Chefs Cuisiniers .
Ils ont gagné en notoriété ces dernières années. Grâce à
leur persévérance, ils ont pu s’imposer sur la scène
mondiale. Enquête à l’occasion d’un concours organisé au
Caire.
Cordons-bleus à l’égyptienne
Les
flashs des caméras fusent de toutes parts. Des photographes
se bousculent pour prendre les concurrents en photo, alors
que des visiteurs s’empressent autour de la célèbre chef de
la chaîne culinaire arabe spécialisée Fatafeet, Nermine
Hanno, pour prendre des photos avec elle. Cette dernière a
obtenu, en février 2010, l’accréditation de juge culinaire
internationale, délivrée par la Fédération mondiale des
sociétés de cuisiniers (WACS). Hanno est la première femme
au monde à la décrocher.
Elle est là aujourd’hui comme juge au concours culinaire au
niveau des chefs professionnels, organisé par l’Association
des chefs égyptiens, dans le cadre de l’Exposition annuelle
des équipements hôteliers (HACE’ 10).
L’air est embaumé de parfums divers. L’odeur du beurre se
mêle aux odeurs des herbes, des épices et de la viande. On
entend le son à peine audible des cuillères dans les
casseroles. Près de six ou sept chefs cuisiniers, vêtus de
costumes blancs et portant de hautes coiffes blanches,
s’affairent autour de leurs fourneaux surveillés par des
juges menus de papiers et d’un crayon pour enregistrer leurs
remarques et donner des notes.
Hanno n’est pas la seule à faire ce parcours. Un autre chef
égyptien, Madgi Mouriess, a obtenu la même accréditation.
D’autre part, il y a de plus en plus de chefs égyptiens à
remporter des médailles d’or et d’argent dans des concours
culinaires internationaux. En effet, un groupe de 10 chefs,
sélectionnés avec soin par l’Association des chefs égyptiens
et appelés les ambassadeurs culinaires d’Egypte, ont
remporté 5 médailles à Berlin et 35 en Turquie.
Les réussites se succèdent pendant les 10 dernières années,
réanimant le domaine de l’art culinaire longtemps stagnant.
Chefs Yousri, Hassan, Ossama, Mona Amer : leurs fans,
s’intéressent aujourd’hui à eux comme l’on s’intéresse aux
vedettes de cinéma. On cherche leurs livres dans les
librairies. Beaucoup de femmes ont tendance à varier leurs
mets sur la table grâce à ces chefs. Cependant, ce n’est pas
la règle pour tous les chefs. Le regard de la société
vis-à-vis des chefs cuisiniers a changé, il regagne un
respect.
Le parcours du chef en Egypte est parsemé d’embûches,
puisqu’il faut compter sur ses propres moyens. « Dans
l’Institut de tourisme et d’hôtellerie dont je suis diplômé,
il n’y avait que très peu de formation pratique », raconte
Mohamad Saber, 28 ans, chef de partie. Son diplôme en main,
Mohamad a commencé à travailler comme apprenti dans les
cuisines des hôtels. Il achetait des livres et lisait
beaucoup pour parfaire ses connaissances. Dès qu’il
entendait parler d’un stage, il s’y inscrivait. Un domaine
difficile où il faut faire de nombreuses concessions si l’on
veut arriver au sommet. Mohamad Sobh, comme tout chef qui
veut suivre cette voie, a commencé sa carrière comme
stagiaire, gratuitement bien sûr, dans des restaurants et
des centres commerciaux jusqu’à ce qu’il puisse mettre les
pieds dans des hôtels. D’abord comme apprenti, puis 3e
commis, second commis et aujourd’hui il est premier commis.
« Dans ce métier, chacun parviendra à ce qu’il veut à
condition de travailler sérieusement et de ne pas tomber
dans le piège de la déception », s’exprime Sobh qui vient de
remporter le premier prix de « Junior chef of the year » au
cours du concours.
Il ajoute qu’il existe des lacunes qui affaiblissent le
métier et freinent son élan. En effet, les grands chefs
responsables dans les hôtels comptent sur la notoriété de
leur hôtel et conservent leurs stéréotypes. Il faut, selon
Sobh, donner plus de chance aux innovations des jeunes.
« L’on est à la recherche d’un bon chef comme l’on cherche
un bon joueur de foot », exprime Mohamad Al-Saadani, chef
exécutif et représentant de l’Association des chefs
égyptiens en Côte-Nord.
Créée en 1997, cette association a été un tournant dans le
domaine de la formation des chefs cuisiniers en Egypte. Non
seulement elle a réuni les chefs, mais elle a aussi permis à
ses membres de participer à des ateliers pour améliorer leur
niveau et à des concours culinaires pour leur permettre
d’échanger les expériences. « Actuellement, on organise
quatre concours au lieu d’un seul par an dont l’objectif est
de susciter l’enthousiasme des chefs et de stimuler la
concurrence positive », ajoute Al-Saadani.
Malgré les efforts louables de l’Association et les efforts
individuels des chefs, on ne peut pas prétendre qu’ils
connaissent les règles de base ou qu’ils possèdent tous les
mêmes critères culinaires internationaux.
« L’art culinaire n’est pas seulement un plat que l’on
prépare. Il s’agit de toute une science qui a des bases »,
dit Markus J. Iten, président de l’Association des chefs
égyptiens. Selon ce dernier, ce concept commence à prendre
forme en Egypte qui, auparavant, accordait peu d’intérêt à
la cuisine dans le monde du tourisme, car on comptait
davantage sur l’idée que nous possédons des monuments
uniques au monde pour attirer les touristes. Cependant, le
touriste de nos jours est exigeant en tout ce qui concerne
son hospitalité et n’accepte que la perfection.
Il poursuit : « L’Egypte accueille des touristes du monde
entier. Ils ont besoin de manger comme chez eux. On ne peut
pas leur présenter une bolognaise avec un goût différent.
C’est un plat universel qui doit avoir le même goût partout
dans le monde ». Le chef représente tout son pays. « Si un
plat cause une diarrhée à un touriste, il dira qu’il l’a eue
en Egypte, il ne dira pas que c’est à cause du chef »,
ajoute Markus.
Il ajoute : « Il n’y a pas de standards fixes pour tous les
chefs égyptiens. Si nous demandons à un chef égyptien le
nombre de manières pour préparer un aliment, il donnera 4 ou
5. Alors qu’en fait, il existe près de 18 manières », dit
Markus.
C’est pourquoi est née l’idée de fonder une école pour
rectifier les notions de base et pour procurer un programme
d’apprentissage international pour les chefs.
Cette école créera une véritable révolution dans le monde de
l’hôtellerie. Au bout d’une année d’études intensives, les
chefs obtiendront un diplôme reconnu sur le plan
international qui leur permettra de travailler partout dans
le monde.
En fait, selon Al-Saadani, l’intérêt pour l’art culinaire
existe depuis l’époque des Mamelouks. Une évolution a eu
lieu dans les années 1960 grâce à l’occupation, mais le
métier était quand même limité. Après, la scène a connu un
genre unique de chef qu’on nommait « Haramawi », car la rue
Al-Haram était La Mecque du tourisme à la mode à l’époque.
Plus tard, la carrière a été plus réglée et les chefs ont
pris leurs premières formations réelles lors de la naissance
de « Egos », première institution pour la formation des
chefs en Egypte. « Mais aujourd’hui, les Egyptiens doivent
être fiers de notre équipe nationale représentée par les
ambassadeurs culinaires d’Egypte », conclut Al-Saadani.
Hanaa
Mekkawi
Racha Darwich