Le réalisateur Michel Khleifi
est l’une des figures de proue du cinéma palestinien.
La souffrance humaine, le droit à la vie ainsi que la
philosophie donnent un sens à des œuvres aussi rebelles que
leur créateur.
La révolte comme patrie
Dans les locaux dédiés à la 3e semaine du film européen au
Caire, le réalisateur déborde d’activités. Sa présence a été
des plus marquantes, accompagnant la projection de son
dernier film Zindeeq. « Je ne pouvais manquer à une telle
occasion me permettant de passer en revue les nouvelles
tendances cinématographiques et de faire passer les messages
de mon film au profit de la cause palestinienne à laquelle
j’ai décidé de dédier ma filmographie ».
Réputés pour leur style cinématographique révolutionnaire,
ses films n’ont pas pour but de divertir, mais plutôt
d’inviter à réfléchir et à débattre sur des causes et des
problèmes profonds. « Depuis mon enfance, je me suis habitué
à méditer et à observer tout ce qui m’entoure. Une
méditation qui était à l’origine de mon style artistique, à
savoir explorer les personnages en révélant leur for
intérieur au lieu de s’attarder uniquement sur leurs
apparences ».
Avec un cinéaste comme Michel Khleifi, on se prend à vouloir
chanter l’homme autant que l’œuvre, à raconter son parcours
et ses œuvres, tant celles-ci révèlent les aboutissements
allégoriques d’un vrai militantisme. Un engagement contraint
par une situation, celle de son pays, la Palestine, mais
montré avec une force presque brutale obligeant à s’y
plonger à l’extrême, opposant à la violence des situations
la douceur des images.
Né dans la ville palestinienne de Nazareth, Michel Khleifi
explore, à travers son cinéma, l’identité palestinienne.
Inspirées de son vécu personnel, ses fictions s’attachent à
décrire la vie quotidienne sous l’occupation israélienne.
Toutefois, c’est une série de hasards qui ont amené Michel
Khleifi à faire du cinéma. Arraché à sa terre à l’âge de 19
ans, il s’est trouvé impliqué dans la tourmente politique.
Très tôt, Khleifi quitte ses études scolaires pour pratiquer
le métier de ferblantier à Nazareth. Il passera des mois à
pratiquer son métier de ferblantier avant d’entendre parler
des études de théâtre. Contraintes, occupation, chagrins
personnels et instabilité familiale, voilà les éléments
d’une vie qui l’ont poussé à partir à la recherche d’un
moyen d’expression qui lui est particulier. Ce n’est qu’en
1970 qu’il décide de quitter son pays pour aller chercher
une chance professionnelle ailleurs.
« J’ai passé une enfance simple et modeste, bordée de tout
ce qui est gênant : une société sous occupation où l’on ne
pouvait pas sortir de la ville sans une autorisation
militaire. Mon père était sans travail, une famille sans
grand espoir d’un demain calme et paisible », se
souvient-il. Pour lui, la solution était ailleurs. « Je
n’avais pas de choix : que je reste et je m’affilie au
groupe des jeunes militants, et donc être pourchassé ou
détenu, ou rester muet et paralysé face à une injustice
quotidienne comme la plupart des citoyens palestiniens, ou
partir vivre ailleurs et essayer de rendre service à notre
cause. Et c’est ce que j’ai préféré, croyant aux désirs de
l’enfant qui se trouve toujours en moi ».
Avec quelques dollars en poche et un billet d’avion one way
pour Bruxelles, Michel Khleifi était déterminé à se frayer
un chemin à l’étranger. Il suit des cours à l’Institut
National Supérieur des Arts du Spectacle (INSAS) et en sort
en 1977, diplômé en mise en scène de théâtre, radio et
télévision.
« Comme tous les jeunes, j’aimais l’art en général, et bien
sûr le théâtre, mais je ne pensais pas devenir artiste. Tout
ce que je voulais, c’était de me découvrir et de me libérer
de tout ce qui retenait mon impulsion ».
Travaillant pour la télévision belge, il se voit confier la
réalisation de reportages d’une heure pour l’émission A
suivre, magazine hebdomadaire d’informations. Il réalise
alors de nombreux reportages. Pour la radio belge, il
réalise et met en ondes plusieurs émissions.
Mais c’est en 1980 qu’il se fait connaître avec son premier
long métrage, La mémoire fertile. « Mon premier film rompait
avec le discours révolutionnaire de l’époque,
essentiellement fondé sur la lutte armée », explique Khleifi,
puisqu’il raconte l’histoire de deux femmes palestiniennes,
sur fond de conflit politique dominé par les hommes. Toutes
les deux, bien que très différentes, sont confrontées à la
fois à l’occupation israélienne et aux obstacles que vivent
les femmes dans les sociétés arabes. C’est la première fois
qu’un réalisateur palestinien filme lui-même son pays, à
l’intérieur des frontières d’Israël d’avant 1967. A travers
ces portraits de femmes, Michel Khleifi part à la recherche
de l’identité des Palestiniens en exhumant leur mémoire.
Cinq ans après, il réitère son obsession en tournant son
documentaire Maaloul fête sa destruction. Un village
palestinien de Galilée, Maaloul, est détruit par les forces
armées israéliennes en 1948. Ses habitants ont été chassés
et expropriés. Un jour par an, les anciens habitants de
Maaloul pique-niquent sur l’emplacement du village détruit.
Ces deux films de Khleifi rendent compte de sa connaissance
de la vie sous l’occupation israélienne dans les camps de
réfugiés, mais aussi d’une réflexion constante sur la
narration au cinéma. Il l’explique ainsi : « J’ai essayé de
créer un cinéma en dehors de la situation palestinienne
clichée chez nous tous. C’est pourquoi mes films offrent un
miroir de la vie palestinienne de ces dernières années ».
Toujours installé à Bruxelles, Khleifi met un point
d’honneur à témoigner de la situation de son pays à travers
son œuvre. C’est son film Urs Al-Jalil (noces en Galilée)
qui le fait entrer, en 1987, dans la légende. Il dépasse les
frontières, son œuvre est applaudie et il obtient le Prix de
la critique internationale du Festival de Cannes. Tournant
autour de l’histoire de soldats israéliens qui se mêlent au
mariage d’un couple palestinien, l’œuvre de Michel Khleifi
est un film tout en symboles, où le dialogue est une affaire
de poésie plutôt que de discussions politiques.
Si Khleifi choisit de raconter l’histoire de son peuple en
optant pour le chemin de traverse de la métaphore poétique
mélangée à la rigueur du documentaire, il n’a jamais voulu
être ni héros ni victime, « seulement un homme, déplacé,
avec ses souffrances et ses joies simples », se voit-il.
Porte-parole de tout un peuple, ses films sont consacrés à
la cause palestinienne. En Europe, il est parmi les plus
connus des cinéastes palestiniens, peut-être parce que son
cinéma est teinté d’une certaine douceur dans la
construction et le traitement, et que seule une émotion
simple en émane.
L’œuvre de Michel Khleifi est une véritable défense
militantiste d’une terre, d’un peuple et d’une culture. Elle
est hantée d’un bout à l’autre par une seule idée, une seule
référence, un seul corps : la Palestine.
« J’appartiens à une génération de cinéastes qui croit
toujours que le cinéma est un moyen d’expression culturel et
personnel. Le cinéma, comme le roman et la poésie, cherche
principalement à cultiver, à inciter, à penser et à
reconstruire la culture, la vision et les sentiments des
gens ». A ses yeux, le cinéma est parmi les meilleurs
refuges et les plus efficaces remèdes à la souffrance, soit
personnelle ou collective, de tout un peuple. « Il y a
plusieurs réalisateurs palestiniens qui ont réussi — chacun
à sa façon et avec ses propres idées cinématographiques — à
aborder notre cause palestinienne et à lancer certains
messages au monde entier. Citons, parmi eux, Elia Souliman,
Rachid Macharawi, Hani Abou Asaäd ou Anne-Marie Jacir, qui
ont tous joué leur rôle artistique et intellectuel à travers
leurs œuvres célébrées partout dans le monde. Mais je pense
que ça ne suffit pas encore, qu’il faut travailler davantage
pour faire connaître la réalité de notre peuple et notre
cause partout dans le monde ».
Profondément engagé dans la lutte de son peuple, il n’a pour
autant jamais cessé d’espérer la paix. Selon lui, « il est
impossible en Palestine de séparer l’individuel du politique
: le politique influence profondément la vie privée de
chaque citoyen ». Et d’ajouter : « Nous avons essayé par
tous les moyens de gagner notre liberté, mais les choses ne
cessent d’empirer. Cela a mené non seulement à une
frustration, mais aussi à encore plus de défi ».
Toutefois, avec la projection de son dernier film Zindeeq,
avec le regard juste et fort sur la terrifiante situation
actuelle de la Palestine, plongée dans la violence et le
désordre social, certains perçoivent un changement
d’attitude et de vision. D’autres doutent pourtant qu’il
puisse perdre son enthousiasme pour la cause ou son espoir à
un meilleur avenir. Mais c’est à lui de se défendre : «
Jamais. Ce n’est pas un changement de vision, mais peut-être
une certaine maturité et un désir de trouver des solutions
au moins interpalestiniennes. Pour moi, l’indispensable est
que les âmes et les esprits soient libérés avant de libérer
la terre. Sans la culture, la tolérance et la libération, la
cause sera toujours question à de telles stagnations ».
Son film a obtenu néanmoins une certaine reconnaissance et
plusieurs prix. Quant à lui, il considère que cette
reconnaissance internationale, dont il fait l’objet,
renforce sa position en tant que réalisateur de films
palestiniens. Car il se considère autant comme un partisan
d’une cause palestinienne que comme un artiste et un
cinéaste.
Son nouveau projet est toujours sur le Palestinien
d’aujourd’hui, celui de la bande de Gaza. « Je pense que
cette partie très chère de la Palestine mérite encore et
toujours d’être saluée à travers le cinéma. Je prépare
actuellement un documentaire sur la souffrance quotidienne
des Gazaouis ».
Yasser Moheb