Coptes .
Une deuxième victime est décédée suite à des violences, la
semaine dernière, avec les forces de l’ordre autour de la
construction d’une église. Autorités locales et dignitaires
religieux cherchent à apaiser la tension.
Deux versions et une morale
Le
calme est revenu au quartier Al-Talebiya,
qui a témoigné, la semaine dernière, d’affrontements entre
citoyens chrétiens mécontents et forces de l’ordre. Un calme
gardé par des milliers de policiers qui encerclent la zone
de l’église au centre des événements.
Le 24 novembre, dans ce quartier au sud-ouest du Caire, non
loin des pyramides, des heurts entre 3 000 chrétiens qui
protestaient contre l’interdiction de construire une église
et des policiers ont fait 2 morts parmi les manifestants. 68
autres personnes blessées, coptes et policiers confondus,
ont dû être hospitalisées. Des chiffres qui reposent sur des
estimations officielles.
Le calme c’est aussi ce que les deux côtés cherchaient,
depuis ce dérapage sans précédent. Samedi, l’évêque de
Guiza, Mgr
Théodosios, accompagné d’une délégation
ecclésiastique, s’est rendu aux bureaux du gouverneur et du
directeur de la sécurité de Guiza
pour « exprimer sa désolation », face à ce qui s’est passé.
Pourtant, « ce qui s’est passé » est difficile à savoir.
Officiellement, les chrétiens fidèles de ce bidonville ont
reçu une permission pour construire un centre dépendant de
l’église de la Sainte Vierge. Le bâtiment érigé, ils ont
voulu ensuite le transformer en chapelle avec une coupole et
une croix dessus. De leur côté, les responsables municipaux
leur demandaient de suivre les démarches officielles pour
l’obtention d’un nouveau permis, en bonne et due forme, pour
la construction d’une église cette fois. « Quand nous avons
remarqué que cela prenait la tournure d’une église, nous
avons fait stopper les travaux, car une église requiert une
autorisation différente », a affirmé le gouverneur Sayed
Abdel-Aziz. « Je suis totalement
disposé à aider les chrétiens à obtenir une autorisation
pour une église, mais ils doivent cesser de transformer ce
bâtiment-là en église », a-t-il précisé. En sit-in à
l’intérieur de l’église, les coptes ont commencé à agresser
par des jets de pierres et des cocktails Molotov les forces
de l’ordre dépêchées sur les
lieux pour « éviter un dérapage ». Dans un communiqué, le
ministère de l’Intérieur a « regretté » les blessés et les
pertes de vie humaine, expliquant que « les manifestants ont
ignoré plusieurs appels à cesser la violence, mettant ainsi
en danger les habitants du quartier. A un certain moment les
forces de sécurité n’avaient de choix que de les disperser
en usant de gaz lacrymogène ».
Une version adoptée par la majorité des médias locaux et que
les dignitaires coptes se sont abstenus de contredire. Lors
de son sermon hebdomadaire, le chef de l’Eglise, le pape
Chénouda III, s’est contenté de
faire une allusion implicite à un « abus du pouvoir » de la
part de l’administration et des forces de l’ordre. « Dieu
donne l’autorité à certaines personnes afin qu’elles
assurent le bien-être de ceux qu’elles dirigent, mais
l’autorité ne devrait pas être exercée avec violence »,
a-t-il déclaré.
Propre version des faits
Déçus par ce qu’ils voient comme une attitude trop
conciliante de la part de l’Eglise, et ne trouvant personne
pour les écouter, les fidèles sur les lieux des événements
ont organisé samedi une conférence de presse pour relater
leur propre version des faits. Sous le titre « Le carnage de
Talebiya, une guerre des rues »,
ces témoins ont comparé l’attitude des forces de l’ordre à
celle des « soldats israéliens dans les territoires
palestiniens occupés ». D’après eux, « l’attaque policière »
était prédéterminée : les forces de police sont arrivées,
accompagnées de bulldozers, pour raser l’église. Les
soldats, qui encerclaient déjà l’église depuis les premières
heures du matin, y ont fait irruption, brûlant des icônes et
confisquant l’argent de l’aumône, raconte-t-on. « C’est
alors que les bombes lacrymogènes ont commencé à nous tomber
dessus ».
Quel que soit l’initiateur de la violence, les affrontements
ont dégénéré et des policiers ont tiré à balles réelles,
faisant tomber une première victime. Quelques centaines de
chrétiens sont partis en direction des bureaux du gouverneur
de Guiza, où ils ont rencontré
des policiers anti-émeutes. Les
manifestants, selon un responsable des services de sécurité,
ont brisé des vitres et des voitures.
La justice égyptienne a ordonné jeudi de prolonger de deux
semaines la garde à vue des 156 personnes interpellées,
accusées de destruction de véhicules et d’autres biens
communs et d’usage de force contre les forces de l’ordre.
Les heurts de Guiza surviennent
au lendemain de la publication d’un rapport du département
d’Etat américain sur la liberté religieuse, qui contient des
critiques dures sur la question du respect de la liberté
religieuse en Egypte. Le rapport précise que les minorités,
notamment les chrétiens et les bahaïs, « subissent des
discriminations collectives et personnelles, en particulier
dans l’accès à la fonction publique et pour construire,
rénover et réparer des lieux de culte ».
La loi en vigueur, héritée de l’époque ottomane, est très
contraignante pour construire ou agrandir des églises. Dans
leurs réactions aux événements de Guiza,
plusieurs ONG locales ont identifié cette loi « injuste »
comme à la base de plusieurs frictions et incidents
confessionnels. « Ce qui pousse les coptes à contourner une
loi discriminatoire, c’est le refus obstiné du gouvernement
à faire adopter une loi unifiée pour la construction des
lieux de culte », lit-on dans un communiqué issu de
l’organisation « Egyptiens contre la discrimination
religieuse ». L’absence d’une telle loi, d’après
l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, une autre
ONG, est « l’une des principales raisons de la tension qui
prévaut entre l’administration et les coptes ».
Chérif
Albert