Al-Ahram Hebdo,Société | Sous la casquette de la protection
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
Nos Archives

 Semaine du 27 janvier au 2 février 2010, numéro 803

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Livres

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Société

Femmes. Des taxis de couleur rose pour femmes et conduits par des femmes vont bientôt circuler dans les rues du Caire. L’idée, à peine lancée, fait des émules.

Sous la casquette de la protection

« Compagnie de taxis recherche jeunes femmes diplômées universitaires maîtrisant l’anglais et possédant un permis de conduire pour poste de chauffeur de taxi. Salaire attrayant ». Inès, qui est tombée sur cette annonce publiée dans le journal, a décidé de se présenter ; pourtant, elle n’a jamais entendu parler de chauffeurs de taxis femmes en Egypte.

Aujourd’hui et après quelques mois d’exercice, Inès (35 ans) ne regrette pas son choix. Mariée et ayant deux enfants à sa charge, cette dernière a dû convaincre sa petite famille. La mission n’a pas été aisée.

« Comment les gens vont-ils admettre l’idée de voir une femme au volant d’un taxi ? », la question que lui a posée son mari, pas du tout réjoui de la décision de sa femme, sans oublier le refus de la famille. Mais Inès a tenu tête à tout le monde.

Même si Inès a réussi à convaincre ses parents et son mari, ce n’était pas le cas avec ses voisines. « Elles font tout pour m’éviter », lance madame la chauffeur.

En Egypte, la société n’est pas habituée à voir les femmes travailler dans le secteur des transports en commun. D’autant plus qu’on devient de plus en plus sensible à tout sujet concernant la femme, créature à l’origine de tous les maux. Les femmes aspirent à plus de liberté dans un environnement hostile.

Sa collègue qui a choisi le pseudonyme de Amal confie n’avoir pas eu le même courage. Chez elle, personne ne sait qu’elle exerce le métier de chauffeur de taxi. Elle a la peur au ventre à chaque fois qu’elle circule dans les rues de la ville, craignant de croiser une connaissance ou un proche parent.

« Je n’éprouve aucune honte à exercer ce métier mais je préfère le cacher jusqu’à ce que la société s’habitue à cette nouveauté », dit Amal, qui désire par ce métier améliorer son revenu.

Et même si les avis divergent, cinq femmes tentent en ce moment cette expérience. C’est le premier groupe à s’être présenté à la direction de la circulation afin d’extraire un permis de conduire professionnel.

Emad, le responsable de la Compagnie du Taxi de la Capitale (CTA), initiatrice du projet, voit les choses du côté des usagères : « Les femmes méritent d’être plus chouchoutées et mieux protégées ».

L’idée en fait est venue lorsque les responsables du projet du Taxi de la capitale, lancé il y a quelques années et recevant les commandes par téléphone, ont constaté que 60 % de leurs clients étaient des femmes. Celles-ci préfèrent se trouver dans un taxi qu’elles ont commandé au lieu d’attendre dans la rue les vieux taxis noir et blanc.

Offrir à la femme un moyen de transport confortable et sûr où elle peut se sentir tout à fait à l’aise, enlever chez elle ce sentiment d’angoisse qu’on a souvent envers les chauffeurs hommes, tel est l’enjeu de ce nouveau projet.

En effet, ce sont les femmes, les jeunes filles, les enfants, les familles et les touristes arabes des pays du Golfe qui sont les catégories les plus ciblées par ce projet.

Et d’après un responsable dans le centre d’appel, à peine le projet lancé, les appels ne cessent de parvenir de la part de clientes pour commander un taxi pour femmes et féliciter la compagnie pour cette nouvelle initiative.

Aujourd’hui, certains voient dans cette idée la solution miracle qui va protéger les femmes, surtout avec la hausse du taux de harcèlement dont sont victimes les femmes. La mauvaise réputation des chauffeurs de taxis hommes y est aussi pour beaucoup. Afifi, père de trois filles, confie n’avoir jamais laissé l’une de ses filles prendre un taxi seule, même pas avec ses sœurs. Aujourd’hui, ses filles trouvent dans ce taxi pour femmes une aubaine, puisque chacune d’elle est autorisée à le prendre seule. « J’ai l’esprit tranquille depuis l’existence de ces taxis femmes. Avec un taux de crimes en recrudescence, il était temps de prendre une telle initiative », dit Afifi.

La rage des féministes

Mais ce n’est pas seulement la sécurité de la passagère qui est prise en compte. Le côté religieux a aussi son mot à dire dans l’histoire. Le fait de laisser une femme toute seule dans un véhicule avec un chauffeur homme est considéré comme une khelwa, à savoir un homme et une femme seuls dans un endroit clos.

Salama, ingénieur, considère que dans un pays qui suit la charia islamique, il a fallu impérativement séparer les femmes des hommes dans les moyens de transport, surtout dans les taxis où une femme voyage seule avec un homme.

Scandalisées, les activistes dans le domaine de la femme voient les choses autrement. Elles affirment que le simple fait de citer le mot khelwa dans le contexte de moyens de transport est une exagération et un terme mal placé. Fardos Al-Bahnassi, activiste, pense qu’il s’agit là d’un retour en arrière, à l’époque du harem. « Un tel projet risque de confiner les femmes, d’autant plus que ces dernières sont victimes depuis des années de toutes sortes de discrimination qui leur sont imposées par le courant conservateur », confirme Bahnassi.

Mais l’idée d’avoir des taxis pour femmes n’est pas nouvelle. Elle a vu le jour dans d’autres pays de la région tels que le Liban et l’Iran. Pourtant, la sociologue Azza Korayem pense que le fait d’isoler les femmes sous prétexte de les protéger n’est pas sain car on ne fait ainsi qu’élargir le fossé qui existe déjà entre les deux sexes en oubliant de traiter les vrais problèmes.

D’après Korayem, toutes les femmes ne sont pas des anges. Elles aussi sont capables de commettre des crimes aussi crapuleux que les hommes ...

Pourtant, les défenseurs de l’idée sont déterminés à mettre en œuvre ce service. D’après eux, ce n’est pas la première fois que l’on sépare les hommes des femmes dans les moyens de transport.

Il existe déjà depuis bien longtemps dans le métro un wagon pour femmes. L’idée ayant réussi, la proposition de l’appliquer dans les trains et même les cliniques semble intéresser une grande tranche de la société.

« Pourquoi tout ce bruit autour de ce nouveau taxi ? L’expérience est d’ailleurs appliquée dans d’autres pays du monde comme le Liban, Dubai, le Koweït, et même dans certaines capitales en Europe comme Londres où elle a réalisé un grand succès », s’interroge Emad dont l’entreprise compte mettre 70 véhicules au service des femmes. Et pour rassurer les clientes, l’entreprise va interdire aux chauffeurs femmes de circuler dans les zones lointaines et les bidonvilles. L’entreprise collectera également tous les renseignements nécessaires sur la chauffeur.

Et ce, pour garantir le maximum de sécurité.

Pourtant, d’après l’écrivain Sékina Fouad, cette situation révèle que la société est incapable de régler les problèmes de la femme. « Ce n’est pas en isolant les femmes que l’on réglera leurs problèmes. Nous avons peut-être besoin d’une nouvelle Hoda Chaarawi pour donner une impulsion à la cause féminine », se révolte Fouad.

D’après elle, toutes ces initiatives sont des indices qui prouvent le degré de recul culturel et intellectuel qui a frappé la société.

Elle cite en exemple la façon dont on a tendance à traiter d’autres problèmes plus cruciaux tels que la grippe aviaire ou porcine. Elle se demande si un jour on ne verra pas des taxis pour les chrétiens et d’autres pour les musulmans pour éviter toute friction.

Sameh, un chauffeur de taxi, n’est pas du tout réjoui de voir des femmes sous la même casquette et grignoter son gagne-pain. « Elles ne pourront pas supporter ce métier pénible », note-t-il.

Un prétexte que trouvent les hommes pour décourager les femmes voulant se lancer dans ce métier. « La femme a prouvé qu’elle est capable d’exercer n’importe quel métier et d’endurer plus de souffrances », affirme Sanaa, une des défenseurs de l’idée.

 Malgré tout, ces taxis existent déjà et l’on en verra de plus en plus circuler dans les rues de la capitale avec ces chauffeurs femmes conduisant des véhicules peints en rose pour mieux les distinguer.

Hanaa Al-Mékkawi

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.