Al-Ahram Hebdo, Visages | Hassan Al-Gueretly, Le scout des talents

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 Semaine du 20 au 26 octobre 2010, numéro 841

 

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Visages

Hassan Al-Gueretly sillonne l’Egypte en homme de théâtre. Il a été le premier à fonder une troupe indépendante, Al-Warcha, et il œuvre à préserver l’héritage culturel en dehors des sentiers battus. 

Le scout des talents 

« Le théâtre est un lieu de rencontre, un art de dualité, de transformation, de conflit, de réconciliation, d’accord et de désaccord. Par le théâtre, j’essaie de vivre cette sorte de dualité entre l’Egypte et l’Occident, en tant qu’une richesse. D’autres peuvent vivre cet état de chose comme une contrainte », exprime Hassan Al-Gueretly, à la fois metteur en scène, cinématographe, directeur et fondateur de la troupe théâtrale Al-Warcha, en 1987. A dédoublement culturel bien contrasté, entre Occident et populaire, entre tradition et modernité, Al-Gueretly est cette personne très énergique qui vit heureusement le moment, avec cette dualité innée.

De père égyptien et de mère écossaise, Hassan est le fruit d’une rencontre de l’après-Seconde Guerre mondiale à Londres, entre parents qui, de cultures différentes, se sont unis par l’amour du service public. Sa mère faisait des études scientifiques à la BBC. Et son père parachevait un doctorat en économie, interrompu par la guerre mondiale. « Installé au Caire au début de la Révolution de 1952, mon père a fait carrière dans une banque égyptienne, puis au ministère des Finances, à une époque où l’Egypte vivait dans une totale centralisation. Mon père, expert en économie, a refusé toute responsabilité liée à la politique. Il a même démissionné de son poste au ministère », affirme Al-Gueretly. Et d’ajouter : « J’ai grandi en Egypte jusqu’à l’âge de 17 ans, j’étais élevé en Egypte, avec l’effervescence de la libération, l’union avec la Syrie et la nationalisation du Canal de Suez. Autant d’actes prometteurs, mais quand le pouvoir s’est centralisé, les choses sont devenues moins bien pensées. Je suis pour la démocratie, le partage, le dialogue et le savoir. Le théâtre est un espace de liberté alors que dans les années 1960, il y avait moins de théâtre. Le théâtre égyptien puise dans deux sources : l’occidental et le populaire ». Mais c’est la première, « cet avatar levantin du théâtre européen », qui l’a largement emporté. « Le reste est complètement ignoré, rayé des tablettes ».

Plus tard, Al-Gueretly quitte très jeune l’Egypte pour la France, avec le sentiment qu’il va y retourner un jour. « Nous ne pouvons exister chez soi qu’à la suite d’une reconnaissance acquise à l’étranger. Mais pour être compris à l’étranger, il faut parler de soi en termes d’étranger. C’est terriblement déstabilisant ». Lors de sa résidence entre 1975 et 1980 en France, qui lui était un « terrain neutre » de rencontres théâtrales et de formation, Al-Gueretly a touché à sa première ambition d’avoir une compagnie théâtrale itinérante. Il a fondé au Limousin la compagnie Les Tréteaux de la Terre et du Vent, à spectacles liés aux sujets de la culture, l’histoire et l’économie. « Mon amour pour le français vient de son abstraction, de sa façon d’exprimer les sentiments. Je suis un grand amoureux du théâtre de Racine qui exprime les sentiments contradictoires de l’amour comme une maladie », dit celui qui se voit un amoureux plutôt qu’un romantique, avec son air énergique.

Etudes de littérature française à l’Université de Bristol au Royaume-Uni, suivies en 1982, d’un diplôme d’études supérieures en mise en scène audiovisuelle de la Sorbonne, Al-Gueretly a travaillé comme metteur en scène au Centre dramatique national du Limousin, où il a participé à des spectacles de Shakespeare, Strindberg, Camus, Vitrac et Brecht. « Les meilleurs à avoir exprimé la condition humaine », selon lui. En France, ses activités ont touché à la relation entre théâtre et éducation, avec à l’appui des tournées en Egypte et dans le monde arabe, notamment un projet de théâtre avec les paysans du gouvernorat de Béheira et une coproduction franco-égyptienne de Phèdre au Théâtre national du Caire, en 1977. Il était animé par un désir de ramener tout son savoir-faire théâtral en Egypte, sans encore décider de rentrer pour de bon. Ce, jusqu’au moment où il rencontra, en France, le réalisateur Youssef Chahine. « Ma première rencontre avec Chahine m’a incité à lui demander de travailler avec lui. Le maître me répondait toujours : Reviens d’abord. J’ai alors étudié, grâce à Chahine, les techniques du cinéma, la persévérance et la nécessité de créer une institution de partage convivial. J’ai connu ma première expérience cinématographique avec Adieu Bonaparte et Le Sixième jour. Chahine est un créateur d’images qui a influencé mon théâtre, loin de l’exagération ou de l’hyperbole. Mon théâtre est un jeu simple et sincère », exprime Al-Gueretly, un homme qui a du charme, grand de taille, avec des cheveux lisses sel et poivre.

Après dix ans en France, c’est le retour définitif en 1982. En Egypte, il affronte « la bureaucratie, l’intolérance des syndicats artistiques et l’irréalité d’un théâtre perclus de conventions ». Cependant, il fonde, en 1987, une « première » troupe théâtrale indépendante : Al-Warcha, nullement liée à l’emprise de l’Etat. Cette troupe est formée d’un groupe croissant d’amateurs et de professionnels de théâtre et de cinéma. Elle naît d’une rencontre autour d’une intuition et d’émotions communes, avec le plaisir de chercher, au-delà de l’horizon, des sphères d’étonnement. Ce groupe d’Al-Warcha, qui signifie « chantier » en arabe, campe au dernier étage d’un ancien bâtiment de la rue Chérif, au centre-ville cairote. « A ses débuts, Al-Warcha était sans hébergement, jusqu’au moment où elle a trouvé place dans une ruelle à la rue Champollion au centre-ville, face à un garage bien animé, comme une usine avec son vacarme et son désordre. Ce qui m’a inspiré le nom d’Al-Warcha ». C’est dans ce « désordre » que fonctionne Al-Warcha comme un atelier en perpétuelle effervescence. Les uns dansent, les autres chantent, s’entraînent à la danse du bâton ou à narrer des contes, dans un étrange cérémonial que certains appellent une répétition.

« Je crois que le théâtre est un lieu de rencontre où nous touchons à toute littérature théâtrale universelle. Et comme le théâtre égyptien est né de la rencontre avec l’Occident, depuis Bonaparte, on s’est intéressé à arabiser des textes occidentaux, avec le désir d’adapter pour le public égyptien le répertoire contemporain ». En 1989, Al-Warcha a arabisé les différentes pièces d’Ubu d’Alfred Jarry, sous le titre de Dayer maydour qui fait la matière picaresque du « petit peuple égyptien » tel décrit dans l’œuvre de Naguib Mahfouz. « En Egypte, j’ai voulu travailler sur la logique de la décentralisation que j’ai vécue en France où on subventionnait les petites troupes théâtrales. Si un jour on me demande officiellement, avec une subvention de l’Etat, de m’installer à Minya en Haute-Egypte, je le ferai aimablement », assure Al-Gueretly. Les activités d’Al-Warcha s’accroissent, depuis 1987, avec des pièces jouées en arabe vernaculaire à « énergie dramatique qui dissimule les émotions cachées derrière les masques du quotidien ». Comme dans Le Pupille Veut Devenir Tuteur de Peter Handke et Le réveil de Dario Fo et Franca Rame. Cette double création fut reprise en 1988, lors du premier Festival du théâtre expérimental du Caire. Vient ensuite, en 1988, La Colonie pénitentiaire, adaptation d’une nouvelle de Franz Kafka, présentée à la 2e édition du Festival du théâtre expérimental. Gueretly fut à la même année directeur du premier théâtre expérimental au Caire qu’est Al-Hanaguer, actuellement en état de restauration. Ce théâtre permettait aux comédiens de s’ouvrir sur le monde en dehors du théâtre, à travers des spectacles tirés de la vie, opérant un dialogue interculturel. « Au début du Festival du théâtre expérimental, il y avait cette effervescence de la découverte de nouvelles formes théâtrales. Le problème en Egypte, c’est que l’on considère tout ce qui est indépendant comme un athéisme. Al-Warcha joue en marge du théâtre expérimental. Notre théâtre est un théâtre exploratoire. D’ailleurs, Al-Warcha est la première troupe égyptienne à participer à la première édition du Festival expérimental du Caire, avec Ghazl al-aamar (filage de vies), en  1988, prix spécial du jury. Dans le cadre des nuits d’Al-Warcha, depuis 1992, ce spectacle fut présenté à Minya, Amman, Aqaba, Alexandrie, au village d’Oum Doma (Sohag) et à Mallawi (Minya) ».

La troupe a aussi tenté de préserver la tradition orale de La Geste hilalienne en 1994 (magnifique épopée arabe du XIe siècle), auprès de ses derniers bardes auxquels Al-Warcha s’est entrainée à réciter et chanter. « Je crois fort en le rapport primordial et historique entre conte et théâtre. C’est un rapport ancien, né depuis l’épopée d’Homère. Je suis amateur de la littérature orale égyptienne et de ses multiples dialectes », déclare Gueretly, lequel a boycotté les postes gouvernementaux pour se consacrer entièrement à son théâtre indépendant. Il opère, en fait, de multiples voyages dans le sud de l’Egypte et le Delta ainsi que dans d’autres pays arabes et étrangers. Car il s’agit d’un homme assidu, surnommé « le scout des talents ». Il s’introduit dans les divers espaces théâtraux (Rawabet, Harrawi, etc.), à la découverte de nouveaux talents et de partenaires. D’ailleurs, c’est lui qui a découvert pas mal de comédiens égyptiens, actuellement stars. Sur un air déçu, Gueretly lance : « Ils ont vendu cher ou moins cher ce qui n’est pas à vendre. L’art n’est pas à vendre ».

Depuis 1996, Al-Gueretly entame, en provinces, plusieurs projets en collaboration avec des artistes populaires. Le premier projet fut l’Ecole de la musique et des arts du bâton à Mallawi. Al-Warcha a également jumelé avec la troupe jordanienne Al-Fawanis (les lanternes) et a collaboré avec la Chorale de l’Association de la Haute-Egypte. Comme elle a créé un centre de formation théâtrale pour enfants misant sur l’improvisation, les dessins animés et les ombres chinoises. D’où un nouveau voyage vers « les racines oubliées » des ombres chinoises, dans Ghazir al-leil (torrents de nuit), en 1993, à la rencontre des derniers maîtres d’un art « méprisé » depuis les années 1950. Cette ballade, tirée du conte populaire Hassan et Naïma, est, en effet, le premier spectacle joué en Egypte sous une tente. « Un jour, j’ai assisté avec Youssef Chahine à une récréation spontanée au micro, donnée par les derniers maîtres du théâtre de l’ombre, Ahmad Al-Komi et Hassan Khanoufa qui, traités de vagabonds, étaient arrêtés en 1948 par la police égyptienne. A la fin du spectacle, ils ont appelé Chahine, lui disant : C’est nous qui ont inventé le cinéma ». Depuis, il a noté l’adresse de ces maîtres de l’ombre lesquels habitaient dans le quartier de Zeinhom, pour une éventuelle collaboration.

Outre son nouveau projet : Faggalah est éblouissante par ses habitants, en partenariat avec l’association Al-Nahda, des pères jésuites, au projet de contes, de collections de photos, de musique, sur le quartier de Faggalah, Al-Gueretly est occupé par le thème de la guerre. Un thème amorcé en 2005, avec « la sagesse de brisure », inspiré des poèmes du Palestinien Mahmoud Darwich. Al-Gueretly œuvre aussi à collecter des monologues des enfants de Gaza, produits par la troupe Ashtar de Jérusalem. « Je cherche à exprimer la force et la sagesse à travers les brisures de la vie, chez les enfants et les femmes de Gaza, face à la folie meurtrière. J’ai souvent travaillé sur la condition féminine, dans une société tendue vis-à-vis des droits de la femme ».

Névine Lameï

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Jalons

1948 : Naissance au Caire.

1987 : Fondation de la troupe Al-Warcha.

2003 : Une Balle dans le Cœur, chef-d’œuvre de l’arabe dialectale, écrite en 1931 par Tewfiq Al-Hakim.

2010 : Projet Al-Faggalah ménawara bi ahlaha.

2010 : Projet avec la compagnie Ashtar de Jérusalem.

 




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