Activités Scolaires .
Au monde des petits, le jeu politique a aussi ses propres
règles. Participer, faire un choix et tenter de changer les
choses semblent stimuler les gamins. Les élections dans les
écoles sont une expérience à vivre et qui servira pour plus
tard. Reportage.
Politiciens en herbe
La
petite Nour Omar, 9 ans, élève en 4e primaire, semble être
bien pensive. Sa seule préoccupation ces derniers jours est
de se préparer pour les élections dans son école. Il s’agit
pour elle de la plus importante bataille de sa vie, car
c’est sa première expérience électorale. Depuis dix jours,
les préparatifs vont bon train chez elle. Rien n’est laissé
au hasard. Aidée par son père, elle dresse un programme
intéressant pour faire sa propagande, cherche des slogans
originaux pour sa campagne électorale et tient à économiser
son argent de poche pour financer ses pancartes. De loin, la
petite candidate a commencé à surveiller le déroulement du
processus tout en élaborant sa propre tactique électorale. «
J’ai l’intention de présenter ma candidature pour les
élections du comité scientifique. J’aime bien les sciences
comme matière et j’ai un tas d’idées à proposer pour
améliorer l’usage du laboratoire de l’école », explique Nour.
Mais ce n’est pas la seule raison. « Les candidates qui se
sont présentées dans les autres comités sociaux, sportifs et
artistiques jouissent d’une grande popularité. La
concurrence va être ardue dans ces comités », confie la
politicienne en herbe, tout en ajoutant qu’elle a opté pour
le silence pour empêcher les autres de se présenter dans ce
même comité.
Ici, il s’agit d’une expérience politique assez singulière.
Si l’Egypte se prépare pour les élections législatives qui
vont se dérouler dans un mois, à l’école moderne d’Egypte
2000, située au quartier d’Al-Tagammoe Al-Khamis, la
bataille électorale bat son plein. Depuis deux semaines,
élèves, professeurs et parents se sont lancés dans cette
aventure avec beaucoup d’assiduité et de sérieux. Une
expérience qui va leur permettre d’exercer leur droit à
s’exprimer et à choisir leurs candidats.
Toutes les classes de la 4e primaire jusqu’à la première
secondaire se sont transformées en véritables
circonscriptions. Les murs des bâtiments sont couverts de
pancartes toutes en couleur comme dans un carnaval. Mais là,
les logos sont différents. Ce n’est plus le croissant
(symbole du Parti national au pouvoir), le palmier (symbole
du parti opposant, le néo-Wafd) ou le chameau, mais c’est
plutôt Barbie, Pooh ou Mickey qui sont au devant de la
scène. D’autres élèves ont choisi les t-shirts de certains
célèbres footballeurs pour les imprimer sur leurs pancartes.
Des paquets de chocolat et de bonbons sur lesquels sont
inscrits les noms des candidats circulent dans les classes.
Les assistants sociaux font le tour de l’école. « Notre but
est d’introduire dans le monde des élèves des termes ayant
trait à la politique tels que candidat, électeur, scrutin,
vote, etc. On aide les élèves à se lancer dans cette
expérience en leur expliquant comment préparer une campagne,
comment faire de la propagande et gagner de la popularité,
comment faire des promesses réalisables, etc. Quant aux
électeurs, on les sensibilise à choisir leurs candidats
d’après des critères objectifs. On leur conseille de ne pas
élire celui qu’on aime, mais plutôt celui qui va être apte à
remplir une tâche », souligne Gihane Al-Chazli, assistante
sociale, aux jeunes candidats et électeurs.
Selon Adel Aboul-Magd, responsable des activités et de
l’éducation sociale, il existe un décret ministériel
promulgué par le ministre de l’Education concernant la tenue
d’élections dans les écoles. Chaque école doit constituer
des unions d’élèves dans les différents cycles éducatifs.
Cette union est formée par élection. « Chaque classe pourra
choisir cinq candidats pour les cinq comités, et à la fin,
un seul sera élu pour devenir le secrétaire qui va
représenter sa classe lors des unions des écoles au niveau
de l’Egypte », avance Aboul-Magd.
Le droit de rêver
Les
élèves d’aujourd’hui sont les leaders de demain, tel est le
slogan adopté par l’école en se lançant dans cette
expérience électorale, comme l’explique Dr Rafida Askar, PDG
de l’école.
« L’objectif est de donner la chance aux petits de pratiquer
la démocratie. Il suffit que l’enfant ait confiance en
lui-même et le courage de poser sa candidature. Le manque de
participation politique dans les élections à tous les
niveaux est un problème dont souffre actuellement le monde
des grands. Cependant, demain, ce petit qui s’est habitué à
participer ne sera guère un citoyen passif », avance Askar.
Sur son bureau s’entasse aujourd’hui une pile de promesses
électorales qu’elle va examiner, avec la probabilité de les
réaliser comme moyen d’encourager les enfants à poursuivre
ce périple. « On me propose de consacrer un jour où les
élèves pourront venir à l’école sans uniforme, de réduire
les devoirs, de préciser un rendez-vous périodique avec moi.
Ce sont toutes des idées réalisables. Je veux que les
enfants se sentent aptes à transmettre leurs voix, à se
sentir capables de changer les choses », lance la PDG qui
fait tout pour développer chez eux cet esprit positif.
Un rêve de changer les règles du jeu politique et qui semble
être aussi un motif qui a poussé les parents à participer à
cette expérience et à la vivre avec leurs enfants. Une
simple tournée dans les coulisses de l’école révèle cet
esprit optimiste qui règne. « Si notre génération n’a pas
réussi à exaucer son vœu, peut-être que la jeune génération
y parviendra », dit un père. Des slogans, des promesses et
des programmes qui promettent un meilleur avenir pour
l’Egypte.
« Votez pour le petit Einstein », lance le petit Ismaïl. «
Il faut être unis pour gagner les autres », conseille
Youssef Al-Badri qui a imprimé sur sa pancarte sa photo avec
l’entraîneur de la sélection nationale Hassan Chéhata. « Mon
père est membre du conseil d’administration au club Zamalek,
je peux me servir de ses relations pour organiser un tournoi
en mon nom », ajoute le jeune Adham qui s’est servi de
l’expérience de ses parents qui ont passé eux-mêmes par
cette expérience d’élections pour gagner. « Il est temps de
munir la bibliothèque de notre école de CD modernes »,
avance le jeune politicien.
A, b, c … votez
L’école
s’est transformée en une ruche d’abeilles. Dans la classe de
5e C, la concurrence est ardue. Nicolas et Mahmoud ont les
yeux braqués sur le tableau. Les papiers de candidature
circulent d’une main à l’autre. Le titulaire joue le rôle du
juge. Il surveille le processus électoral. Les assistants
sociaux contribuent à la surveillance. Les enfants
commencent à voter pour les noms inscrits au tableau.
Nicolas a reçu 8 voix sur 18 alors que Mahmoud en a obtenu 8
autres. Une seule voix va déterminer le gagnant. Trois
élèves n’ayant pas posé leur candidature vont se charger du
dépouillement. Nicolas est gagnant. Les deux candidats qui
ont voté l’un pour l’autre se serrent la main. Nicolas va
mettre en application son programme électoral qui vise à
semer la paix entre les élèves. « Je déteste les conflits et
je vais œuvrer pour éliminer les raisons des différends,
surtout entre Youssef et Ramez qui se disputent tout le
temps », résume Nicolas. Un appel qu’il espère voir
appliquer dans le monde des grands pour mettre fin aux
conflits. Une leçon que les petits veulent transmettre. La
diversité religieuse ne les empêche pas de choisir le
candidat le plus approprié. « Il est vrai que Ramez est mon
ami, mais j’ai opté pour Jonathan car je pense qu’il est
plus apte à servir la classe et à nous donner la chance de
former une équipe de foot », explique le petit Youssef. Ici,
on n’a pas besoin d’appliquer le système du quota pour
réserver des sièges aux coptes car sur 5 sièges, les élèves
coptes en ont remporté 4.
La bataille électorale continue à s’enflammer d’une classe à
l’autre. Les nerfs sont tendus en 4e primaire. Un état
d’alerte règne. Joie, espoir et angoisse sont au
rendez-vous. La petite Chahi pleure après sa défaite. Kenzy,
qui jouit d’une très grande popularité dans sa classe, est
en avance. Elle attend avec impatience le nombre de voix que
rassemble sa rivale. La campagne n’est pas terminée, puisque
toutes les deux ont obtenu le même nombre de voix. La petite
Habiba insiste du regard pour mobiliser ses amis à voter
pour elle. « Je suis sûre que je vais gagner. J’ai au moins
le consentement de 5 amis », avance Habiba qui, malgré les
promesses, a perdu. C’est Kenzy qui a gagné. Fière de sa
victoire, la petite sera nommée secrétaire de sa classe. La
petite commence à recevoir des félicitations mais aussi des
remontrances de la part de ses camarades. Nour montre son
angoisse. « J’ai peur que Kenzy ne change de caractère. Elle
pourrait devenir arrogante et nous donner des ordres »,
confie Nour d’un ton mature. Et d’ajouter : « Les sièges ont
une force magique sur les gens, c’est ainsi que me répète
souvent maman ».
Dina
Darwich