Al-Ahram Hebdo, Visages | Michel Khleifi,  La révolte comme patrie

  Président
Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef exécutif
Hicham Mourad
  Conseiller de la rédaction
  Mohamed Salmawy

Nos Archives

 Semaine du 17 au 23 novembre 2010, numéro 845

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Idées

  Livres

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Visages

Le réalisateur Michel Khleifi est l’une des figures de proue du cinéma palestinien. La souffrance humaine, le droit à la vie ainsi que la philosophie donnent un sens à des œuvres aussi rebelles que leur créateur.

La révolte comme patrie

Dans les locaux dédiés à la 3e semaine du film européen au Caire, le réalisateur déborde d’activités. Sa présence a été des plus marquantes, accompagnant la projection de son dernier film Zindeeq. « Je ne pouvais manquer à une telle occasion me permettant de passer en revue les nouvelles tendances cinématographiques et de faire passer les messages de mon film au profit de la cause palestinienne à laquelle j’ai décidé de dédier ma filmographie ».

Réputés pour leur style cinématographique révolutionnaire, ses films n’ont pas pour but de divertir, mais plutôt d’inviter à réfléchir et à débattre sur des causes et des problèmes profonds. « Depuis mon enfance, je me suis habitué à méditer et à observer tout ce qui m’entoure. Une méditation qui était à l’origine de mon style artistique, à savoir explorer les personnages en révélant leur for intérieur au lieu de s’attarder uniquement sur leurs apparences ».

Avec un cinéaste comme Michel Khleifi, on se prend à vouloir chanter l’homme autant que l’œuvre, à raconter son parcours et ses œuvres, tant celles-ci révèlent les aboutissements allégoriques d’un vrai militantisme. Un engagement contraint par une situation, celle de son pays, la Palestine, mais montré avec une force presque brutale obligeant à s’y plonger à l’extrême, opposant à la violence des situations la douceur des images.

Né dans la ville palestinienne de Nazareth, Michel Khleifi explore, à travers son cinéma, l’identité palestinienne. Inspirées de son vécu personnel, ses fictions s’attachent à décrire la vie quotidienne sous l’occupation israélienne.

Toutefois, c’est une série de hasards qui ont amené Michel Khleifi à faire du cinéma. Arraché à sa terre à l’âge de 19 ans, il s’est trouvé impliqué dans la tourmente politique. Très tôt, Khleifi quitte ses études scolaires pour pratiquer le métier de ferblantier à Nazareth. Il passera des mois à pratiquer son métier de ferblantier avant d’entendre parler des études de théâtre. Contraintes, occupation, chagrins personnels et instabilité familiale, voilà les éléments d’une vie qui l’ont poussé à partir à la recherche d’un moyen d’expression qui lui est particulier. Ce n’est qu’en 1970 qu’il décide de quitter son pays pour aller chercher une chance professionnelle ailleurs.

« J’ai passé une enfance simple et modeste, bordée de tout ce qui est gênant : une société sous occupation où l’on ne pouvait pas sortir de la ville sans une autorisation militaire. Mon père était sans travail, une famille sans grand espoir d’un demain calme et paisible », se souvient-il. Pour lui, la solution était ailleurs. « Je n’avais pas de choix : que je reste et je m’affilie au groupe des jeunes militants, et donc être pourchassé ou détenu, ou rester muet et paralysé face à une injustice quotidienne comme la plupart des citoyens palestiniens, ou partir vivre ailleurs et essayer de rendre service à notre cause. Et c’est ce que j’ai préféré, croyant aux désirs de l’enfant qui se trouve toujours en moi ».

Avec quelques dollars en poche et un billet d’avion one way pour Bruxelles, Michel Khleifi était déterminé à se frayer un chemin à l’étranger. Il suit des cours à l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle (INSAS) et en sort en 1977, diplômé en mise en scène de théâtre, radio et télévision.

« Comme tous les jeunes, j’aimais l’art en général, et bien sûr le théâtre, mais je ne pensais pas devenir artiste. Tout ce que je voulais, c’était de me découvrir et de me libérer de tout ce qui retenait mon impulsion ».

Travaillant pour la télévision belge, il se voit confier la réalisation de reportages d’une heure pour l’émission A suivre, magazine hebdomadaire d’informations. Il réalise alors de nombreux reportages. Pour la radio belge, il réalise et met en ondes plusieurs émissions.

Mais c’est en 1980 qu’il se fait connaître avec son premier long métrage, La mémoire fertile. « Mon premier film rompait avec le discours révolutionnaire de l’époque, essentiellement fondé sur la lutte armée », explique Khleifi, puisqu’il raconte l’histoire de deux femmes palestiniennes, sur fond de conflit politique dominé par les hommes. Toutes les deux, bien que très différentes, sont confrontées à la fois à l’occupation israélienne et aux obstacles que vivent les femmes dans les sociétés arabes. C’est la première fois qu’un réalisateur palestinien filme lui-même son pays, à l’intérieur des frontières d’Israël d’avant 1967. A travers ces portraits de femmes, Michel Khleifi part à la recherche de l’identité des Palestiniens en exhumant leur mémoire.

Cinq ans après, il réitère son obsession en tournant son documentaire Maaloul fête sa destruction. Un village palestinien de Galilée, Maaloul, est détruit par les forces armées israéliennes en 1948. Ses habitants ont été chassés et expropriés. Un jour par an, les anciens habitants de Maaloul pique-niquent sur l’emplacement du village détruit.

Ces deux films de Khleifi rendent compte de sa connaissance de la vie sous l’occupation israélienne dans les camps de réfugiés, mais aussi d’une réflexion constante sur la narration au cinéma. Il l’explique ainsi : « J’ai essayé de créer un cinéma en dehors de la situation palestinienne clichée chez nous tous. C’est pourquoi mes films offrent un miroir de la vie palestinienne de ces dernières années ».

Toujours installé à Bruxelles, Khleifi met un point d’honneur à témoigner de la situation de son pays à travers son œuvre. C’est son film Urs Al-Jalil (noces en Galilée) qui le fait entrer, en 1987, dans la légende. Il dépasse les frontières, son œuvre est applaudie et il obtient le Prix de la critique internationale du Festival de Cannes. Tournant autour de l’histoire de soldats israéliens qui se mêlent au mariage d’un couple palestinien, l’œuvre de Michel Khleifi est un film tout en symboles, où le dialogue est une affaire de poésie plutôt que de discussions politiques.

Si Khleifi choisit de raconter l’histoire de son peuple en optant pour le chemin de traverse de la métaphore poétique mélangée à la rigueur du documentaire, il n’a jamais voulu être ni héros ni victime, « seulement un homme, déplacé, avec ses souffrances et ses joies simples », se voit-il.

Porte-parole de tout un peuple, ses films sont consacrés à la cause palestinienne. En Europe, il est parmi les plus connus des cinéastes palestiniens, peut-être parce que son cinéma est teinté d’une certaine douceur dans la construction et le traitement, et que seule une émotion simple en émane.

L’œuvre de Michel Khleifi est une véritable défense militantiste d’une terre, d’un peuple et d’une culture. Elle est hantée d’un bout à l’autre par une seule idée, une seule référence, un seul corps : la Palestine.

« J’appartiens à une génération de cinéastes qui croit toujours que le cinéma est un moyen d’expression culturel et personnel. Le cinéma, comme le roman et la poésie, cherche principalement à cultiver, à inciter, à penser et à reconstruire la culture, la vision et les sentiments des gens ». A ses yeux, le cinéma est parmi les meilleurs refuges et les plus efficaces remèdes à la souffrance, soit personnelle ou collective, de tout un peuple. « Il y a plusieurs réalisateurs palestiniens qui ont réussi — chacun à sa façon et avec ses propres idées cinématographiques — à aborder notre cause palestinienne et à lancer certains messages au monde entier. Citons, parmi eux, Elia Souliman, Rachid Macharawi, Hani Abou Asaäd ou Anne-Marie Jacir, qui ont tous joué leur rôle artistique et intellectuel à travers leurs œuvres célébrées partout dans le monde. Mais je pense que ça ne suffit pas encore, qu’il faut travailler davantage pour faire connaître la réalité de notre peuple et notre cause partout dans le monde ».

Profondément engagé dans la lutte de son peuple, il n’a pour autant jamais cessé d’espérer la paix. Selon lui, « il est impossible en Palestine de séparer l’individuel du politique : le politique influence profondément la vie privée de chaque citoyen ». Et d’ajouter : « Nous avons essayé par tous les moyens de gagner notre liberté, mais les choses ne cessent d’empirer. Cela a mené non seulement à une frustration, mais aussi à encore plus de défi ».

Toutefois, avec la projection de son dernier film Zindeeq, avec le regard juste et fort sur la terrifiante situation actuelle de la Palestine, plongée dans la violence et le désordre social, certains perçoivent un changement d’attitude et de vision. D’autres doutent pourtant qu’il puisse perdre son enthousiasme pour la cause ou son espoir à un meilleur avenir. Mais c’est à lui de se défendre : « Jamais. Ce n’est pas un changement de vision, mais peut-être une certaine maturité et un désir de trouver des solutions au moins interpalestiniennes. Pour moi, l’indispensable est que les âmes et les esprits soient libérés avant de libérer la terre. Sans la culture, la tolérance et la libération, la cause sera toujours question à de telles stagnations ».

Son film a obtenu néanmoins une certaine reconnaissance et plusieurs prix. Quant à lui, il considère que cette reconnaissance internationale, dont il fait l’objet, renforce sa position en tant que réalisateur de films palestiniens. Car il se considère autant comme un partisan d’une cause palestinienne que comme un artiste et un cinéaste.

Son nouveau projet est toujours sur le Palestinien d’aujourd’hui, celui de la bande de Gaza. « Je pense que cette partie très chère de la Palestine mérite encore et toujours d’être saluée à travers le cinéma. Je prépare actuellement un documentaire sur la souffrance quotidienne des Gazaouis ».

Yasser Moheb

Retour au sommaire

Jalons

1950 : Naissance à Nazareth.
1970 : Départ pour s’installer à Bruxelles.
1980 : Sortie de son premier film La mémoire fertile.
1987 : Prix de la critique du Festival de Cannes pour son film Noces en Galilée.
2009 : Prix du Festival de Doubaï pour son dernier long métrage Zindeeq.

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph- Héba Nasreddine
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.