Papyrus de maximes et de sagesses
Mohamed Salmawy
Le grand poète
britannique Rudyard Kipling (1865-1936, prix Nobel de littérature) avait rédigé
en 1907 son célèbre poème intitulé If ou « Si ». Ce poème comporte tous les
principes et les bases sur lesquels a reposé l’école britannique pour
l’éducation et l’enseignement à l’âge d’or de l’Empire britannique.
Kipling
s’était adressé à son fils, ayant atteint la puberté, sous forme de conseils,
estimant qu’au cas où ces préceptes seraient appliqués, il atteindrait les plus
hauts grades de son vivant.
La
littérature égyptienne ancienne comprend également un grand nombre de papyrus
qui nous ont été légués et que je tiens à consulter lors de mes visites dans
les musées à travers le monde. L’un des plus connus est bien sûr celui du Livre
des morts, bien que son nom égyptien littéral soit « Livre de la sortie du jour
» et dont la longueur atteint plus de 20 mètres. J’ai pu dernièrement en
consulter une copie au musée de
Mais
loin du Livre des morts, il y a les épopées d’amour, d’héroïsme et les légendes
des dieux, qui ont tous été écrites d’une très belle manière littéraire et dont
la plupart n’ont pas été traduites, jusqu’à nos jours, dans la langue de
l’Egypte moderne, c’est-à-dire l’arabe.
Les
textes sapientiaux et les maximes des anciens ne sont pas absents de la
littérature égyptienne ancienne, comme ce que Kipling a présenté dans son
célèbre poème. Certains d’entre eux sont inscrits sur les papyrus alors que
d’autres ont été gravés sur les bas-reliefs des tombes.
Le
vizir Ptahhotep, avançant en âge, avait déclaré dans son papyrus dont la date
remonte au XXVIe siècle avant J.-C. : « Que mon fils occupe ma place pour que
je puisse lui redire les conseils de nos ancêtres ayant vécu aux temps anciens
». Ce type de littérature qui a pris la forme de poèmes et de récits comportant
des conseils était abondant dans
l’histoire de l’Egypte ancienne. Il incarnait le patrimoine spirituel de
l’Egypte et le préservait pour les générations ultérieures. Dans l’Ancien
Empire qui a duré plus de 500 ans, de 2686 à 2181 av. J.-C., nous trouvons les
conseils et les maximes du vizir Ptahhotep, ainsi que ceux d’un autre ministre,
Kaguéméni, aux environs de 2301 avant J.-C.
Quant
au Nouvel Empire (de 1069 à 1550 av. J.-C.), nous retrouvons les préceptes du
scribe Ani (environ 1500 av. J.-C.), ainsi que ceux du scribe Aménémopé
(environ 1300 av. J.-C.). Nous trouvons dans les époques ultérieures le papyrus Insinger, rédigé en
démotique et les maximes du grand prêtre Bidi Azir au IVe siècle av. J.-C.
ainsi que les conseils de Ankh Chéchonq, qui ne faisait pas partie de l’élite
qui enseignait ses expériences, ce qui lui a valu d’accéder aux plus hauts
postes.
Bien
au contraire, son auteur était plus proche des paysans. Il ressentait leurs
maux et leurs douleurs et avait été mis en prison après avoir été accusé de
complot contre le roi. Ankh Chéchonq s’est alors adressé à son fils, lui
écrivant à partir de sa cellule. Il a alors légué au patrimoine humain une
expérience populaire d’une grande richesse. L’une des ses célèbres maximes
affirmait qu’« une grande fortune de respect équivaut au Nil au moment de sa
crue ». Les écrits de Ankh ont été caractérisés par une grande dose de sarcasme
et ont abordé également les sphères de sa vie privée en parlant de
quelques-unes des épouses. « Elle est la femme pour l’homme la nuit, et au
matin, elle est sa dame ».
Quant
au scribe Ani, il affirme : « Si vous connaissez les textes écrits, les gens
feront tout ce que vous dites. Etudiez les livres et apprenez-les par cœur.
Sachez que le seul souverain et maître du scribe est son métier ». Ces conseils
ont pour la plupart des aspects de la personnalité humaine. Nous le voyons
alors dire : « Cultivez un jardin, choisissez un terrain en dehors des
superficies cultivées et plantez-y vos arbres qui deviendront votre refuge et
qui empliront vos mains de toutes sortes de fruits ». Un conseil qui n’est pas
dénué de signification symbolique.
Au
niveau des relations affectives, Ani dit : « Observe-la avec tes yeux en
silence pour découvrir ses bonnes qualités, et quel sera ton bonheur en mettant
ta main dans la sienne ! ». A propos de la mère, il déclare : « Evite toute
situation qui t’entraînerait le blâme de ta mère, afin qu’elle ne lève pas sa
main vers le créateur, qui entendrait ses cris ».
Quant
aux conseils d’Aménémopé, ils ont été essentiellement tournés vers la relation
de l’homme avec son créateur. Il dit alors à cet égard : « L’homme a été créé à
partir de terre et de paille, et son créateur c’est Dieu. Tu ne connais pas la
volonté de Dieu. Remets-toi totalement à Lui et n’aie de crainte pour demain ».
« N’accepte pas un cadeau d’un homme puissant, car tu priverais ton âme faible
du respect qui est ton droit ». « Le droit et la justice sont des dons de Dieu
». « Sauve le nécessiteux de ce qui perturbe sa vie ». « Si un pauvre te doit
une grande somme, divise-la en trois parts. Oublie-en deux et souviens-toi de
la troisième. Tu découvriras que c’est en cela que réside le sens de la vie. La
louange et l’amour des gens valent beaucoup plus qua la fortune. Le pain dont
se nourrit l’homme et un cœur heureux valent mieux qu’un homme qui trouve son
plaisir dans une fortune en solitaire ». « Dieu préfère celui qui est bienséant
à l’égard d’un pauvre plus que celui qui honore un riche ».
Si
le papyrus de Ptahhotep qui se focalise autour des conseils relatifs à la vie
publique est le plus célèbre dans les littératures de sagesses et de conseils
anciens, le poème de Kipling a pour objectif également les conseils moraux.
Parmi
les conseils adressés par Ptahhotep à son fils, nous avons celui dans lequel il
dit : « Si ton cœur est dur, freine-le. L’homme calme dépasse tous les
obstacles et s’éloigne de tout excès ». Il dit également : « La science et le
savoir sont un don pour celui qui leur prête oreille et une malédiction pour
celui qui s’en éloigne ». Il dit également : « La vérité est d’une grande
valeur et elle est éternelle. L’homme qui y parvient en suivant les conseils
des prédécesseurs pourrait dire : telle est la richesse que m’a léguée mon père
».
Au
niveau social, Ptahhotep dit : « Si tu laboures et Dieu te donne une récolte
suffisante dans ton champ, ne remplis pas ta bouche sans penser aux autres ».
Il déclare au même titre : « N’enracine pas la peur dans les âmes humaines,
telle est la volonté de Dieu. Celui qui recours à la violence, Dieu lui arrache
le pain de la bouche. Et s’il le fait par la force de l’argent, Dieu lui dira :
je te priverai de cette richesse. Fais en sorte que les gens vivent en paix.
Ils t’accorderont ce que tu veux de bon gré ».
Les
papyrus égyptiens anciens ne sont pas exempts d’humour et d’ironie, surtout
lorsqu’il s’agit du thème de la femme, un trait caractéristique que l’on ne
trouve pas chez Kipling. Dans le papyrus Insinger, nous pouvons lire : «
L’individu ne connaît rien du cœur de la femme, comme il ne connaît rien du
ciel ». Ptahhotep dit avec sarcasme à son fils : « Où que tu vas, évite de
t’approcher des femmes. Là où elles se trouvent, rien de bien n’arrive. Les
hommes s’égarent à cause d’elles. Il suffit d’un moment d’extase qui passe
comme un rêve, et ensuite la mort advient ».
Cependant,
il existe une partie dans le papyrus de Ptahhotep qui nous rappelle le célèbre
poème de Kipling. A tel point que celui qui lit le poème en anglais peut
s’imaginer que le papyrus dans sa traduction arabe n’est qu’une minutieuse
traduction du poème de Kipling.