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 Semaine du 20 au 26 janvier 2010, numéro 802

 

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De Port-Saïd à Hollywood, la route n’est pas évidente. Mais Sayed Badreya a tracé son chemin : il est devenu comédien et producteur, réputé pour ses rôles de vilain arabe dans les productions américaines. En février, il organise un atelier de cinéma dans sa ville natale.

Vivre comme sur la toile

Le rêve américain ? Le mythe de l’Eldorado ? Tout le monde en a entendu parler. Lui, il l’a vécu. Oui. Sayed Badreya est l’une des figures familières des films américains. Cela, pour ses rôles secondaires où il est le prototype même du vilain Arabe. Son allure pesante et son accent rocailleux en anglais l’ont peut-être enfermé dans ce genre de rôle. Il en est satisfait. Pourquoi pas ? N’a-t-il pas envahi la citadelle hollywoodienne ? « C’est héroïque de faire une petite scène dans un film américain », souligne-t-il fièrement. Le mot héroïsme est pour lui comme un leitmotiv. Peut-être parce qu’il est né à Port-Saïd et a vécu les moments les plus durs de la guerre. « J’ai hérité de l’amour de ma ville jusqu’au fanatisme. C’est dans cette ville que j’ai appris dès l’enfance le sens du défi et de la volonté ».

Enfant, le cinéma n’était pour lui qu’un abri auquel il avait recours durant les raids aériens. Ainsi semble-t-il découvrir un monde féerique, surtout avec un Spartacus de Stanley Kubrick ou un Western interprété par John Wayne. Séduit, Badreya a voulu faire partie de ce monde. « Un jour, vous allez me voir jouer des rôles sur cet écran », a-t-il très souvent répété à ses collègues et amis qui s’en moquaient.

Né dans l’une des ruelles de Port-Saïd, au sein d’une famille de 13 enfants, Sayed Badreya, ayant déjà perdu son père, a connu le sens de la pauvreté et de la misère. « Je me rappelais encore les jours de la fête pendant lesquels les enfants portaient de nouveaux vêtements de toutes les couleurs alors que mes chaussures étaient sans semelles », raconte-t-il sur un ton nostalgique malgré tout. Il a toujours eu la volonté d’être différent, refusé d’être dévoré par la carence. « Les enfants de notre ruelle étaient noyés dans la drogue. Ma mère en était très consciente. Elle cherchait toujours à nous protéger et nous incitait à sortir de cette ruelle », dit-il.

Réussir à l’école n’était pas suffisant. Son objectif était toujours d’être parmi les plus remarquables. Une raison pour laquelle ses camarades essayaient de se rapprocher de lui, pour s’en faire un ami. « Mes amis appartenaient tous à la classe aisée. Mon seul problème c’était alors de pouvoir grimper les murs pour les rejoindre au club. C’était le prix de la pauvreté », explique-t-il en riant. Pour lui, être pauvre ou différent en Egypte exige de savoir bien grimper les murs. Alors qu’aux Etats-Unis, il y a toujours une porte à ouvrir. Mais il faut d’abord la chercher. N’est-il pas curieux que cet artiste, qui a joué dans de nombreux films avec des supers stars comme Al Pacino, George Clooney, ou Mat Damon, et qui a assisté des réalisateurs comme James Cameron et Anthony Perkins, ne figure pas sur le grand écran égyptien ? « C’est parce que je ne fais pas partie de la bande. J’avais beaucoup de projets de cinéma que j’aurais aimé faire en Egypte et que j’avais présentés à plusieurs producteurs. Mais il semble que mon système de travail est différent du leur », souligne-t-il avec amertume. Les murs sont toujours là, dirait-on.

Sans doute le mur le plus élevé était celui de la ruelle. Il le séparait du reste du monde. Puis, son diplôme technique avec distinction en poche, il prend le train à destination du Caire pour s’inscrire à la faculté d’ingénierie. « Je n’avais qu’un billet aller retour et un sandwich. Alors, j’ai marché de la gare jusqu’à Guiza. Mais le fonctionnaire m’a demandé de revenir le lendemain. J’ai quitté l’université sans avoir de destination précise ; je ne connaissais personne au Caire et, en plus, je n’avais pas d’argent. En traversant le pont d’Al-Gamaa, en face de l’université, je me suis retrouvé dans le quartier d’Al-Manial. J’ai vu une famille en train de déménager, avec l’aide de quelques portiers du coin, alors j’ai décidé de les aider moi aussi. Mais lorsque ces derniers ont découvert que je ne faisais pas partie de leur clic, ils m’ont battu. Le père de famille était gentil, il m’a donné de l’argent, de quoi me permettre de retourner le lendemain pour m’inscrire à la faculté. Mais cet incident m’a beaucoup affecté ». Dès lors, un sentiment de non-appartenance commence à naître dans le cœur de ce jeune homme. Partir ailleurs ne signifiait donc pas dépasser les frontières de la ruelle, mais plutôt celles du pays. Sa mère lui a d’ailleurs caché la lettre d’admission à la faculté, parce qu’elle ne pouvait pas lui donner les moyens de ses études. « Je l’ai découvert des mois plus tard, par pure coïncidence. Moi, qui avais pensé être refusé par la faculté. C’est là que j’ai annoncé à ma mère et mes frères et sœurs mon intention de partir pour les Etats-Unis ». Mais il était difficile pour la famille, et Badreya lui-même, de saisir cette idée de quitter la ruelle à destination des Etats-Unis. « Ce sont mes frères et sœurs qui ont convaincu ma mère. Elle n’a pas voulu être un obstacle à mon rêve », raconte-t-il, ému, se souvenant des yeux larmoyants de sa mère le jour de son départ. « J’ai dû travailler dans le trafic des parfums et des produits pour économiser une somme me permettant de m’installer aux Etats-Unis. J’ai choisi, comme première destination, Boston qui n’était pas à l’époque habitée par les Egyptiens : j’ai voulu tout fuir et recommencer une nouvelle vie avec d’autres hommes, d’autres cultures. J’y suis arrivé ne parlant que deux mots d’anglais : me Egyptian (moi, Egyptien). C’est pourquoi j’ai commencé par prendre des cours d’anglais », précise-t-il. Il avoue avoir rapidement apprivoisé « ce nouveau monde » sans être obligé d’escalader des murs.

Il s’est inscrit ensuite à la New York Film School pour y étudier la mise en scène. « Mes collègues m’ont souvent choisi pour interpréter des rôles dans leurs projets de films, ce qui m’a ouvert les portes de l’interprétation ». Aujourd’hui, Sayed Badreya est réputé pour l’interprétation du personnage du vilain arabe, comme dans Three Kings, Soul Plane, The Insider, T for Terrorist, Iron Man et d’autres. Il n’a jamais regretté d’avoir fait plusieurs rôles de terroristes arabes. « Je n’ai jamais joué de personnage qui n’existait pas. Dans le cinéma égyptien, Adel Imam a joué le rôle d’un musulman fondamentaliste et son fils a joué le même rôle dans L’immeuble Yacoubian ; cela ne fait pas d’eux des terroristes. En plus, ce genre de stéréotype se trouve partout dans le monde ». De plus, Badreya jouait ce genre de rôles qui étaient autrefois mal interprétés par des Espagnols vu leur physionomie. Il a également le mérite d’introduire des mots en arabe qui étaient autrefois une sorte de balbutiements incompréhensibles. Quant aux incidents du 11 septembre 2001, ils n’ont pas eu d’effets négatifs sur sa carrière. « Par contre, les Américains sont devenus plus curieux de découvrir notre culture et fouiller dans l’islam », affirme-t-il. Badreya n’hésite pas à réagir avec d’autres Américains d’origine arabe pour affronter certaines idées reçues sur les Arabes et les musulmans : le film American-East en est le résultat. Un film qu’il avait écrit avec le réalisateur égypto-américain Hicham Essawi et qui a connu un grand succès lors de sa première, au Hamptons film festival en octobre 2007. « J’ai joué un premier rôle principal après plusieurs rôles secondaires pendant des années », explique-t-il, satisfait de l’expérience. Badreya se souvient encore des réactions des spectateurs : « Un film merveilleux, un scénario qui nous a transposés dans un temps et un espace uniques ». L’histoire tourne autour d’un immigrant musulman, Moustapha, propriétaire d’un café, et qui rêve de fonder un grand restaurant, offrant une cuisine du Moyen-Orient, avec son ami Sam, un juif (interprété par Tony Shalhoub). Malgré leur amitié solide, leur affaire affronte divers problèmes en raison de leur entourage.

Sayed Badreya est aujourd’hui en position de choisir ce qu’il veut faire. Le voilà par exemple refuser, par téléphone, de prêter sa voix pour une narration. Il a également refusé un rôle dans Body of Lies de Ridley Scott avec Leonardo Dicaprio et Russell Crow. « J’ai eu l’impression que le film cherchait à confirmer l’opinion du président Bush selon laquelle si tu n’es pas de notre côté, alors tu es avec l’ennemi : les bons Arabes sont ceux qui aident les Américains alors que les méchants sont ceux qui militent pour leur vie ».

Résidant dans le quartier chic de Santa Monica à l’ouest de Los Angeles, Sayed Badreya ne rompt pas avec ses racines. Il organise un atelier de films le mois prochain à Port-Saïd. « Nous allons traiter tous les sujets qui sont en rapport avec l’industrie cinématographique, y compris la production, le marketing, l’écriture de scénario, etc. Cela, en travaillant essentiellement sur trois genres de films : documentaire, court et long métrage. L’objectif est de bâtir des ponts entre les deux côtés égyptien et américain ». En 2002, il a réalisé un documentaire, Saving Egyptian Films Classics qu’il avait écrit avec Hicham Essawi sur la restauration des films égyptiens classiques qui sont dans un état lamentable. Ce film a été le noyau d’un projet qu’il a souhaité réaliser en Egypte. Mais le sujet a été refusé par les responsables. Sayed Badreya a encore beaucoup de choses en tête, et il bataillera pour les concrétiser. Il est toujours habité par le rêve de fonder une école pour les pauvres orphelins de Port-Saïd. « Je voudrais leur apprendre à rêver et à militer pour réaliser leur rêve », déclare-t-il.

Lamiaa Al-Sadaty

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Jalons

1958 : Naissance à Port-Saïd.

1986 : Diplôme de la New York Film School.

1996 : Independance Day de Roland Emmerich, dans le rôle d’un pilote arabe.

2003 : Prix du meilleur film au Festival international du film de Boston pour T for Terrorist de Hicham Essawi et produit par Sayed Badreya.

2007 : American East de Hicham Essawi dans le rôle de Moustapha Marzouq.

2008 : Iron Man, dans le rôle de Abou-Bakar.

2010 : The Space Between de Travis Fine.

21-27 février 2010 : Atelier de films, en coopération avec la Bibliothèque Moubarak à Port-Saïd.

 

 

 




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