étrangers.
« L’aile nationaliste de droite a mis
les Suisses dans la
confusion »
Al-ahram hebdo : Depuis 2007, le
SVP (droite populiste conservatrice) travaille sur la
campagne de renvoi des criminels étrangers. Les affiches de
l’initiative, répandues dans toutes les rues, ont préparé le
vote du 28 novembre qui s’est soldé par une majorité de 53 %
pour le oui. Qu’en dites-vous ?
Andreas Gross :
Aujourd’hui, vous trouverez que dans toutes les sociétés de
l’Europe occidentale, 30 % des citoyens conservateurs sont
séduits par les discours xénophobes ou discriminatoires. Les
personnes qui n’ont pas acquis de niveau satisfaisant
d’enseignement, qui ne sont pas assez qualifiées pour
rejoindre le marché du travail, ou bien qui risquent de
perdre leur emploi, font partie de ce tiers. Ceci les pousse
à lire des journaux et à suivre des programmes télévisés
médiocres et ne sont pas bien placées pour assimiler la
difficulté des problèmes politiques. Ces citoyens sont une
minorité qui fait exception à la règle adoptée, qui aspire à
avoir un niveau d’éducation satisfaisant, un emploi et une
vie décente pour tout le monde. C’est vraiment une honte que
l’on ne puisse pas faire mieux.
— On dit que la campagne « moutons noirs » ressemble à
l’initiative malheureuse de 1970, lancée par le Suisse James
Schwarzenbach contre l’emprise
étrangère, et les organisations des droits de l’homme
avaient mis en garde contre cette campagne. Jusqu’à quel
degré les résidents arabes et musulmans seront-ils affectés
par cette campagne ?
— Cette tendance retombe sur tous ceux qui sont « différents
», c’est-à-dire l’autre. L’initiative d’expulsion lancée par
le SVP prône le renvoi des immigrés criminels qui n’ont pas
la nationalité suisse. Il s’agit là, dans l’esprit du SVP,
d’une mesure sécuritaire. Alors que l’initiative de
Schwarzenbach avait pour
objectif de réduire le nombre grandissant des travailleurs
étrangers qui représentaient une main-d’œuvre moins chère. A
l’époque, la majorité des Suisses avaient voté contre
l’initiative, parce que les immigrés constituaient un besoin
réel pour la promotion de l’économie suisse. Alors que
l’actuel débat est focalisé sur les immigrés allemands qui
sont bien rémunérés et qui sont en compétition avec les
Suisses.
— Le SVP a annoncé plusieurs procédures contre « la
propagation de l’islam en Suisse ». Son président a annoncé
que les musulmanes en Suisse ne devaient pas se rendre au
travail avec le hidjab. Pensez-vous qu’un autre débat public
peut mener à la répétition du scénario anti-minaret ?
— Les politiciens de l’aile nationaliste de droite ont mis
les citoyens suisses dans la confusion en faisant des
minarets, du voile et autres les symboles d’un islam
fondamentaliste. Et même parfois d’un islam militant, qu’ils
ont connu à travers la télévision et ce qui est publié dans
la presse internationale. C’est ainsi qu’ils ont réussi à
mobiliser les gens contre la construction de nouveaux
minarets en Suisse. Il est vrai que toute personne résidant
en Suisse doit se conformer à la loi du pays ; or, une tenue
individuelle n’est pas une chose qui doit préoccuper l’Etat.
La façon de paraître en public est d’ordre privé. Personne
n’a le droit d’intervenir.
— La ministre des Affaires étrangères Micheline
Calmy-Rey, a annoncé que
parmi les priorités de la Suisse figurait la protection des
droits de l’homme. Le gouvernement en a-t-il vraiment le
pouvoir ?
— Le gouvernement suisse a le pouvoir de proposer des lois
qui garantissent le respect des droits de l’homme, mais il
n’a pas le pouvoir de garantir que de telles lois soient
adoptées. Nous ne sommes pas dans une dictature. Dans les
démocraties réelles, aucun gouvernement ne peut garantir
quoi que ce soit de façon absolue. C’est pour cela que
j’assure que la protection des droits de l’homme constitue
un processus collectif qu’il faut inculquer à la société.
Nous devons être capables de convaincre au moins la majorité
de l’importance de cette question, ce qui nécessite beaucoup
plus que le simple pouvoir du gouvernement.
— La démocratie directe est un bon système. Mais dans le cas
de ce type de référendum, comment concilier les urnes d’un
côté et les garanties internationales des droits de l’homme
de l’autre ?
— La démocratie directe a besoin d’institutions et
d’organisations efficaces, pour éduquer les gens, exactement
comme le fait d’encourager les débats publiques et les
connaissances politiques. Pendant longtemps, beaucoup de
Suisses pensaient que cette mission était du ressort de la
famille et de l’école. Aujourd’hui, nous découvrons que nous
devons investir beaucoup plus dans ces institutions pour les
aider à promouvoir la démocratie directe qui respecte et
garantit les droits de l’homme. Sinon, la démocratie directe
perdra son sens et sa valeur. Le problème ne réside donc pas
dans la démocratie réelle, mais dans la manière de
s’intégrer dans le système fédéral suisse.
— Que prévoit votre pays pour réaliser l’équilibre entre les
politiques encourageant la diversité religieuse et
culturelle et celles encourageant l’intégration sociale ?
— La diversité a toujours été une des composantes de
l’identité suisse. Et l’intégration ne doit pas signifier
l’assimilation. La Suisse moderne doit son existence et son
succès aux étrangers qui y ont immigré, surtout après 1830.
A cette époque, la Suisse était l’un des Etats les plus
démocratiques et les plus progressifs en Europe, sur un pied
d’égalité avec les Etats-Unis. La Suisse était donc plus
ouverte aux immigrés qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Depuis les deux guerres mondiales, la majorité des Suisses
est devenue étroite d’esprit et a peur. Les Suisses ont
favorablement accueilli une certaine ouverture économique,
mais la pensée culturelle n’a pas navigué de pair avec la
culture économique. De nombreuses communautés suisses ne
veulent pas permettre à l’Etat d’avoir des ressources
financières suffisantes pour fonder un système éducatif et
des institutions culturelles qui s’adressent à tout le monde
de façon correcte et non pas seulement les riches.
Les Suisses ne veulent pas payer les impôts qui sont
aujourd’hui nécessaires pour obtenir l’éducation et la
culture dont ils ont vraiment besoin et qu’ils méritent.
— Le vote anti-minaret par référendum du 29 novembre 2009
montre comment un sujet d’ordre public peut prendre des
dimensions plus vastes. Comment évaluez-vous les derniers
développements survenus en Europe ?
— Les Suisses sont les seuls Européens pouvant œuvrer à
amender leur Constitution quand ils le veulent et par la
manière qui leur convient. Ce processus s’inscrit dans le
cadre de la démocratie directe, où le pouvoir politique est,
en fait, partagé avec les citoyens. Il est vrai que
l’initiative anti-minaret est une décision suisse, mais en
réalité, elle exprime une tendance que l’on retrouve dans la
plupart des pays de l’Europe occidentale. De nombreux
citoyens ont des craintes résultant des maux économiques et
sociaux qu’ils projettent sur des communautés qui sont
différentes et à propos desquelles ils ne savent pas
grand-chose. En effet, les vrais promoteurs de ces tendances
sont les organisations et partis de droite. Ils en veulent à
ces communautés, afin d’attirer l’attention vers eux, faire
croître les craintes et les violences sociales, ce qui sert
l’agenda politique de la droite conservatrice.
— Lors de la visite officielle du président suisse Pascal
Couchepin en Egypte en 2008, les
médias n’ont pas souligné le débat sur l’interdiction des
minarets, problème qui date de 2005. Une seule justification
a été avancée : celle selon laquelle la Suisse est un pays
obsédé par les référendums qui manquent souvent leurs
objectifs. Qu’en pensez-vous ?
— Le mot « obsédé par les référendums » révèle un manque de
compréhension. Selon l’article 139 de la Constitution
fédérale de la Confédération suisse, 100 000 citoyens
suisses auraient le droit de lancer une initiative
populaire. L’objectif peut être de proposer des amendements
constitutionnels. Dans le cas où ils sont validés,
l’initiative se développe pour prendre la forme d’un
référendum, et les questions soulevées par les référendums
dévoilent l’intensité réelle des problèmes. Et donc, il
n’est absolument pas question d’obsession.
Bien entendu, les médias étrangers, arabes et islamiques
inclus, auraient dû participer plus activement au débat
avant le vote. D’ailleurs, j’avais mis l’accent sur cela
avant et pendant le vote, et ceci aurait pu influencer la
décision finale jusqu’à un certain degré. Il ne fallait
guère s’attendre à réagir après le résultat du référendum en
novembre 2009.
Propos
recueillis par Mona
Sewilam