H1N1 .
C’est
timidement que le ministère de la Santé vient de lancer un
appel aux couples de reporter tout plan de grossesse
jusqu’au mois d’avril. La pilule passe mal auprès des
Egyptiens.
Un
appel avec des pincettes
«
Il est préférable que les couples reportent tout plan de
grossesse jusqu’au mois d’avril et ce, pour éviter le danger
de mort qui menace les femmes enceintes d’être atteintes par
la grippe A(H1N1) ». C’est l’appel lancé par le ministre de
la Santé lors d’une interview dans un talk-show il y a une
semaine. Il a pris soin d’adopter le ton paternel de
quelqu’un qui veut avant tout protéger cette catégorie à
risque.
Selon
les responsables, 14 % des femmes enceintes atteintes du
virus sont décédées.
En effet,
le taux de mortalité chez les personnes de bonne
constitution atteintes de la grippe porcine ne dépasse pas
le 1 %.
« Il
vaut mieux ne pas penser à la grossesse pour le moment, en
attendant que le virus devienne plus faible », tel est le
ton adopté par les responsables ces derniers jours.
Mais,
les Egyptiens n’ont pas l’air convaincus par cet appel et
ont des soupçons sur les véritables intentions des
responsables. « C’est leur nouvelle astuce pour nous obliger
à arrêter de procréer et de réaliser leur objectif tant
attendu de faire face à l’explosion démographique. Ils ne
veulent pas que les gens aient des enfants et la grippe
porcine a été leur arme pour réaliser ce but », confie
Ramadan, père de quatre enfants, et qui travaille comme
portier. Sa progéniture demeure sa plus grande fierté. Il
est même prêt à en avoir plus, puisqu’ils lui donnent un
coup de main et l’aident à satisfaire les demandes des
locataires de l’immeuble. Ce qui fait d’eux un bon
investissement pour Ramadan.
A des
centaines de kilomètres du Caire, des milliers d’habitants
partagent ce même avis. Mahmoud, paysan originaire de Minya
en Haute-Egypte, voit d’un regard critique l’appel du
ministère de la Santé. « Ce n’est qu’une façon pour cacher
leur échec sur la question du planning familial ». Et même
s’il n’est pas expert en la matière, les chiffres semblent
prouver ses paroles. Toutes les initiatives lancées par le
gouvernement lors des dernières années n’ont pas porté leurs
fruits. La création d’un ministère pour la Famille et la
Population, et qui avait pour but de faire face à cette
explosion, n’a pas changé grand-chose au niveau des
mentalités. Et l’Egypte demeure le premier pays au niveau du
nombre de la population dans le Proche-Orient, et le
seizième au niveau mondial.
D’ailleurs, ce qui a accentué les craintes des gens, c’est
le fait que le ministre de la Santé, en lançant son appel, a
déclaré qu’il n’existe pas encore de justification
scientifique pour expliquer ce taux élevé de mortalité parmi
les femmes enceintes en cas d’atteinte par la grippe H1N1.
Pourtant, il a préféré conseiller les couples d’attendre que
l’hiver passe en paix avant que les femmes ne pensent à la
grossesse.
Les
experts confirment
La
gynécologue Omayma Idriss explique qu’il n’est pas facile de
traiter une femme enceinte si elle est atteinte du virus
puisqu’on ne peut pas lui donner tout le traitement
nécessaire. Mais, d’après Idriss, une femme enceinte qui
contracte le virus peut prendre le Tamiflu. Car, il n’a
aucun effet secondaire sur sa santé. Mais, cela n’empêche
pas que, d’après Idriss, les cas les plus dangereux sont
ceux des femmes enceintes atteintes d’autres maladies
chroniques telles que le diabète, l’insuffisance rénale,
l’hépatite ou les maladies cardiaques.
« Le
risque de l’atteinte d’une femme enceinte est 12 fois plus
élevé que chez une personne ordinaire. Et même au niveau de
la protection, cela n’est pas suffisant et ne garantit pas
qu’elle ne soit pas atteinte par le virus », explique Idriss.
Quant
aux vaccins, la gynécologue explique que la femme enceinte
ne peut pas être vaccinée en début de grossesse.
Et en ce
qui concerne le bébé, les spécialistes estiment que les
risques d’infection chez le fœtus ne sont pas élevés.
Jusqu’à
ce jour, un seul cas de transmission du virus de la maman au
fœtus a été confirmé en Thaïlande. Pourtant, médecins et
gynécologues préfèrent la politique de la prévention.
« En
fait, l’appel du ministre de la Santé doit être pris en
compte, surtout qu’on a en Egypte le chiffre de 1,8 million
de femmes enceintes. Un chiffre en hausse permanente »,
explique Hossam Abbass, directeur du secteur de la femme à
la direction du planning familial auprès du ministère de la
Santé.
Mais, il
semble que chaque camp voit les choses à sa manière. D’un
côté, les responsables ne cessent de lancer leurs
avertissements au peuple, voulant à tout prix ne pas exposer
les femmes enceintes au risque.
Et de
l’autre côté, les couples veulent absolument avoir des
enfants et ne sont pas prêts en aucun cas à abandonner ce
rêve, peu importe les conséquences.
Noura,
nouvelle mariée, est très inquiète parce qu’elle n’est pas
encore tombée enceinte bien que mariée depuis quatre mois. «
Mon mari et moi, nous sommes obsédés par l’idée d’avoir un
bébé et on prie chaque matin pour que le Bon Dieu exauce
notre vœu. Même si je prends le risque de mourir à cause de
la grippe porcine, il n’est pas question de reporter ce beau
rêve », dit la jeune mariée, âgée de 25 ans. Ses parents
originaires de Haute-Egypte voient qu’il est déjà trop tard
et que la jeune épouse ne peut pas perdre plus de temps
avant de tomber enceinte.
La
sociologue Azza Korayem avoue qu’un tel appel adressé aux
couples de reporter leur plan de grossesse est assez
difficile à faire passer dans une société qui a résisté au
cours de toutes ces années à toute campagne de planning
familial. « La société voit que la grossesse de la femme est
une preuve de fertilité et un indice de la puissance
sexuelle de son mari. Un regard accentué par les avis
religieux qui dominent les esprits et ne sont pas toujours
en faveur du concept du planning familial ».
Pourtant,
certains préfèrent opter pour la raison. Dalia, jeune
bancaire et maman d’un enfant de 3 ans, vient d’arrêter les
pilules contraceptives pour avoir un autre enfant : « Il est
vrai que je suis prête à tout pour avoir un bébé et mettre
au monde une sœur pour mon fils Youssef, mais je ne suis pas
prête à risquer ma vie et laisser mes enfants seuls au monde
». Dalia préfère donc attendre jusqu’à l’arrivée de l’été.
Vu les
réticences, le ministère, après avoir laissé entendre qu’il
lancerait une campagne pour la suspension des plans de
grossesse, s’est rétracté en avançant qu’il s’agit juste
d’un appel qui a plus l’allure d’un conseil.
Hanaa
Mekkawi