Al-Ahram Hebdo, Visages | Georgette Kellini, La voix haut perchee

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 Semaine du 3 au 9 novembre 2010, numéro 843

 

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Visages

Georgette Kellini a été nommée, deux fois de suite, députée par le président de la République. A l’approche des élections législatives, rencontre avec une figure politique devenue incontournable par ses combats et son caractère.

La voix haut perchee

Une femme égyptienne. C’est ainsi qu’elle préfère être qualifiée, Georgette Kellini refuse toute autre distinction. Elle est de ces femmes charismatiques, à la forte personnalité, qui parlent à haute voix et ne craignent rien. Un genre qui suscite la curiosité, surtout dans des sociétés où les femmes doivent encore prouver leur existence. « Je ne suis ni courageuse ni audacieuse. En fait, je n’arrive pas à m’empêcher de dire ce que je veux dire. Je n’aime pas être en conflit avec moi-même, à tel point de me détester. Je dis toujours ce que je dis par respect pour moi-même », souligne Kellini, de ses yeux pétillants …, comme d’habitude. Il suffit de passer quelques minutes à l’écouter pendant des interviews ou même en cours de discussions durant les séances parlementaires pour découvrir un caractère ferme et résolu. « J’ai hérité ces traits de caractère de mon père. Je disais souvent qu’il y a eu une sorte de clonage entre nous. Il était à la fois ferme et tendre. On le respecte beaucoup et en même temps on l’aime tant qu’on évite qu’il soit fâché. Toutes les fois où j’ai réussi quelque chose, c’était pour lui faire plaisir et le rendre fier », raconte Georgette, en toute gratitude.

Fille d’une femme au foyer et d’un ingénieur, tout était là pour forger sa personnalité. Confiance et justice ont toujours constitué l’axe principal de son éducation. « Mon père était toujours content de me voir soutenir et défendre une personne en avançant des arguments solides. Il respectait beaucoup ma logique d’enfant », se souvient-elle. Et d’ajouter : « A l’école, quand il y avait une dispute entre deux copines, on m’appelait toujours pour faire l’arbitre. Je me rappelle encore le jour où le professeur d’arabe m’a dit que je devrais être avocate parce que j’excellais dans la défense de mon point de vue ».

Elle n’y avait jamais pensé jusque-là. Elle voulait plutôt devenir journaliste. « Pendant le baccalauréat, j’avais beaucoup d’activités : j’étais par exemple au groupe de musique. J’étais connue par tout le monde. Je n’acceptais pas qu’on me refuse une demande et je répétais souvent : Comment osez-vous ? Je suis Gigi ! ». Sourit-elle. Et d’ajouter : « Je me comportais comme une vraie star. Aux examens de fin d’année, j’ai répondu avec toute la confiance du monde, comme si j’étais une star dont les avis devaient être approuvés par tous ». Résultat : un pourcentage inattendu qui a mis fin au rêve du journalisme. « L’étude de droit était la plus proche de ma personnalité ».

Une fois le seuil de la faculté de droit franchi, Georgette fait la connaissance d’un nouveau monde : un monde bâti sur les lois et fait de constitutions. C’est pendant sa première année d’étude qu’elle se maria et qu’elle a eu sa fille aînée. Comme son père, son mari a aussi joué un rôle important dans sa vie. Normal pour un mariage fondé sur le grand amour, le coup de foudre lors d’une réunion familiale. « Il m’a tant soutenue durant mon parcours. Combien de fois je lui avais demandé de sortir et lui, il insistait à ce que je finissais d’apprendre mes cours. Le jour de la soutenance de mon doctorat, mes amis me disaient qu’il était content comme s’il avait été mon père ». Elle parle de son partenaire avec un grand respect et un amour intense, comme s’il n’était pas décédé depuis plusieurs années.

La mort soudaine de son mari a été le choc de sa vie. Mais, en femme croyante, veuve et mère de deux filles, elle s’est montrée prête à relever tous les défis. « Je ne peux pas dire que la vie était difficile, ou que j’ai beaucoup souffert. Dieu merci, j’ai réussi à bien éduquer mes filles ». D’ailleurs, le fait d’être copte n’ajoute-t-il pas en soi des défis à cette femme ? « J’ai rencontré des obstacles en tant que femme, non en tant que copte. Tout le temps, je devais me comporter en étant consciente de mes droits de femme. Mais aussi, il faut souligner que j’ai travaillé dans des milieux où la discrimination basée sur la foi est impossible. Or, je ne suis pas sûre, si j’avais travaillé ailleurs, que j’aurais connu ce genre de défis », affirme-t-elle.

Georgette Kellini est la première femme égyptienne à accéder au département de législation du ministère de la Justice en 1990. De quoi susciter la jalousie parmi ses collègues hommes. « C’est vrai qu’ils n’affichaient pas ouvertement leur refus, mais leurs propos et attitudes l’exprimaient indirectement. D’autres n’éprouvaient aucune désapprobation. Au contraire, ils m’encourageaient beaucoup avec en tête mes professeurs comme les conseillers Maher Sami, Serry Siam, Abdel-Rahmane Farah et Farouq Seif Al-Nasr. Ce dernier était mon père spirituel. On m’appelait même Georgette Farouq Seif Al-Nasr ».

Kellini ne manque pas de critiques et parfois même d’accusations. « Elle cherche à réaliser un agenda américain », disent les uns, « Elle est fanatique et agit en porte-parole des coptes, en oubliant qu’elle est censée représenter le peuple égyptien en son entier », disent les autres. « Ces accusations sont avancées toutes les fois que je défends les causes des femmes ou des coptes. Je sais très bien que certains voulaient me terroriser. Mais je suis sûre et certaine de toutes les questions que j’aborde », réplique-t-elle. Kellini est réputée pour ses positions audacieuses, face à des incidents multiples : le naufrage du ferry Al-Salam 98 en 2006 en mer Rouge ayant fait 1 033 morts, les effondrements qui ont balayé 50 habitations des bidonvilles d’Al-Doweiqa en 2008 et dernièrement le massacre de 2010 qui, à la veille du Noël copte, a fait 7 morts et une dizaine de blessés. « Mon métier et ma conscience m’obligent à défendre les opprimés, quels que soient leur religion ou leur genre. Je n’ai peur de rien et en tout cas, le fait d’être accusée ne signifie pas que je suis coupable », affirme Kellini en choisissant ses mots. « Ceux qui m’accusent sont incapables de s’exprimer librement. Et quand ils réalisent que la personne qui s’exprime en toute liberté est une femme, ils prennent un coup au moral ».

Elle, qui a été nommée par le président au Parlement deux fois de suite, n’hésite pas à critiquer le Parti National Démocrate (PND, au pouvoir) auquel elle appartient. De quoi embarrasser ses partisans. Un paradoxe ? « Pas du tout. D’abord, ma nomination au Parlement n’a pas été conditionnée. J’avais la même personnalité lorsque je travaillais au département de législation, ou même comme jeune procureur. Je me souviens des fois pendant lesquelles je critiquais le conseiller Farouq Seif Al-Nasr, qui était à l’époque le ministre de la Justice, et lui me répondait en souriant : c’est moi le ministre de la Justice ».

Elle a critiqué le ministre du Logement Ibrahim Soliman, le gouverneur de Qéna Magdy Ayoub … La liste est longue. Même le comité d’enquête envoyé par le Parlement suite au massacre de Qéna n’a pas échappé à ses critiques acerbes. Car il soulignait que le massacre relevait du crime, sans cibler les coptes. « Je suis totalement pour les principes du PND, mais je suis contre ceux qui les appliquent mal », dit-elle. Ainsi, elle a acquis la réputation d’une députée prête aux émeutes ! Un jour, elle a aussi demandé d’établir un quota en faveur des coptes au Parlement. Mais sa demande a été refusée, entre autres par des intellectuels coptes comme l’historien Younan Labib Rizq et le pape Chénouda lui-même. « On m’a dit que depuis 70 ans, on n’avait jamais pensé au quota. Alors je leur ai répondu que l’époque était différente. Il y a 70 ans, l’Egypte a connu un premier ministre copte. Et puis, la Constitution égyptienne prône l’équité et l’égalité des chances ». En raison du fossé entre ce que stipule la Constitution et son application, Kellini appelle à la mise en vigueur de la Constitution avant de demander son amendement.

Cette période rappelle-t-elle celle de la fin de la présidence de Sadate, du point de vue conflits entre coptes et musulmans ? « Absolument pas. Et j’espère qu’on n’y arrivera jamais. D’abord, il existe une grande différence entre les deux présidents. Alors que Sadate a annoncé être un président musulman pour un peuple musulman, Moubarak a déclaré qu’il est un président égyptien pour tous les Egyptiens. Mais, je peux dire que les propos de Sadate ont eu leurs répercussions ».

Aujourd’hui, elle a de nombreux encouragements. Sur le site Facebook, des groupes de plus de 5 000 membres la soutiennent. Le journaliste Magdy Mehanna (décédé il y a quelques années) avait écrit un article remerciant le président Moubarak d’avoir renommé Kellini pour une deuxième session parlementaire. Un professeur de l’Université d’Al-Azhar lui a aussi écrit un poème louant ses qualités. Alors, que fera cette dame engagée si elle n’est pas renommée députée ? « Je vais m’occuper de soutenir d’autres bons éléments pour qu’ils accèdent au Parlement ». Des coptes ? « L’article 46 aborde la liberté de croyance. Alors, je vais soutenir n’importe quel élément digne de respect ». Les Frères musulmans ? « S’ils se débarrassent de leur slogan illégal : l’islam est la solution », dit Georgette Kellini qui est aussi membre du Conseil national des droits de l’homme et du Conseil national des femmes. « L’accomplissement de ma vie ? Mes deux filles. Elles restent prioritaires », conclut-elle.

Lamiaa Al-Sadaty

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Jalons

1976 : Mariage et naissance de sa fille aînée.

1980 : Licence de droit de l’Université du Caire.

1986 : Naissance de sa fille benjamine.

1990 : Première femme égyptienne à accéder au département de législation du ministère de la Justice.

1991 : Magistère.

1996 : Doctorat en droit commercial.

10 décembre 2000 : Nommée au Parlement par le président de la République

 




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