Le président de l’Assemblée du peuple sortante,
Fathi Sourour, revient sur
les grands dossiers du moment. Il passe en revue et analyse
la participation des Frères musulmans aux législatives, les
mouvements contestataires ainsi que les affaires de
corruption.
« La sédition confessionnelle est l’arme
des ennemis et des
idiots »
Al-Ahram
Hebdo : L’opposition déclare douter de l’intégrité des
prochaines élections législatives alors que le gouvernement
assure que les garanties sont suffisantes. Qu’en pensez-vous
?
Dr Fathi Sourour :
Je pense que pour l’opposition, c’est une tentative de
justifier un probable échec aux élections. La loi égyptienne
offre les garanties nécessaires pour l’intégrité des
élections comme dans n’importe quel Etat démocratique. Nous
avons un haut comité pour le contrôle des élections,
indépendant et neutre, qui comprend des juges de haut
niveau. De plus, les élections sont supervisées par des
comités judiciaires généraux. Que faut-il de plus ? Toute
erreur qui pourrait survenir durant le processus électoral
est une chose possible dans n’importe quel pays du monde.
— Mais les différents partis accusent aussi le parti au
pouvoir de restreindre leurs activités …
—
Les partis sont libres dans leur action et dans la fondation
de leurs bases, ils possèdent des journaux libres qui
diffusent les avis de l’opposition sans restriction. Ils
possèdent également des chaînes de télé satellites et la loi
leur garantit leur liberté d’action. Comment alors le parti
au pouvoir peut-il contraindre leurs activités ?
— A votre avis, comment le parti au pouvoir va-t-il traiter
la confrérie des Frères musulmans lors de ces élections ?
—
Il traitera les Frères musulmans conformément à la
Constitution et à la loi, c’est-à-dire que chacun a la
liberté d’expression et bénéficie de tous les droits cités
par la loi et la Constitution, et toute infraction est jugée
par la justice. La confrérie des Frères musulmans n’est pas
un parti et par conséquent, il ne lui est pas permis de
pratiquer une action politique partisane sous le nom de
Frères musulmans. Conformément à la loi, toute pratique
politique de ce genre est considérée comme un crime.
— Quelle est la position vis-à-vis du « mouvement
d’ElBaradei », d’autant plus qu’il a appelé à l’insurrection
civile ?
—
Je ne connais pas de « mouvement d’ElBaradei », mais je
connais les déclarations du Dr Mohamad ElBaradei et ses
avis. Or, ces déclarations n’ont pas atteint le niveau de
mouvement, car ceci nécessite l’existence d’un grand nombre
de partisans, et ce n’est pas le cas.
— Il y a à côté de cela de nombreux mouvements de
contestation sur la scène politique, que ce soit à propos de
la succession du pouvoir ou de la pratique démocratique …
—
Les mouvements de contestation existent dans tous les
régimes démocratiques puisque c’est un moyen d’exprimer
certaines formes d’opposition. Il ne faut donc pas leur
donner plus de poids qu’ils n’en ont réellement. Il suffit
de suivre ce qui se passe en France, en Allemagne, en
Grande-Bretagne et aux Etats-Unis pour comprendre que les
protestations ne sont qu’un moyen d’expression.
— Ce qui veut dire pour vous que l’Egypte est un pays
démocratique ?
—
La Constitution stipule que le régime égyptien est un régime
démocratique, et tous les textes de la Constitution vont
dans ce sens. La liberté d’expression est garantie pour
tous, et toute erreur peut arriver dans n’importe quel
régime. L’Egypte est un Etat où la loi est très ancienne,
basée sur des principes démocratiques.
— Vous avez dernièrement annoncé que le boycott des
élections était « un suicide politique pour les partis »,
que voulez-vous dire par là ?
—
Je veux dire que l’objectif de la formation d’un parti
politique, contrairement à l’association bénévole ou le
syndicat, est d’atteindre le pouvoir. Et les élections dans
n’importe quel régime démocratique sont le moyen d’accéder
au pouvoir. Alors, quand un parti boycotte les élections, il
renonce ainsi à l’objectif de sa fondation et ressemble aux
associations bénévoles, c’est pour cela que j’ai dit que le
boycott des élections était un « suicide politique ».
— Dernièrement, de nombreux dossiers de corruption ont été
dévoilés comme celui des députés profitant de soins médicaux
aux frais de l’Etat. Certains font assumer cette
responsabilité au régime. Cela ne l’entache-t-il pas ?
—
La corruption est une infraction à la loi, chose qui existe
partout dans le monde. Les lois sont faites pour punir toute
infraction. Donc, la corruption en soi ne nous entache pas
tant que tous ceux qui commettent des infractions sont punis
par la loi.
— Vous appelez à ne pas mêler la politique à la religion. Ne
pensez-vous pas que les affaires et la politique font aussi
mauvais ménage, alors qu’aujourd’hui, de nombreux hommes
d’affaires sont au pouvoir ?
—
Le secteur privé joue actuellement un rôle essentiel dans le
développement, il est donc naturel que les hommes d’affaires
aient un rôle dans l’action politique. La politique et
l’économie sont les deux facettes du développement. Je me
rappelle que quand j’étais ministre de l’Education entre
1986 et 1990, le ministre de l’Education en Grande-Bretagne
était président d’une entreprise industrielle avant de
devenir ministre.
— Il y a de nombreux appels pour amender l’article 76 de la
Constitution. En tant que juriste spécialiste du droit
constitutionnel, qu’en pensez-vous ?
—
L’appel à tout amendement quel qu’il soit est l’expression
d’un avis clair qu’il faut exprimer de façon
constitutionnelle. Et dans tous les cas, l’amendement ne se
fait pas en un seul jour, il est soumis aux mêmes étapes
d’évolution que subit la société et dépend de l’efficacité
des organisations politiques et des partis.
— L’Egypte a connu dernièrement de nombreux conflits
confessionnels. Quel est votre analyse du problème ?
—
Il n’y a pas de conflit confessionnel en Egypte, mais il y a
des événements individuels qui ont des causes
confessionnelles. Ce genre d’événement peut avoir lieu dans
n’importe quel pays multiconfessionnel. La Constitution
stipule le droit de citoyenneté pour tous les Egyptiens, et
la loi ne tolère pas l’extrémisme religieux. Depuis plus de
15 siècles, les musulmans et les chrétiens vivent ensemble
en tant que frères, ils ont lutté ensemble contre
l’occupation et de nombreux chrétiens ont brillé dans divers
domaines et ont occupé des postes importants. La
discrimination religieuse n’existe pas et elle est refusée.
Mais à cause de l’ignorance, des événements individuels
peuvent avoir lieu. Mais tant que la volonté des musulmans
et des chrétiens s’articule sur la citoyenneté, ils peuvent
lutter ensemble contre ces aspects négatifs. Les chrétiens
en Egypte n’ont jamais été une minorité, mais une partie
intégrale du tissu égyptien, la sédition confessionnelle est
l’arme des ennemis et des idiots.
— Quels sont les rêves du chef du Parlement pour la
prochaine phase cruciale de l’histoire de l’Egypte ?
—
Je rêve que la stabilité et la sécurité règnent,
puisqu’elles constituent la base essentielle et
indispensable à la démocratie. Je rêve de voir la paix
régner partout dans le Proche-Orient et de voir l’Etat
palestinien s’instaurer. Je rêve aussi de l’union arabe, car
cette union a connu un recul flagrant, pour se limiter à une
solidarité arabe puis une conciliation arabe. Le
développement sous toutes ses formes est aussi parmi mes
rêves, et je souhaite également une vie décente à tous les
citoyens.
Propos recueillis par Magda Barsoum