Georgette Kellini
a été nommée, deux fois de suite, députée par le président
de la République. A l’approche des élections législatives,
rencontre avec une figure politique devenue incontournable
par ses combats et son caractère.
La voix haut perchee
Une femme égyptienne. C’est ainsi qu’elle préfère être
qualifiée, Georgette Kellini refuse toute autre distinction.
Elle est de ces femmes charismatiques, à la forte
personnalité, qui parlent à haute voix et ne craignent rien.
Un genre qui suscite la curiosité, surtout dans des sociétés
où les femmes doivent encore prouver leur existence. « Je ne
suis ni courageuse ni audacieuse. En fait, je n’arrive pas à
m’empêcher de dire ce que je veux dire. Je n’aime pas être
en conflit avec moi-même, à tel point de me détester. Je dis
toujours ce que je dis par respect pour moi-même », souligne
Kellini, de ses yeux pétillants …, comme d’habitude. Il
suffit de passer quelques minutes à l’écouter pendant des
interviews ou même en cours de discussions durant les
séances parlementaires pour découvrir un caractère ferme et
résolu. « J’ai hérité ces traits de caractère de mon père.
Je disais souvent qu’il y a eu une sorte de clonage entre
nous. Il était à la fois ferme et tendre. On le respecte
beaucoup et en même temps on l’aime tant qu’on évite qu’il
soit fâché. Toutes les fois où j’ai réussi quelque chose,
c’était pour lui faire plaisir et le rendre fier », raconte
Georgette, en toute gratitude.
Fille d’une femme au foyer et d’un ingénieur, tout était là
pour forger sa personnalité. Confiance et justice ont
toujours constitué l’axe principal de son éducation. « Mon
père était toujours content de me voir soutenir et défendre
une personne en avançant des arguments solides. Il
respectait beaucoup ma logique d’enfant », se souvient-elle.
Et d’ajouter : « A l’école, quand il y avait une dispute
entre deux copines, on m’appelait toujours pour faire
l’arbitre. Je me rappelle encore le jour où le professeur
d’arabe m’a dit que je devrais être avocate parce que
j’excellais dans la défense de mon point de vue ».
Elle n’y avait jamais pensé jusque-là. Elle voulait plutôt
devenir journaliste. « Pendant le baccalauréat, j’avais
beaucoup d’activités : j’étais par exemple au groupe de
musique. J’étais connue par tout le monde. Je n’acceptais
pas qu’on me refuse une demande et je répétais souvent :
Comment osez-vous ? Je suis Gigi ! ». Sourit-elle. Et
d’ajouter : « Je me comportais comme une vraie star. Aux
examens de fin d’année, j’ai répondu avec toute la confiance
du monde, comme si j’étais une star dont les avis devaient
être approuvés par tous ». Résultat : un pourcentage
inattendu qui a mis fin au rêve du journalisme. « L’étude de
droit était la plus proche de ma personnalité ».
Une fois le seuil de la faculté de droit franchi, Georgette
fait la connaissance d’un nouveau monde : un monde bâti sur
les lois et fait de constitutions. C’est pendant sa première
année d’étude qu’elle se maria et qu’elle a eu sa fille
aînée. Comme son père, son mari a aussi joué un rôle
important dans sa vie. Normal pour un mariage fondé sur le
grand amour, le coup de foudre lors d’une réunion familiale.
« Il m’a tant soutenue durant mon parcours. Combien de fois
je lui avais demandé de sortir et lui, il insistait à ce que
je finissais d’apprendre mes cours. Le jour de la soutenance
de mon doctorat, mes amis me disaient qu’il était content
comme s’il avait été mon père ». Elle parle de son
partenaire avec un grand respect et un amour intense, comme
s’il n’était pas décédé depuis plusieurs années.
La mort soudaine de son mari a été le choc de sa vie. Mais,
en femme croyante, veuve et mère de deux filles, elle s’est
montrée prête à relever tous les défis. « Je ne peux pas
dire que la vie était difficile, ou que j’ai beaucoup
souffert. Dieu merci, j’ai réussi à bien éduquer mes filles
». D’ailleurs, le fait d’être copte n’ajoute-t-il pas en soi
des défis à cette femme ? « J’ai rencontré des obstacles en
tant que femme, non en tant que copte. Tout le temps, je
devais me comporter en étant consciente de mes droits de
femme. Mais aussi, il faut souligner que j’ai travaillé dans
des milieux où la discrimination basée sur la foi est
impossible. Or, je ne suis pas sûre, si j’avais travaillé
ailleurs, que j’aurais connu ce genre de défis »,
affirme-t-elle.
Georgette Kellini est la première femme égyptienne à accéder
au département de législation du ministère de la Justice en
1990. De quoi susciter la jalousie parmi ses collègues
hommes. « C’est vrai qu’ils n’affichaient pas ouvertement
leur refus, mais leurs propos et attitudes l’exprimaient
indirectement. D’autres n’éprouvaient aucune désapprobation.
Au contraire, ils m’encourageaient beaucoup avec en tête mes
professeurs comme les conseillers Maher Sami, Serry Siam,
Abdel-Rahmane Farah et Farouq Seif Al-Nasr. Ce dernier était
mon père spirituel. On m’appelait même Georgette Farouq Seif
Al-Nasr ».
Kellini ne manque pas de critiques et parfois même
d’accusations. « Elle cherche à réaliser un agenda américain
», disent les uns, « Elle est fanatique et agit en
porte-parole des coptes, en oubliant qu’elle est censée
représenter le peuple égyptien en son entier », disent les
autres. « Ces accusations sont avancées toutes les fois que
je défends les causes des femmes ou des coptes. Je sais très
bien que certains voulaient me terroriser. Mais je suis sûre
et certaine de toutes les questions que j’aborde »,
réplique-t-elle. Kellini est réputée pour ses positions
audacieuses, face à des incidents multiples : le naufrage du
ferry Al-Salam 98 en 2006 en mer Rouge ayant fait 1 033
morts, les effondrements qui ont balayé 50 habitations des
bidonvilles d’Al-Doweiqa en 2008 et dernièrement le massacre
de 2010 qui, à la veille du Noël copte, a fait 7 morts et
une dizaine de blessés. « Mon métier et ma conscience
m’obligent à défendre les opprimés, quels que soient leur
religion ou leur genre. Je n’ai peur de rien et en tout cas,
le fait d’être accusée ne signifie pas que je suis coupable
», affirme Kellini en choisissant ses mots. « Ceux qui
m’accusent sont incapables de s’exprimer librement. Et quand
ils réalisent que la personne qui s’exprime en toute liberté
est une femme, ils prennent un coup au moral ».
Elle, qui a été nommée par le président au Parlement deux
fois de suite, n’hésite pas à critiquer le Parti National
Démocrate (PND, au pouvoir) auquel elle appartient. De quoi
embarrasser ses partisans. Un paradoxe ? « Pas du tout.
D’abord, ma nomination au Parlement n’a pas été
conditionnée. J’avais la même personnalité lorsque je
travaillais au département de législation, ou même comme
jeune procureur. Je me souviens des fois pendant lesquelles
je critiquais le conseiller Farouq Seif Al-Nasr, qui était à
l’époque le ministre de la Justice, et lui me répondait en
souriant : c’est moi le ministre de la Justice ».
Elle a critiqué le ministre du Logement Ibrahim Soliman, le
gouverneur de Qéna Magdy Ayoub … La liste est longue. Même
le comité d’enquête envoyé par le Parlement suite au
massacre de Qéna n’a pas échappé à ses critiques acerbes.
Car il soulignait que le massacre relevait du crime, sans
cibler les coptes. « Je suis totalement pour les principes
du PND, mais je suis contre ceux qui les appliquent mal »,
dit-elle. Ainsi, elle a acquis la réputation d’une députée
prête aux émeutes ! Un jour, elle a aussi demandé d’établir
un quota en faveur des coptes au Parlement. Mais sa demande
a été refusée, entre autres par des intellectuels coptes
comme l’historien Younan Labib Rizq et le pape Chénouda
lui-même. « On m’a dit que depuis 70 ans, on n’avait jamais
pensé au quota. Alors je leur ai répondu que l’époque était
différente. Il y a 70 ans, l’Egypte a connu un premier
ministre copte. Et puis, la Constitution égyptienne prône
l’équité et l’égalité des chances ». En raison du fossé
entre ce que stipule la Constitution et son application,
Kellini appelle à la mise en vigueur de la Constitution
avant de demander son amendement.
Cette période rappelle-t-elle celle de la fin de la
présidence de Sadate, du point de vue conflits entre coptes
et musulmans ? « Absolument pas. Et j’espère qu’on n’y
arrivera jamais. D’abord, il existe une grande différence
entre les deux présidents. Alors que Sadate a annoncé être
un président musulman pour un peuple musulman, Moubarak a
déclaré qu’il est un président égyptien pour tous les
Egyptiens. Mais, je peux dire que les propos de Sadate ont
eu leurs répercussions ».
Aujourd’hui, elle a de nombreux encouragements. Sur le site
Facebook, des groupes de plus de 5 000 membres la
soutiennent. Le journaliste Magdy Mehanna (décédé il y a
quelques années) avait écrit un article remerciant le
président Moubarak d’avoir renommé Kellini pour une deuxième
session parlementaire. Un professeur de l’Université
d’Al-Azhar lui a aussi écrit un poème louant ses qualités.
Alors, que fera cette dame engagée si elle n’est pas
renommée députée ? « Je vais m’occuper de soutenir d’autres
bons éléments pour qu’ils accèdent au Parlement ». Des
coptes ? « L’article 46 aborde la liberté de croyance.
Alors, je vais soutenir n’importe quel élément digne de
respect ». Les Frères musulmans ? « S’ils se débarrassent de
leur slogan illégal : l’islam est la solution », dit
Georgette Kellini qui est aussi membre du Conseil national
des droits de l’homme et du Conseil national des femmes. «
L’accomplissement de ma vie ? Mes deux filles. Elles restent
prioritaires », conclut-elle.
Lamiaa
Al-Sadaty