Peinture .
Porté par un style peu académique, Samir Fouad présente une
série de toiles puissantes et crues aux relents d’angoisse
et de folie. Une exposition couleur sang où l’absence de
formalisme est salvatrice.
Réminiscences d’art brut
C’est trapu, fort, dérangeant et encore pur : la chair à
vif. « Chair » c’est aussi le titre de l’exposition de Samir
Fouad à la galerie Picasso. Des tons pastel pour une matière
écarlate, toujours un léger décalage dans le mouvement et un
interstice, très mince, « entre l’amour et la mort, le rire
et le cri, la souffrance et l’extase », écrit Fouad. Le
décor est planté : la nouvelle saison de l’artiste né au
Caire en 1944 est rouge, les carcasses égorgées pendent aux
crocs du boucher. Pour évoquer l’âme, le corps est un médium
utile, la chair, les muscles et le sang vont, eux, au plus
profond et le rouge du corps devient la noirceur de l’âme.
Fouad n’a pas choisi de rendre la matière palpable, vivante.
Comme si l’art brut pouvait se transformer en toile de fond
et le temps en entité active. La frustration appelle au
secours, hurle et demeure muette, pas un son, pas un bruit ;
l’angoisse est mutilée. Car c’est bien l’art brut qui
caractérise Samir Fouad, diplômé d’ingénierie de
l’Université du Caire. Pas d’académisme, les toiles sont
vides de culture artistique, la technique sans réel rapport
avec le sujet qui est, lui, uniquement porté sur les
premiers thèmes de l’art brut : l’inconscient révélé par
l’ineffable. Loin de tout mouvement artistique, l’acteur de
l’art brut n’est porté que par un désir d’expression qui
sortira sous des formes pas encore définies au début du
processus de création. Le lien entre la toile — ou toute
autre forme — et la personnalité du créateur n’en est que
renforcé : la création étant supposément vierge de tout «
parasite » culturel, de volonté d’imitation ou de
continuation de formes artistiques existantes.
Pourtant, l’absence d’influence n’est pas éternelle, et la
première exposition d’un art brut est aussi, en général, sa
dernière : le créateur entrant alors dans un monde
artistique qui lui transmet ses codes, ses styles et ses
discours. Seul l’isolement permet au créateur d’art brut de
survivre. Mais il reste des traces chez Samir Fouad, une
volonté de garder un lien privilégié et direct avec la
toile. Le plus frappant est peut-être le désir d’allier le
traitement de la surface de la toile
avec l’expression des sujets qu’il peint. Torturés, ivres
d’angoisses et de douleur, les personnages imprègnent leur
support matériel, lui aussi mutilé, rayé, gratté et abîmé
tout simplement. Ainsi, la chair, pourtant prisée en
peinture pour sa texture et le rendu de sa matière, devient
un élément fade, aux couleurs passées, perdant de sa saveur
pour gagner en force. Mi-homme, mi-bête, les éléments les
plus féroces jaillissent des cadres, pour transformer la
galerie en musée des horreurs : splendide !
Dommage cependant que l’artiste accorde de la valeur à son
travail. Pour toucher à l’art brut, même de loin, le
désintéressement de l’artiste (qui, en art brut, ne devrait
pas se nommer ainsi) doit être complet, sans concession. Un
art brut, qui cherche les louanges, disparaît. Malgré tout,
on sent une force constante chez Fouad : la volonté de ne
pas s’encombrer d’inutiles artifices, d’ajouts symboliques
ou de références qui, souvent, n’apportent rien à la
peinture. Les pulsions se sentent encore dans la toile. Il
n’y a pas, dans sa méthode, de construction définie, mais un
travail instinctif, particulièrement dans l’élaboration des
carcasses animales, abstraction de l’état d’esprit des
personnages qui les côtoient. Le résultat est toutefois
mitigé, principalement soutenu par l’absence de formalisme.
Alban
de Ménonville