Al-Ahram Hebdo, Littérature | C'est la faute à la philosophie

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 Semaine du 3 au 9 novembre 2010, numéro 843

 

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Littérature

Dans son premier recueil de nouvelles, le jeune écrivain Mohamad Gad oscille entre récit et écriture poétique, entre fantastique et quotidien pour se poser des questions sur l’existence. En voici quelques nouvelles tirées de Qesset hayat comparse (histoire de la vie d’un comparse).

C'est la faute à la philosophie

A la caisse d’une librairie gouvernementale

Un jeune homme barbu est assis …

Il déteste la philosophie …

Il s’ennuie des rayons de la librairie qui sont vides et il parcourt des yeux les rues du centre-ville derrière la vitre de la fenêtre,

Il voit les jeunes gens alignés devant un cinéma décati qui s’est embelli la face avec de la peinture. Ils cherchent un film nouveau, un nouveau corps, une histoire dramatique et une leçon de morale.

Et il voit les ivrognes dormant sur les trottoirs,

D’autres se sont résignés à subir un travail accablant,

Il voit les avocats faire un commerce avec la politique sur les marches des tribunaux … Et des journaux dans les mains des passants faisant un commerce avec les stylos et les injures …

Il se retourne vers ses semblables qui ont la cinquantaine ou la soixantaine …

Il leur demande la raison qui se cache derrière toutes ces choses absurdes …

Le premier dit que tout cela c’est à cause de l’idéologie …

Le second dit que c’est parce que nous avons abandonné l’idéologie

Il maudit alors l’idéologie …

Et il maudit les piles de livres entassées

Et ces visages affectés sur les couvertures

Et il redit en silence

C’est la faute à la philosophie.

Agonie

Le portable agonise, rend ses derniers souffles, les battements de la batterie sont irréguliers, le connecteur respire encore, il lutte avec les tubes pour la vie, l’ordinateur est dispersé tellement les ordres que lui a laissés son maître brutal sont nombreux.

            L’horloge sonne régulièrement quoi qu’il arrive, la cadence de ses coups ne diffère pas mais nous lui trouvons un goût selon chaque état, entre la tristesse et la joie, l’insomnie ou l’attente … Elle se moque de nous et sonne rythmiquement. La télévision capture les yeux, la poêle est anti-adhésive, la théière siffle avec le thé qui bout. Le néon éclaire la chambre nuit et jour.

            Quant au maître de ces petits objets, je l’ai cherché longtemps avant de le trouver. Il dormait devant le téléviseur, laissant son portable agoniser. Et il était rassuré, pensant que le réveil va le réveiller un jour …

Le fruit délaissé

Le fruit était attaché à la grappe. Il l’enlaçait et elle l’enlaçait. Insouciant de la loi de la gravitation qui les séparait depuis l’instant de la naissance. Depuis sa venue au monde, il n’a connu que sa grappe. C’est elle qui lui tire de tout ce vaste univers l’élixir de la vie depuis qu’il était un petit grain. Elle lui offre l’eau et la nourriture, elle lui promet une vie prochaine. Il va s’arrondir, se remplir, ses joues vont rosir et les mains seront impatientes de le cueillir. Et il est accroché à la grappe, aspirant à voir le monde avec une curiosité timide. Il plonge dans des rêves d’enfant sur la vie à venir. Il prend les couleurs de l’éclosion et ses traits deviennent un mélange de deux couleurs : le rouge et le vert.

            Les jours passent, le fruit s’arrondit et mûrit. Les mains ne viennent pas l’enlever. Il se pose des questions qui foisonnent dans sa jeune tête. Il s’accroche à la grappe qui tient aussi à lui. Mais ses mains, affaiblies, ne peuvent plus le porter maintenant qu’il est un fruit mûr. Le monde tourne autour de lui. Il penche d’un côté puis de l’autre, cherchant une branche sur laquelle s’appuyer mais il n’en trouve pas. Le vent souffle plus fort et ses mains liées aux mains de la grappe se relâchent. Il supplie les feuilles des arbres de remuer pour le protéger des vents qui se déchaînent. Les feuilles restent muettes. Ses mains glissent d’entre les mains faibles de la grappe. La grappe le regarde, d’un regard désespéré, alors qu’il est en train de tomber : « Pardonne-moi, mon enfant, je ne peux pas défier la nature ».

            Le fruit tombe sur l’asphalte de la ville. Il était attaché à un arbre planté au cœur d’une place publique. Une enfilade de petits arbres plantés pour absorber la pollution des voitures et pour apaiser les nerfs des passants.

            De désespoir, le fruit renonce à tous ses rêves de naguère. Il souhaite pouvoir trouver un abri dans un lieu éloigné des pieds des passants pour que la loi de la nature puisse accomplir son rôle ordinaire et lui envoyer des insectes qui le mordent et émiettent son corps en mille morceaux, pour se dissoudre ensuite dans le vaste univers. Mais même ce souhait était difficile à réaliser.

            Le destin d’un fruit tombé ainsi au large de la voie c’était d’être écrasé sous les pieds, ou l’objet des jeux d’un enfant écervelé, ou qu’un animal errant le lape.

            Le fruit gémit ; il demande le secours des passants dans la grande place pour qu’ils viennent l’écarter, à part, dans un coin salvateur. Mais personne, dans la ville, n’écoute les soucis des autres hommes. Imaginez ce qu’il en est des soucis d’un fruit …

            Les autres fruits attachés aux arbres de la place entendent son gémissement. Ils sont effrayés tout en s’imaginant qu’ils vont rencontrer un jour le même destin. Suspendus aux grappes, la colère les fait tressaillir.

            Les passants entendent le murmure des arbres. Cela les rend optimistes. Ils pensent que ce sont les douces brises du printemps cajolant les feuilles des arbres.

Un vieux film arabe

Naima, une fille de vingt ans, pauvre … Elle vit dans le quartier de Zamalek, au début du siècle passé … l’époque des palais aristocratiques. Naima ne redoute ni les palais de Zamalek, ni ses voitures luxueuses … Et elle tourbillonne avec zèle toute la journée, entre les palais, vendant du thé et du café aux portiers et aux ouvriers. Elle vend du nard dans les cafés le soir … Et elle se couche sur les trottoirs dans la nuit, dans un coin sombre de ce quartier grandiose.

            Mais ce jour n’était pas un jour ordinaire, un groupe de comédiens avait occupé un des passages de Zamalek qui réunit quatre palais somptueux. Ils portaient des instruments bizarres que Naima n’avait jamais vus auparavant.

            Elle faisait tourner le thé dans l’eau bouillante, les yeux accrochés aux comédiens. Elle a demandé à Moneim, le serviteur des comédiens, qui l’attendait pour lui prendre le plateau de thé : « Que font-ils, au juste, monsieur Moneim ? ». Moneim a répondu avec ennui : « Je dois encore redire la même chose ? Je t’ai déjà dit : du cinéma ». « Comment ça du cinéma ? ». « C’est-à-dire ce sont des comédiens, comme ceux du théâtre … ».

« Mais ils n’ont pas un public ! ». « Le film est filmé d’abord et c’est ensuite que le public le voit ».

            Elle a confié le plateau à Moneim et ses yeux ne s’étaient pas détachés du lieu de tournage. « Comment ça ? ». « C’est-à-dire que le film doit être développé. C’est une longue histoire — ô ma mère — ». « Pourquoi vous ne me l’expliquez pas ? ». Moneim s’est exclamé avec lassitude : « Te l’expliquer comment, puisque moi-même je n’y comprends rien ! ».

            Moneim a traversé le lieu du tournage en portant le plateau du thé et il est allé vers Ahmad qui jouait le rôle du héros dans le film. Il était assis, rêveur, sur un siège au milieu, tandis que Mohsen, le scénariste, était assis à côté de lui, plongé dans la mise au point du rôle d’Ahmad dans le scénario … Mohsen : Je te rappelle le rôle, cher ami. Ahmad n’a pas prêté attention à Mohsen, toujours perdu dans ses rêveries, tout en buvant lentement le thé et en aspirant des bouffées de sa cigarette. Mohsen a poursuivi alors avec sérieux : « Ecoute, ton père est un très grand pacha ». Ahmad a dit, avec des yeux mélancoliques et une intonation ironique, comme s’il parlait à lui-même : « Très très grand … mais quel dommage … ».

            Quand Mohsen était en train de revoir une scène du film avec Ahmad, Ahmad, lui, revoyait une scène de la réalité.

Traduction de Suzanne El Lackany

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Mohamad Gad

Est né au Caire en 1982. Mohamad Gad a obtenu sa licence de la faculté des lettres, du département  de communications de masse en 2003. Il se lance depuis dans le journalisme économique sans jamais freiner ses talents littéraires.  Il a parallèlement participé aux ateliers de poésie et de nouvelles organisés par la librairie Al-Balad du centre-ville. Après un roman en voie d’impression, il publie son premier recueil de nouvelles Qesset hayat comparse (histoire de la vie d’un comparse) aux éditions Al-Mahroussa 2010. Dans ce recueil qui varie entre la longue nouvelle et la nouvellette, le jeune écrivain dépeint un monde imaginaire où la philosophie est la toile de fond des événements, l’on rencontre au sein de la fiction Marx, Victor Hugo ou Freud tout en s’interrogeant sur les prémices de toute chose

 

 




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