De Port-Saïd
à Hollywood, la route n’est pas évidente. Mais
Sayed Badreya a tracé son
chemin : il est devenu comédien et producteur, réputé pour
ses rôles de vilain arabe dans les productions américaines.
En février, il organise un atelier de cinéma dans sa ville
natale.
Vivre
comme sur la toile
Le rêve
américain ? Le mythe de l’Eldorado ? Tout le monde en a
entendu parler. Lui, il l’a vécu. Oui. Sayed Badreya est
l’une des figures familières des films américains. Cela,
pour ses rôles secondaires où il est le prototype même du
vilain Arabe. Son allure pesante et son accent rocailleux en
anglais l’ont peut-être enfermé dans ce genre de rôle. Il en
est satisfait. Pourquoi pas ? N’a-t-il pas envahi la
citadelle hollywoodienne ? « C’est héroïque de faire une
petite scène dans un film américain », souligne-t-il
fièrement. Le mot héroïsme est pour lui comme un leitmotiv.
Peut-être parce qu’il est né à Port-Saïd et a vécu les
moments les plus durs de la guerre. « J’ai hérité de l’amour
de ma ville jusqu’au fanatisme. C’est dans cette ville que
j’ai appris dès l’enfance le sens du défi et de la volonté
».
Enfant,
le cinéma n’était pour lui qu’un abri auquel il avait
recours durant les raids aériens. Ainsi semble-t-il
découvrir un monde féerique, surtout avec un Spartacus de
Stanley Kubrick ou un Western interprété par John Wayne.
Séduit, Badreya a voulu faire partie de ce monde. « Un jour,
vous allez me voir jouer des rôles sur cet écran », a-t-il
très souvent répété à ses collègues et amis qui s’en
moquaient.
Né dans
l’une des ruelles de Port-Saïd, au sein d’une famille de 13
enfants, Sayed Badreya, ayant déjà perdu son père, a connu
le sens de la pauvreté et de la misère. « Je me rappelais
encore les jours de la fête pendant lesquels les enfants
portaient de nouveaux vêtements de toutes les couleurs alors
que mes chaussures étaient sans semelles », raconte-t-il sur
un ton nostalgique malgré tout. Il a toujours eu la volonté
d’être différent, refusé d’être dévoré par la carence. « Les
enfants de notre ruelle étaient noyés dans la drogue. Ma
mère en était très consciente. Elle cherchait toujours à
nous protéger et nous incitait à sortir de cette ruelle »,
dit-il.
Réussir
à l’école n’était pas suffisant. Son objectif était toujours
d’être parmi les plus remarquables. Une raison pour laquelle
ses camarades essayaient de se rapprocher de lui, pour s’en
faire un ami. « Mes amis appartenaient tous à la classe
aisée. Mon seul problème c’était alors de pouvoir grimper
les murs pour les rejoindre au club. C’était le prix de la
pauvreté », explique-t-il en riant. Pour lui, être pauvre ou
différent en Egypte exige de savoir bien grimper les murs.
Alors qu’aux Etats-Unis, il y a toujours une porte à ouvrir.
Mais il faut d’abord la chercher. N’est-il pas curieux que
cet artiste, qui a joué dans de nombreux films avec des
supers stars comme Al Pacino, George Clooney, ou Mat Damon,
et qui a assisté des réalisateurs comme James Cameron et
Anthony Perkins, ne figure pas sur le grand écran égyptien ?
« C’est parce que je ne fais pas partie de la bande. J’avais
beaucoup de projets de cinéma que j’aurais aimé faire en
Egypte et que j’avais présentés à plusieurs producteurs.
Mais il semble que mon système de travail est différent du
leur », souligne-t-il avec amertume. Les murs sont toujours
là, dirait-on.
Sans
doute le mur le plus élevé était celui de la ruelle. Il le
séparait du reste du monde. Puis, son diplôme technique avec
distinction en poche, il prend le train à destination du
Caire pour s’inscrire à la faculté d’ingénierie. « Je
n’avais qu’un billet aller retour et un sandwich. Alors,
j’ai marché de la gare jusqu’à Guiza. Mais le fonctionnaire
m’a demandé de revenir le lendemain. J’ai quitté
l’université sans avoir de destination précise ; je ne
connaissais personne au Caire et, en plus, je n’avais pas
d’argent. En traversant le pont d’Al-Gamaa, en face de
l’université, je me suis retrouvé dans le quartier
d’Al-Manial. J’ai vu une famille en train de déménager, avec
l’aide de quelques portiers du coin, alors j’ai décidé de
les aider moi aussi. Mais lorsque ces derniers ont découvert
que je ne faisais pas partie de leur clic, ils m’ont battu.
Le père de famille était gentil, il m’a donné de l’argent,
de quoi me permettre de retourner le lendemain pour
m’inscrire à la faculté. Mais cet incident m’a beaucoup
affecté ». Dès lors, un sentiment de non-appartenance
commence à naître dans le cœur de ce jeune homme. Partir
ailleurs ne signifiait donc pas dépasser les frontières de
la ruelle, mais plutôt celles du pays. Sa mère lui a
d’ailleurs caché la lettre d’admission à la faculté, parce
qu’elle ne pouvait pas lui donner les moyens de ses études.
« Je l’ai découvert des mois plus tard, par pure coïncidence.
Moi, qui avais pensé être refusé par la faculté. C’est là
que j’ai annoncé à ma mère et mes frères et sœurs mon
intention de partir pour les Etats-Unis ». Mais il était
difficile pour la famille, et Badreya lui-même, de saisir
cette idée de quitter la ruelle à destination des Etats-Unis.
« Ce sont mes frères et sœurs qui ont convaincu ma mère.
Elle n’a pas voulu être un obstacle à mon rêve »,
raconte-t-il, ému, se souvenant des yeux larmoyants de sa
mère le jour de son départ. « J’ai dû travailler dans le
trafic des parfums et des produits pour économiser une somme
me permettant de m’installer aux Etats-Unis. J’ai choisi,
comme première destination, Boston qui n’était pas à
l’époque habitée par les Egyptiens : j’ai voulu tout fuir et
recommencer une nouvelle vie avec d’autres hommes, d’autres
cultures. J’y suis arrivé ne parlant que deux mots d’anglais
: me Egyptian (moi, Egyptien). C’est pourquoi j’ai commencé
par prendre des cours d’anglais », précise-t-il. Il avoue
avoir rapidement apprivoisé « ce nouveau monde » sans être
obligé d’escalader des murs.
Il s’est
inscrit ensuite à la New York Film School pour y étudier la
mise en scène. « Mes collègues m’ont souvent choisi pour
interpréter des rôles dans leurs projets de films, ce qui
m’a ouvert les portes de l’interprétation ». Aujourd’hui,
Sayed Badreya est réputé pour l’interprétation du personnage
du vilain arabe, comme dans Three Kings, Soul Plane, The
Insider, T for Terrorist, Iron Man et d’autres. Il n’a
jamais regretté d’avoir fait plusieurs rôles de terroristes
arabes. « Je n’ai jamais joué de personnage qui n’existait
pas. Dans le cinéma égyptien, Adel Imam a joué le rôle d’un
musulman fondamentaliste et son fils a joué le même rôle
dans L’immeuble Yacoubian ; cela ne fait pas d’eux des
terroristes. En plus, ce genre de stéréotype se trouve
partout dans le monde ». De plus, Badreya jouait ce genre de
rôles qui étaient autrefois mal interprétés par des
Espagnols vu leur physionomie. Il a également le mérite
d’introduire des mots en arabe qui étaient autrefois une
sorte de balbutiements incompréhensibles. Quant aux
incidents du 11 septembre 2001, ils n’ont pas eu d’effets
négatifs sur sa carrière. « Par contre, les Américains sont
devenus plus curieux de découvrir notre culture et fouiller
dans l’islam », affirme-t-il. Badreya n’hésite pas à réagir
avec d’autres Américains d’origine arabe pour affronter
certaines idées reçues sur les Arabes et les musulmans : le
film American-East en est le résultat. Un film qu’il avait
écrit avec le réalisateur égypto-américain Hicham Essawi et
qui a connu un grand succès lors de sa première, au Hamptons
film festival en octobre 2007. « J’ai joué un premier rôle
principal après plusieurs rôles secondaires pendant des
années », explique-t-il, satisfait de l’expérience. Badreya
se souvient encore des réactions des spectateurs : « Un film
merveilleux, un scénario qui nous a transposés dans un temps
et un espace uniques ». L’histoire tourne autour d’un
immigrant musulman, Moustapha, propriétaire d’un café, et
qui rêve de fonder un grand restaurant, offrant une cuisine
du Moyen-Orient, avec son ami Sam, un juif (interprété par
Tony Shalhoub). Malgré leur amitié solide, leur affaire
affronte divers problèmes en raison de leur entourage.
Sayed
Badreya est aujourd’hui en position de choisir ce qu’il veut
faire. Le voilà par exemple refuser, par téléphone, de
prêter sa voix pour une narration. Il a également refusé un
rôle dans Body of Lies de Ridley Scott avec Leonardo
Dicaprio et Russell Crow. « J’ai eu l’impression que le film
cherchait à confirmer l’opinion du président Bush selon
laquelle si tu n’es pas de notre côté, alors tu es avec
l’ennemi : les bons Arabes sont ceux qui aident les
Américains alors que les méchants sont ceux qui militent
pour leur vie ».
Résidant
dans le quartier chic de Santa Monica à l’ouest de Los
Angeles, Sayed Badreya ne rompt pas avec ses racines. Il
organise un atelier de films le mois prochain à Port-Saïd. «
Nous allons traiter tous les sujets qui sont en rapport avec
l’industrie cinématographique, y compris la production, le
marketing, l’écriture de scénario, etc. Cela, en travaillant
essentiellement sur trois genres de films : documentaire,
court et long métrage. L’objectif est de bâtir des ponts
entre les deux côtés égyptien et américain ». En 2002, il a
réalisé un documentaire, Saving Egyptian Films Classics
qu’il avait écrit avec Hicham Essawi sur la restauration des
films égyptiens classiques qui sont dans un état lamentable.
Ce film a été le noyau d’un projet qu’il a souhaité réaliser
en Egypte. Mais le sujet a été refusé par les responsables.
Sayed Badreya a encore beaucoup de choses en tête, et il
bataillera pour les concrétiser. Il est toujours habité par
le rêve de fonder une école pour les pauvres orphelins de
Port-Saïd. « Je voudrais leur apprendre à rêver et à militer
pour réaliser leur rêve », déclare-t-il.
Lamiaa Al-Sadaty