Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Quand l’Egypte chante « fellahi »

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 Semaine du 17 au 23 novembre 2010, numéro 845

 

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Nulle part ailleurs

Folklore . Gravées solidement dans les mémoires et ancrées profondément dans les habitudes et les coutumes, les chansons rurales font apparition de nouveau grâce à une troupe musicale de paysannes. Reportage à A Kafr Al-Chorafa, au gouvernorat de Qalioubiya.

Quand l’Egypte chante « fellahi »

« Oulou labouha Allah yekhadar ardak ala el-ezal eli khareg men andak, oulou labouha Allah yekhadar ghitak ala el-ezal eli khareg men beitak » (dites à son père de cultiver son champ pour préparer le trousseau qui sortira de chez lui), et bien d’autres : « Que Dieu fasse que tu remplisses ta maison et qu’elle soit égayée par les enfants qui courent partout », « Vous qui êtes assis à l’ombre d’un mûrier, la poule a pondu un œuf, faites-nous entendre des youyous et glorifions le prophète ».

C’est ce que fredonne, entre autres,  le groupe de paysannes. Vêtues de djellabas toutes en fleurs et ornées (le corsage brodé et plissé vers le bas et la tête coiffée d’un foulard à ponpons multicolores, elles portent toutes un kerdane au cou, ou collier traditionnel) et de grandes boucles d’oreilles de forme conique. Les onze femmes ont formé un groupe musical appelé La Troupe des paysannes. Sans micro, Sobhiya, la star du groupe, âgée d’une cinquantaine d’années, commence à chanter. Sa voix puissante emplit la salle et résonne même dans les pièces attenantes, alors que le rôle des autres femmes est de répéter après elle et taper des mains.

Elle anime la fête avec sa tabla (tambour) tout en fredonnant les chansons de mariage dont les paroles sont, en fait, des hymnes au bonheur pour la jeune mariée qui va rejoindre son nid conjugal. « Autrefois, nous nous rendions dans les mariages pour fredonner des chansons conçues spécialement pour cette occasion, le jour du henné ou la préparation du trousseau de la mariée. Des mélodies bien rythmées et dont les paroles ont une grande signification. Hélas, aujourd’hui, les paroles des chansons ne correspondent guère à la fête que l’on célèbre. Si, par hasard, tu es convié à un mariage, tu vas rencontrer un DJ ou un chanteur qui va utiliser des paroles qui n’ont rien à voir avec le mariage. Des paroles étranges qui n’ont aucune relation avec l’événement », soutient Sobhiya, en esquissant un sourire moqueur.

En parlant du passé, son regard s’illumine comme un soleil. Et l’on peut mesurer à quel point le respect des traditions familiales est ancré en elle. Sobhiya a grandi au cœur du Delta du Nil. Elle a commencé à travailler très jeune dans la récolte du coton avec d’autres jeunes filles de son village, avant de se consacrer au chant. Sa belle voix lui a permis de se produire dans les mariages, où sa carrière a véritablement débuté depuis une dizaine d’années, date de la création de La Troupe des paysannes. La première du genre.

En effet, c’est en 1990 que la troupe des arts populaires dépendant du palais de la culture situé à Kafr Al-Chorafa au gouvernorat de Qalioubiya a décidé de préserver le patrimoine paysan, ce chant égyptien, qui est un mélange de cultures arabe, égyptienne, fellahie et saïdie, et de le présenter dans les différents occasions, noces et festivals. Aujourd’hui, La Troupe des paysannes fait revivre le monde nostalgique et folklorique avec les chansons inoubliables appartenant à une époque lointaine que l’on regrette toujours. Une mission qui n’est pas difficile, selon Amin Chahine, directeur artistique de la troupe, puisque les Egyptiens chantent partout, à la maison, dans les champs, durant les fêtes … Ces chants célèbrent la vie comme ils accueillent la mort.

« Le chant populaire égyptien a trouvé sa source d’inspiration chez les paysannes. Celles-ci ont nourri cette culture et ont joué un rôle considérable dans la vie artistique égyptienne ainsi que dans la conservation et la diffusion de la musique populaire de ce pays », souligne-t-il, tout en ajoutant que les paysannes animent les fêtes populaires ou chantent dans les champs. Elles sillonnent les routes, mêlant à leurs pas le chant et la musique. Leur chant allie différentes formes de musique traditionnelle égyptienne, notamment la force et la vitalité propres à l’interprétation du chant saïdi de Haute-Egypte. Les chants des paysannes constituent un patrimoine artistique unique et un savoir considérable en matière de chants traditionnels.

Un retour aux racines

Il était donc important de retourner aux sources, aux racines, à la campagne et aux chansons rurales qui ont gardé leurs traditions. Puis, elles sont apparues comme une mode pour la chanson moderne. Comme si elles avaient été créées pour qu’elles conviennent aussi à notre temps, tout naturellement. « Cette troupe s’inspire du patrimoine musical, de ses chansons qui n’ont pas de compositeurs. Autrement dit, ce sont de vieilles chansons populaires héritées de nos ancêtres et de nos territoires. Et cet attachement, renforcé par un conservatisme inné, explique la survie exceptionnellement longue de ces chansons d’un autre âge. Et c’est parce qu’elles étaient solidement gravées dans les mémoires, un peu comme les prières de l’enfance, et profondément ancrées dans les habitudes et les coutumes, donc intimement liées au quotidien des villageois, qu’elles ont pu se maintenir par-delà les siècles. De là, nous avons tenté de rassembler les femmes de différentes provinces, non seulement on choisit les plus talentueuses, mais aussi celles qui connaissent par cœur ces chansons héritées », dit Magdi Abdel-Salam, directeur du palais de culture à Kafr Al-Chorafa. Une manière de faire apprécier ce genre de chant à un public plus large, ciblant non seulement les moins jeunes, mais aussi toute personne avide de chant fellahi et de sa façon simple et improviste, c’est ce qu’assure Afaf Hassan (40 ans), l’une des chanteuses de la troupe. « Nous ne chantons jamais les nouvelles chansons, mais celles de nos mères et grands-mères qui étaient de véritables artistes improvistes. Elles chantaient quand le cœur leur en disait et elles entonnaient les chansons comme elles leur venaient à l’esprit, en laissant parler leur cœur », dit-elle, tout en soulignant qu’elle ne chante pas dans les mariages où il y a un DJ, car ce dernier donne aux spectateurs l’envie de vibrer ou de danser alors que les anciennes chansons rurales ont besoin que les invités se concentrent sur les mots pour pouvoir les répéter derrière elle. Et d’ajouter : « Beaucoup de villageois nous demandent de venir pour célébrer des mariages dans différents bourgs, mais comme notre troupe a remporté plusieurs prix, on est de plus en plus sollicité par des citadins, et surtout des étrangers, pour animer les soirées ramadanesques ou chanter lors des fêtes nationales et des festivals dans différents gouvernorats d’Egypte », explique Fayza, qui rêve d’effectuer des tournées à l’étranger, pour faire connaître ce patrimoine populaire inimité. Et comme il y a des gens qui aiment entendre le DJ et les chansons bruyantes, d’autres préfèrent retourner aux anciens chants doux, improvisés, pleins de sens. Hadj Radwane, un habitant de la ville de Benha, est venu à Kafr Al-Chorafa, pour demander à La Troupe des paysannes de venir célébrer le mariage de son fils qui va avoir lieu lors du Grand Baïram. « Les mariages d’avant étaient plus attrayants. Les gens savaient écouter, car ils aimaient le tarab, de nos jours, ce n’est plus pareil. On commande un DJ qui diffuse des chansons dénuées de tout sens », se plaint-il. Pourtant, son fils aurait aimé ramener Saad Al-Saghir, un chanteur célèbre, mais hag Radwane a voulu des noces baladies et il lui a apporté un danseur de tannoura (danse des derviches), un takht arabe composé de joueurs de rebabs, de mizmar et de nay, pour se remémorer le passé avec toujours autant de nostalgie. « Al-baladi youkal (c’est le local qui a de la valeur), il intervient toujours à tout moment », exprime-t-il avec émotion.

Or, pour parvenir à ce que cette troupe soit une gardienne des traditions orales et du patrimoine rural égyptien, les palais de culture ont commencé à enregistrer les chansons fellahies sur des CD, surtout que les membres des familles au sein desquelles se transmet le métier de génération en génération se disséminent peu à peu et rares sont les parents qui songent à encourager leurs enfants à une telle carrière. Imane Mahmoud, élève dans le cycle secondaire azharite, est la plus jeune de cette troupe paysanne. Elle est née dans une famille d’artistes. Sa mère est Sobhiya, la star de la troupe, et son père est un monchid qui chante des tawachihs et de l’inchad religieux (chants de louange du prophète). Cette jeune fille  de 17 ans, aux cheveux longs et aux traits de paysanne, a réussi à se faire connaître du public, faisant valoir un talent étonnant et une sensibilité à fleur de peau en fredonnant les chansons populaires avec un style très personnel et très spécifique. Elle confie qu’elle est très fière de faire partie de cette troupe patrimoniale et raconte qu’elle n’oubliera jamais l’accueil chaleureux que lui a réservé le public et les applaudissements des spectateurs qui étaient éblouis par la représentation donnée au festival Mahka Al-Qalaa (le parloir de la citadelle) ayant eu lieu au mois du Ramadan.  « Il suffit de dire que les spectateurs ont boudé le spectacle donné par les grands chanteurs tels que Khaled Sélim et d’autres, et sont venus former un cercle autour de nous pour entendre les chansons d’antan. Ils ne se lassaient pas de voir et revoir notre spectacle et l’attendaient impatiemment le lendemain, pour y assister à nouveau », conclut Imane avec fierté.

Chahinaz Gheith

 




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