Initiative .
Faire face à l’avenir avec un sourire radieux et savoir être
optimiste en toutes circonstances, tel est l’objectif du
club de l’optimisme. Une première pour lutter contre la
déprime chez les Egyptiens, classés parmi les peuples les
plus pessimistes du monde. Focus.
Souris à la vie, la vie te sourira
Un
adage africain dit : « Même quand il y a le feu en bas, il
faut que toutes tes dents soient dehors ». Une phrase qui
veut dire qu’il faut garder le sourire malgré toutes les
adversités et rester positif même face à la crise ... Telle
est la devise de Fayrouz Omar, PDG d’une ONG appelée Qalb
kébir (grand cœur) et directrice de ce club de l’optimisme,
le premier du genre. D’après elle, le mot optimisme a
disparu du langage quotidien des Egyptiens, à cause des
souffrances endurées ces dernières années. Il suffit de
suivre les mines qui défilent dans les rues pour voir les
visages sombres, les nerfs à fleur de peau et les disputes
qui éclatent au moindre malentendu. La tristesse s’observe
sur les visages reflétant les maux d’un quotidien pesant.
Des difficultés en matière de nourriture, éducation, santé,
sécurité et justice ont modifié la personnalité des
Egyptiens réputés pour être un peuple de la nokta (qui adore
la blague), mais qui est devenu aujourd’hui l’un des plus
déprimés et pessimistes du monde. Et ce, d’après une étude
faite par l’institut Gallup, une institution américaine qui
mène des sondages, repris comme indices dans la presse
mondiale. Le sondage effectué sur 150 000 personnes dans 140
pays a posé des questions sur les prédictions de chaque
individu à propos de son statut, son opinion sur son
gouvernement et ses aspirations pour une vie meilleure. 89 %
des sondés confient être optimistes, surtout les peuples
brésilien, irlandais, danois et néo-zélandais, à l’encontre
des Egyptiens et des Zimbabwéens venus en tête de liste des
peuples les plus pessimistes. De là, l’idée a germé dans
l’esprit du Dr Fayrouz qui a décidé de créer le club
d’optimisme afin de convertir les gens à la bonne humeur et
à la voie positive.
Admettons-le d’emblée : être sarcastique, pessimiste, voire
un peu aigri, c’est terriblement trendy ... A l’inverse, une
bonne humeur permanente est souvent jugée suspecte. La
preuve : aucune personne n’ose afficher un grand sourire au
quotidien. Parce que depuis le Candide de Voltaire, les
optimistes passent pour des idiots. Même Gustave Flaubert
avait défini cet a priori dans son Dictionnaire des idées
reçues : « Optimiste : équivalent d’imbécile ». Avancer
l’optimisme comme remède pour en finir avec les maux de la
vie relève donc de la propagande médiatique. « Pour moi,
l’optimisme est justement l’inverse de voir la vie en rose.
Je l’appelle la pensée positive. On devient optimiste en
percevant clairement les sentiments et les pensées négatifs
qui habitent notre cerveau et règlent notre façon de réagir
face aux événements. Une fois identifiées, ces pensées
négatives ne peuvent plus nous commander aussi facilement.
Il n’est pas question de rester positif envers et contre
tout ou de forcer son positivisme, mais l’important est de
ne jamais renoncer », explique Dr Fayrouz, tout en ajoutant
que l’optimisme n’est pas une aptitude congénitale au
bonheur qui nous affranchirait des problèmes douloureux et
des grands chagrins de notre vie, mais un apprentissage et
un nouveau style de vie par temps de crise, d’où vient le
rôle primordial joué par ce club.
Créé il y a deux ans, le club d’optimisme se trouve dans
deux quartiers, Al-Haram et Hélouan. La plupart de ses
membres sont des jeunes et son but est de lutter contre la
déprime des Egyptiens, surtout ceux qui utilisent le slogan
« Ça ne sert à rien ». Le club offre des stages durant six
semaines en échange de 50 L.E. par mois. Une courte durée
mais qui s’avère suffisante pour s’initier à l’optimisme.
Ici, l’apprentissage se fait de façon indirecte basée
essentiellement sur les jeux, les films vidéo, la musique,
les couleurs, le sport et surtout les séances de «
défoulement ». Dans ce club, on rencontre toutes les
tranches d’âge, puisqu’il s’adresse à tout le monde. « Notre
club ne cherche pas à convaincre seulement les pessimistes,
les sceptiques ou autres cyniques, mais il s’adresse aussi
aux personnes qui ont opté pour l’optimisme, et ce contact
augmente la force et l’efficacité de leur enthousiasme »,
affirme Fatma, directrice du club.
Mais que pourrait faire ce club face à ces misères ? Et
comment réussirait-il à booster le moral et vaincre le
pessimisme ambiant ? Est-ce en distribuant des pilules de
gaieté ? Des questions qui sont posées à tort et à travers
par les gens, après avoir lu la publicité faite pour joindre
ce club. « Nous travaillons d’abord sur les citations que
répètent sans cesse ceux qui voient le verre à moitié vide
et qui reflètent l’impuissance et les pensées négatives
comme : ça ne sert à rien ... il n’y a pas de sécurité ...
tous les gens sont mauvais ... la vie est moche et ne vaut
pas la peine d’être vécue, etc. Sans oublier encore les
raisons personnelles et permanentes avancées en guise
d’explications des échecs, comme : je suis stupide, je n’ai
pas de chance ... et qui font le lit du pessimisme. Puis
nous essayons de changer la vision des choses, de remettre
en cause les pensées dévalorisantes et d’entreprendre
l’action au lieu de l’impuissance », dit-elle, tout en
soulignant qu’en pratiquant la pensée positive, la personne
réfléchit avant de stresser devant une situation, pense aux
conséquences et de la manière par laquelle elle peut s’en
sortir. Est-ce que le fait d’angoisser, de pleurer ou de
stresser devant une situation difficile va changer cette
situation en une autre meilleure ? Telle est l’indispensable
gymnastique pour les tempéraments chagrins qui veulent
modifier leur disposition d’esprit.
Soyez optimiste
Passons
à la pratique. Dans ce club où les activités durent deux
heures seulement, de 19h à 21h, le rythme est très accéléré.
Pourtant, tout est bien organisé. Une vingtaine de
personnes, hommes et femmes, petits et grands, sont réunies
dans une grande salle, le moins âgé a 16 ans et le plus âgé
52 ans. A noter que souvent, les séances s’effectuent en
dehors, soit dans un centre culturel comme Saqiet Al-Sawi ou
dans les différents jardins en plein air. Une situation
idéale pour un club ? Le coach, une psychologue toujours
souriante, les divise en quatre groupes et donne à chaque
membre un plat contenant différentes graines, lentilles,
riz, petits pois, fèves, haricots, etc. et leur demande de
mettre chaque espèce à part et en un temps record. Le groupe
qui gagne est effectivement celui qui a commencé par séparer
les grandes graines, ensuite les moyennes et enfin les plus
petites. Un jeu et une méthode qui montrent qu’il faut
commencer à résoudre les grands problèmes et ne pas
s’attarder aux petits détails ou aux petits conflits. Un
autre jeu, celui de mettre une quantité d’eau dans une main
et d’essayer de la déplacer d’une main d’une personne à
l’autre. Puis voir la quantité perdue, et ce pour apprendre
la valeur de la collaboration dans la vie. « Il faut sortir
du moi-je pour faire revivre un nous sincère et audacieux »,
leur dit Asmaa Sayed, le coach. Une fois les jeux terminés,
la séance de « fadfada » commence. Chacun des membres
commence à parler ouvertement et à raconter ses soucis.
Cette séance a une grande utilité car non seulement elle
fait sortir les ennuis emprisonnés, mais elle met également
à jour les pensées qui leur viennent face aux difficultés,
en étant à l’écoute du dialogue qu’ils entretiennent avec
les autres. Ainsi la personne déprimée sent un repos et une
paix intérieure et les autres aussi acquièrent une
expérience et comprennent qu’ils sont peut-être plus
chanceux car ils n’ont pas eu d’aussi graves soucis. Parfois
certains donnent l’impression d’avancer dans la vie avec la
certitude qu’elle ne leur réserve que le meilleur, et
d’autres sont persuadés que le pire les attend. Comme
l’exemple de Samira, une secrétaire qui a peur de se marier.
Elle a longtemps flirté avec la dépression, avant de se
faire aider par un psychothérapeute. Elle regrette encore, à
35 ans passés, d’avoir été imprégnée par la vision négative
du monde que sa famille véhiculait. « Enfant, on ne m’a pas
montré le monde sous un jour favorable. Ma mère, divorcée,
ruminait des idées noires à propos du mariage. Les moindres
entreprises étaient, a priori, vouées à l’échec et quand les
choses n’allaient pas, je me sentais à la fois incapable et
victime d’une hostilité généralisée », s’exprime Samira qui
autrefois préférait les couleurs très foncées, mais qui a
commencé à porter aujourd’hui les couleurs claires et gaies.
Or, l’affaire ne s’arrête pas ici. Autrement dit, on ne se
contente pas d’exposer les problèmes, mais on essaye de
faire un lien entre adversité, interprétation et
conséquence. Hassan, 40 ans, est un optimiste invétéré qui
ne se résigne jamais. Celui-ci raconte qu’il a traversé de
sombres périodes durant son enfance. Sa mère l’a abandonné à
sa naissance et son père s’est marié avec une autre. Proche
de la délinquance, il a connu le manque d’affection, les
fugues, la scolarité tôt achevée, les petits boulots …
Jusqu’au jour où il a décidé que ça suffisait et s’est mis à
vouloir. Il a commencé à travailler dans un hôpital comme
porteur. Ensuite, il a suivi et réussi les cours
d’aide-soignant. Puis, voulant aller encore plus loin, il a
parié sur le diplôme d’infirmier. Pari gagné. « Tu te rends
compte, dit-il, moi qui n’étais rien, j’ai maintenant un
boulot ». Et quand on lui parle de son triste passé, il
répond : « Je n’ai pas baissé les bras. J’ai eu de la
chance, je ne me suis jamais drogué ». Il ne se plaint
jamais, il évoque toujours sa chance. Un accident de moto —
une fracture mal réparée — l’a obligé à rester plus d’un an
plâtré et marchant avec des béquilles. « J’ai de la chance,
je suis vivant », assurait-il, toujours souriant. Et de
poursuivre : « J’imagine toujours qu’il existe une issue
favorable et qu’il m’appartient de trouver la solution, car
souvent d’une expérience négative ou d’un échec peut naître
quelque chose de meilleur ».
Le secret du bonheur
Dans ces séances, il est important de respecter le niveau de
chacun. Le coach peut évoquer une voie ou une solution
devant quelqu’un qui souhaite s’en sortir. Mais le chemin
n’est pas le même pour tout le monde. Le secret du bonheur,
alors ? Le lâcher-prise. Ne plus avoir peur de l’échec, oser
avancer, apprendre à rebondir et ne jamais se laisser
décourager. Facile ? Pas tant que ça !, lance Asmaa qui,
avant de terminer la séance, n’oublie pas de leur entretenir
une importante habitude. Et voici une méthode simple qu’elle
emploie au quotidien : le sourire !
Et ça marche ! Chaque jour, dès le matin, regardez-vous dans
la glace et faites-vous un grand sourire. Faites du sourire
un exercice. Vous ne ressentez pas de la joie ? Souriez
quand même, le sentiment de joie surviendra. Dans la
journée, souriez souvent, à vous-mêmes, à vos proches, aux
amis, aux connaissances que vous croisez dans la rue. Non
seulement vous vous ferez du bien, mais vous attirerez la
sympathie. Au lieu de grimacer avant d’accomplir une corvée,
souriez. Vous verrez, c’est stimulant. Et votre travail vous
paraîtra plus facile. Chaque fois que votre esprit tend à
basculer vers la morosité, faites un sourire. Il déclenchera
une bouffée d’optimisme. « La concentration sur une idée
entraîne l’état correspondant. Par exemple, l’idée de calme
amène le calme, l’idée d’énergie amène l’énergie. Et si vous
vous concentrez sur une idée optimiste, elle entraînera un
état optimiste. Vous voulez accomplir une action ? Pensez
d’abord : est-ce possible ? Si vous jugez que c’est
possible, pensez : je le veux. Et rassemblez-vous
mentalement sur la chose à faire. Vous verrez ensuite
qu’elle s’accomplira facilement. Bref, l’humour est la seule
clé qui ouvre toutes les portes. Chaque jour qui passe est
le premier jour du reste de notre vie, alors il faut en
profiter au maximum », conclut Asmaa avec un grand sourire,
tout en assurant que s’il fallait encore une raison pour
rejoindre le camp des optimistes, rappelons que ceux-ci sont
en meilleure santé, grâce à un système immunitaire plus
efficace.
Reste ensuite à s’entourer de gens qui ont la pêche car,
bonne nouvelle, l’optimisme est contagieux ! Ensuite,
gardons à l’esprit que le bonheur est aussi une décision. On
peut choisir d’être heureux, mais pour réaliser cela, il
faut le vouloir.
Vraiment.
Chahinaz Gheith