Coptes
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Les
accusés dans l’affaire de Nag Hamadi ont été traduits devant
un tribunal d’urgence. Une première dans les affaires
confessionnelles.
Dissuasion rassurante
Les
trois accusés du meurtre des six coptes à Nag Hamadi, dans
le gouvernorat de Qéna en Haute-Egypte, ont été déférés
devant un tribunal de Sûreté de l’Etat.
Les accusés seront jugés
pour meurtre avec préméditation, mise en danger de la vie
d’autrui, atteinte aux intérêts de la nation et possession
d’arme. Ils risquent la peine capitale.
C’est pour la première
fois qu’une affaire de violence interconfessionnelle soit
transférée devant une cour d’exception. « C’est un message
qui vise à rassurer les coptes, une communauté qui se sent
marginalisée et victime de discrimination », estime Hafez
Abou-Saada, membre du Conseil national des droits de l’homme.
Il ajoute que cette décision est d’autant plus importante
qu’il n’y a jamais eu de peines dissuasives dans ce genre
d’affaires. Normalement, c’est la loi coutumière qui est
appliquée et les coptes se trouvent souvent obligés
d’accepter des règlements à l’amiable.
Le 6 janvier, réveillon
du Noël copte, les trois assaillants avaient ouvert le feu
sur des fidèles à leur sortie de la messe de minuit, à Nag
Hamadi, à quelque 700 km au sud du Caire. Sept personnes
sont tuées, six coptes et un policier musulman. L’attentat a
en outre fait une vingtaine de blessés coptes.
L’agression, inédite en
Egypte, a secoué la conscience populaire, mais si tout le
monde l’a condamnée d’une même voix, les motifs des
meurtriers ont donné lieu à des interprétations diverses.
Dans une première
réaction, les autorités ont nié le caractère confessionnel
de l’attaque. « Il ne s’agit pas de violence
intercommunautaire, les accusés n’ont pas d’appartenance
religieuse ou politique. Il s’agit plutôt d’un acte isolé de
vendetta », insiste le gouverneur de Qéna, Magdi Ayoub,
devant le Parlement. Il fait allusion à un incident de viol
d’une jeune musulmane de 12 ans commis par un chrétien dans
un village voisin, Farchout, en novembre 2009. Selon le
gouverneur, la tension est montée quand des jeunes coptes
ont commencé à échanger sur leurs téléphones portables des
photos de jeunes musulmanes dans des positions
compromettantes. La version officielle a été largement
reproduite par la presse progouvernementale. Pour la
majorité des coptes, dignitaires et fidèles, ainsi que pour
beaucoup d’activistes et de commentateurs, cette
interprétation ne suffit pas pour expliquer ce qui s’est
passé.
Justification
insuffisante
« Le traitement
médiatique est une insulte pour les coptes. Dire qu’un
incident de viol explique un tel massacre revient à
justifier le crime », se plaint Emad Gad, du Centre d’Etudes
Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
« Si l’attaque est une
riposte à un viol, elle se serait plutôt produite dans le
village, lieu du viol. Il ne s’agit pas d’un acte isolé
comme on aime à répéter », affirme la députée copte
Georgette Qéllini, membre d’une commission d’enquête
dépêchée par le Conseil national des droits de l’homme. Elle
accuse les responsables gouvernementaux de vouloir embellir
la situation. « Les incidents dissimulent d’autres raisons
politiques et religieuses, ainsi qu’une défaillance des
mesures sécuritaires », ajoute Qéllini.
Sur le terrain, des
affrontements ont eu lieu entre des citoyens mécontents et
les forces de l’ordre à Nag Hamadi au lendemain de
l’attentat et des arrestations ont eu lieu parmi les deux
communautés. Au Caire, plusieurs milliers de coptes ont
manifesté au Patriarcat copte orthodoxe d’Abbassiya, siège
du patriarche. Les manifestants ont crié des slogans
antigouvernementaux demandant la démission du ministre de
l’Intérieur, du gouverneur de Qéna et du responsable de la
sécurité dans ce gouvernorat, qui n’ont pas réussi à
protéger leurs coreligionnaires. Les manifestants ont aussi
réclamé une enquête internationale pour identifier « le
commanditaire ».
Les enquêtes n’ont pas
dévoilé, jusqu’ici, un commanditaire qui aurait « utilisé »
les criminels bien que plusieurs analystes aient du mal à
admettre que ces trois personnes ont agi seules. En fait,
plusieurs habitants de Nag Hamadi ont montré du doigt le
député du Parti National Démocrate (PND, au pouvoir),
Abdel-Réhim Al-Ghoul. Celui-ci est connu pour ses relations
avec le principal inculpé, Hammam Al-Kammouny. Ce dernier
aurait dirigé la campagne électorale d’Al-Ghoul lors des
élections législatives de 2005. Les différends qui existent
entre l’évêque de Nag Hamadi, Amba Kyrillos, et le député
Al-Ghoul auraient pu avoir poussé ce dernier à se venger,
utilisant son homme de main.
Al-Ghoul a rejeté ces
accusations, en soulignant n’avoir jamais eu recours à des
hommes de main dans ses campagnes électorales, car il n’a
pas besoin d’eux. « Je défie quiconque peut prouver que je
suis impliqué dans cet attentat », a-t-il lancé.
En tout état de cause,
même si les enquêtes n’ont pas mis la main sur un
hypothétique agitateur, le seul fait d’appliquer la loi
d’urgence dans un attentat interconfessionnel est
susceptible, selon les observateurs, de calmer les coptes.
Ceux-ci n’ont pas oublié qu’aucun agresseur n’a été inculpé
par la justice lors des affrontements d’Al-Kocheh à Sohag,
le 31 décembre 1999, et qui se sont soldés par une vingtaine
de morts. Aujourd’hui, les agresseurs savent qu’ils ne
jouissent plus de l’impunité classique.
Chérif Albert
Héba Nasreddine