Festival .
Danses et chants folkloriques, traditions, gastronomie et
robes traditionnelles ont été exposés à Suez par différentes
troupes égyptiennes et arabes dans une vraie fête des pays
de la mer Rouge. Une occasion pour se divertir et connaître
l’autre. Reportage.
Danser pour se connaître
Au
bord du Golfe de Suez, à Moon Beach, un des lieux splendides
de la belle ville qui a témoigné de la libération du
territoire égyptien lors de la guerre d’Octobre 1973, un
monde exceptionnel est présent. On dirait un défilé de modes
et de couleurs. La scène est impressionnante, voire même
surprenante. Différentes troupes de danses folkloriques, en
habits traditionnels très variés, présentent leurs danses,
aux rythmes des chansons et du son de la sémsimiya de Suez
(instrument de musique traditionnel) dans une ambiance
euphorique. Toutes les figures et les danses s’entremêlent,
à tel point qu’il est difficile de distinguer entre les
Soudanais et ceux de Halayeb et Chalatine du sud de
l’Egypte, entre les gens du Sinaï et ceux de Palestine. Des
mouvements et des pas de danse qui sont en harmonie avec la
musique et les chansons mélodieuses. Un tableau qui n’a pas
seulement épaté la population de Suez, curieuse de voir
cette nouveauté dans sa ville, mais aussi les délégations
qui ont participé à ce festival d’arts populaires et de
traditions des pays de la mer Rouge. Et bien que plusieurs
pays n’aient pas participé à ce rassemblement exceptionnel,
les gens de Suez ont pu assister à ce grand spectacle de
danses, de chants traditionnels présentés par des troupes
venues des quatre coins de l’Egypte, en plus de celles de
Palestine, du Soudan et du Yémen. « C’est sensationnel, ce
mélange de danses exécutées par différentes troupes qui se
produisent en même temps aux rythmes de notre sémsimiya que
nous adorons, cela nous a fait oublier un peu nos problèmes
quotidiens, les prix élevés des produits alimentaires et le
chômage qui empoisonne la vie de beaucoup de familles à Suez
», dit Hanaa Abdel-Salam, native de la ville de Suez, tout
en regardant un tableau de danse nubienne présenté dans un
théâtre construit en plein air dans le quartier populaire
d’Al-Arbéïne. « C’est bien la première fois que je vois un
spectacle de danse en direct, c’est formidable, surtout le
tableau des noces nubiennes, j’ai beaucoup aimé cela »,
ajoute Hanaa.
Un vrai rassemblement
Des
danses et des chants folkloriques d’Ismaïliya, du Caire,
d’Assouan, du Soudan ou du Yémen, dans des théâtres en plein
air ou dans le palais de la culture, des expositions de
produits locaux, des colloques pour discuter des traditions
dans les pays de la mer Rouge, et même des points de
ressemblance ou de différence. En un mot, diverses activités
qui ont enchanté une partie de la population de Suez venue
admirer ces spectacles ou se divertir, alors que d’autres
personnes sont restées prises par leurs préoccupations
quotidiennes, tandis que d’autres trouvent dans ce festival
une occasion pour gagner plus d’argent grâce aux nombreux
visiteurs et spectateurs qui cherchent à manger, à se
déplacer ou à faire des achats. C’est ce que pense Mahmoud,
jeune diplômé de commerce, qui a transformé sa voiture en
taxi pour gagner sa croûte, et afin de lutter contre le
chômage. Il pense que beaucoup de gens ne s’intéressent ni
au folklore ni au patrimoine, ils préféreraient assister à
un concert de Tamer Hosni. Pour Mahmoud, ce festival est
tout de même une occasion d’avoir plus de clients dans son
taxi et surtout gagner un peu plus d’argent. Cependant, pour
d’autres comme les troupes de danses et de chants populaires
à Suez, ils voient les choses autrement. Les membres sont
excités par le fait de découvrir d’autres genres de danses
folkloriques, d’autres peuples avec leurs traditions, à
l’instar des troupes de Halayeb et Chalatine, comme
l’explique Mohamad Farag, chef de la Troupe des instruments
populaires à Suez. « C’était surprenant de voir les danseurs
des tribus de Ababda et Béchariya danser avec des fouets et
ceux du Yémen avec des poignards. Nous avons essayé, moi et
un autre membre de la troupe, de danser avec un fouet, on
n’a pas réussi, c’est très pénible, nous nous demandons
comment ils arrivent à le supporter », confie Farag qui a
beaucoup apprécié la dabka palestinienne. « En voyant les
danses palestiniennes, il est difficile d’imaginer que ce
peuple, qui souffre du blocus et résiste avec pierre et arme
à l’occupation israélienne, est le même qui danse la dabka
avec autant d’agilité, de souplesse et d’originalité. La
scène de la petite danseuse de dabka portée par son père en
brandissant le drapeau palestinien a été très émouvante »,
reconnaît Farag. En fait, la participation de la délégation
palestinienne à ce genre de festival a été l’un des
objectifs. « Faire toujours rappeler aux gens notre
patrimoine, nos traditions, nos danses folkloriques et même
notre gastronomie qui ont commencé à être plagiés par les
Israéliens, qui non seulement occupent notre territoire mais
veulent aussi mettre la main sur notre patrimoine et nos
traditions comme la robe traditionnelle palestinienne et
certains plats préparés avec les pois chiches et les
falafels », dit Wessam Al-Raïs, membre de l’Union de la
femme palestinienne, présente à l’exposition de produits du
terroir, expliquant aux visiteurs les modes et matières de
fabrication et leurs sources.
De la poésie aussi
Arab Mohamad, une jeune poète de Gaza, est venue aussi pour
lire des extraits de ses poèmes, à l’exemple de « Man nahnou
ya Misr » (qui sommes-nous, l’Egypte), et un autre sur
Jérusalem. Cependant, cela n’empêche pas les membres de la
troupe d’aller à la découverte des autres. Une petite fille
palestinienne, un keffieh sur les épaules, est allée
demander à deux femmes d’Assouan, Nagah et Neama, de lui
mettre du henné (sorte de tatouage fait sur la main et
utilisé chez le peuple d’Assouan) ; elle en a profité pour
admirer les habits traditionnels du Nord-Sinaï.
Dans l’exposition des robes, bijoux et différents produits
de chaque ville de la mer Rouge, on fait connaissance, on
découvre l’autre et les commentaires vont bon train.
Marzouqa, une Nubienne, s’exclame : « Comme elles sont
belles les femmes palestiniennes ! Je me demande comment les
Israéliens osent les tuer ? ».
Quant à Sabha Ibrahim, chef de l’association du Sinaï, Bent
al-badiya (la fille du désert), elle explique que les
produits fabriqués à la main par les femmes du Sinaï
ressemblent à ceux des Palestiniens, sauf que ces derniers
reproduisent des formes d’arbres ou de plantes. « Par
contre, nous, nous utilisons des formes géométriques »,
explique Sabha qui expose des robes traditionnelles et
d’autres qui gardent la même forme, mais qui sont plus
légères afin de convenir à la femme contemporaine. « On ne
peut plus porter de robes trop chargées ou lourdes tous les
jours », dit la femme qui a l’intention de porter sa
candidature aux prochaines élections de l’Assemblée du
peuple. De la Palestine au Soudan, chaque peuple tente de
chercher les points communs. Walid Mégahed et Rabab Mohamad
sont des membres de la troupe Asdaa al-bahr à l’est du
Soudan. Ils confient être surpris par l’harmonie des
mouvements, l’organisation et les tenues traditionnelles de
certaines troupes, surtout celle de Suez. Cependant, ils
pensent que leurs danses ressemblent plutôt à celles des
Yéménites. « Nous avons des danses qui se ressemblent, comme
celle d’al-samaka (poisson) des pêcheurs. Nous avons
également des traditions et des mouvements de danse qui se
rapprochent de ceux des troupes de Halayeb et Chalatine, qui
sont déjà tout près de nous », dit Walid, en route vers le
théâtre en plein air au cœur du quartier d’Al-Arbéïne. Là,
des danses de la Troupe du Nil et de celle d’Assouan sont
présentées. Des familles entières de Suez sont venues
assister pour la première fois à des spectacles de danses
folkloriques, en plus des travailleurs journaliers et des
marchands ambulants qui étaient de passage et ont été
attirés par la musique : « Qu’est-ce que c’est que ce
festival ? Est-ce qu’il faut acheter des billets pour y
assister ? C’est quelle troupe ? Ah, ce sont les Nubiens.
Comme leurs danses sont belles ! ». Une atmosphère
d’allégresse règne dans le quartier. Il y a beaucoup de
monde et d’embouteillage, ce qui a demandé l’intervention
des agents de police pour mettre de l’ordre. Cependant,
beaucoup de spectateurs qui sont venus admirer tous ces
spectacles ont été impressionnés par deux troupes, celle
d’Assouan et celle du Nil pour les arts populaires venant du
Caire. Hoda explique qu’elle est venue pour jouir de cette
ambiance de fête et oublier ses soucis. « Mon mari est
malade et mon fils aussi. Cependant, je voulais me distraire
un peu », dit la dame qui a beaucoup aimé les danses
nubiennes malgré la différence de dialectes. D’autres jeunes
ont dansé et chanté avec les stars de la Troupe populaire du
Nil qui ont présenté des extraits du patrimoine mélangé à
d’autres plus récents. Les uns s’extasient, les autres
rentrent chez eux, mais beaucoup admettent que c’est une
occasion pour connaître l’autre, même s’il vient d’un autre
gouvernorat, et chacun le fait à sa manière.
Doaa
Khalifa