Al-Ahram Hebdo, Visages | Ehab Lotayef, Le défenseur des causes nobles
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 13 au 19 janvier 2010, numéro 801

 

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Egypto-canadien, Ehab Lotayef est l’un des organisateurs de la marche de libération de Gaza (Gaza Freedom March). Un homme pour qui l’émigration était une occasion pour renouer des liens avec son être et le monde.

Le défenseur des causes nobles

Emigrer n’était pas partir ailleurs à la recherche d’un paradis perdu. C’était plutôt partir en dedans de soi ; entamer une quête d’un soi accompli : une recherche du motif principal de la vie. Il ne s’agissait pourtant pas d’une quête identitaire. Ehab Lotayef n’avait pas besoin de se découvrir, il savait bien ce qu’il voulait faire : battre en brèche certaines idées reçues et certaines contraintes sociales. En un mot : être soi-même. N’est-ce pas l’un des droits de l’homme ?

Ehab Lotayef devient l’une des figures emblématiques de l’activisme. Il appartient à ce genre d’hommes qui aiment la vie. Poète, écrivain et avant tout ingénieur en informatique, il était tout le temps conscient du fait que la vie ne doit pas être limitée à certaines formes. Une raison pour laquelle il n’était pas satisfait d’avoir un travail prestigieux dans une multinationale de services pétroliers, ou d’avoir une famille comme le commun des mortels. « Ce qui m’avait tout le temps agacé c’était de vivre dans une société qui ne vous permet pas de faire plusieurs choix. La vie devait toujours être partagée entre le travail et la famille, on est toujours obligé de choisir d’être à droite ou à gauche ».

Lotayef pensait toujours que l’homme est né pour d’autres objectifs : l’interaction sociale. Toutefois, ce quinquagénaire était incapable de se lancer dans une interaction quelconque dès son âge le plus tendre. « Je suis un ancien étudiant de l’English School à Héliopolis, une école connue à l’époque comme celle des enfants issus de familles aisées. Je vivais donc isolé de la vraie société égyptienne. C’est pour cela, une fois le baccalauréat en poche, j’ai refusé de m’inscrire à l’Université américaine réputée aussi pour être celle de l’élite. J’étais toujours tourmenté par le désir de découvrir l’autre, de bâtir des rapports humains avec tout le monde. J’ai refusé l’isolement et j’ai insisté pour m’inscrire à l’Université de Aïn-Chams, faculté d’ingénierie ». Or, de nouveau, la situation n’était pas favorable pour lui. « Je suis entré à l’université au moment où elle était dirigée par les communistes, et je l’ai quittée au moment où elle était dominée par les islamistes ». L’isolement était donc son abri.

Quelques années plus tard, son travail dans une entreprise multinationale de services pétroliers lui a permis de faire le tour du monde. Il a décidé de s’installer au Caire pour lancer son propre business, soit un projet d’informatique. « J’avais fait des interviews pour choisir le personnel. Une expérience qui m’a appris beaucoup de choses sur le plan humain. Il y a des gens qui voulaient être productifs mais la société ne leur permettait pas », souligne-t-il avec amertume. « Je me suis trouvé dans une situation critique, contraint de choisir ceux qui ont obtenu un enseignement de qualité et d’écarter les autres vu leur niveau médiocre. Pourtant, ces derniers étaient peut-être plus enthousiastes, mais n’ont pas eu la chance d’avoir une bonne instruction faute de moyens. Il ne faut pas oublier que les années 1980 ont vu s’affirmer un capitalisme atroce », ajoute-t-il.

Franchir d’autres seuils et briser les entraves qu’on essaye de lui imposer étaient alors sa préoccupation. Il n’avait qu’un choix : le Canada. « C’était un choix basé sur des principes : la politique canadienne était basée à l’époque sur le maintien de la paix. Et, en plus, la société québécoise, dans laquelle je me suis installé, est connue pour son ouverture et son progressisme au niveau des droits de l’homme ». D’ailleurs, ce mot magique pourrait-il anéantir le fossé culturel existant entre le Nord et le Sud ? L’Orient et l’Occident ? « Tout a changé après le 11 septembre 2001. Avoir une peau de couleur foncée signifie que vous êtes différents, mais se présenter en tant que musulman prédit pour d’aucuns que vous êtes hostiles aux valeurs occidentales », souligne-t-il sur un ton triste. Ainsi s’empresse-t-il d’afficher son soutien à « tous ceux qui le méritent ». Le principe des droits de l’homme implique une égalité entre les hommes indépendamment de leur race ou de leur religion. Et, Lotayef en est un fort croyant. En 2005, il n’a pas hésité à se rendre en Iraq pour soutenir et sauver quatre membres de l’organisation Christians Peace Maker Teams : deux Canadiens, un Anglais et un Américain. Ces derniers ont été détenus en Iraq et menacés d’exécution. Et, suite à des contacts élaborés avec quelques membres du Parlement canadien, trois ont été libérés après trois mois, le quatrième (l’Américain) fut malheureusement assassiné. « Si je choisis de défendre une catégorie donnée d’hommes, cela signifiera que j’entreprends un travail élitiste, ce qui est injuste ». C’est injuste également, selon lui, de se replier sur soi-même et de vivre isolé de l’Autre. Ainsi était-il choqué du comportement de nombreux musulmans émigrés vivant en ghetto au cœur de la société québécoise. « Ils peuvent être au courant de tout ce qui se passe à Beyrouth et n’ont aucune idée d’un événement important qui a lieu dans leur ville. Ils agissent de la sorte sous prétexte d’avoir peur de cette culture différente ou de cette société occidentale ». Pour ce, il n’hésite pas à aborder dans ses poèmes le thème de l’isolement dans lequel vivent les Arabes.

Il n’était pas question pour lui de s’enfermer. Il a fréquenté, à son arrivée au Québec, une organisation de musulmans en vue de découvrir le monde des émigrés. « Durant cette période, j’ai fait la connaissance des membres d’une organisation établie pour soutenir les Palestiniens. Et j’étais très ému lorsque j’ai découvert que la plupart de ceux qui soutiennent la cause palestinienne sont des étrangers. Or, les Arabes doivent avoir un rôle beaucoup plus efficace et positif ». Partant de cette perspective, Lotayef s’est lancé corps et âme dans le militantisme. Il a participé à une exposition organisée à Montréal en vue d’instaurer un dialogue entre les musulmans et les juifs. « Beaucoup d’amis m’ont conseillé de ne pas y prendre part en m’avertissant qu’un acte pareil pourrait être mal envisagé. Or, je ne craignais rien. J’y avais participé avec des photographies que j’avais prises à Gaza. Et j’y avais fait la connaissance d’une artiste juive américaine qui avait participé à l’exposition avec des poteries, et on s’est marié ». Rien n’a changé avec ce mariage qui pourrait être choquant pour d’aucuns, ne distinguant pas entre judaïsme et sionisme. Il n’a rompu aucun lien avec tout ce qui est en rapport avec son identité arabe. « Je jeûne pendant le mois du Ramadan et elle jeûne Yom Kippour. On se respecte et on croit vivement à la nécessité d’élaborer un équilibre entre vie et religion ».

Sa femme l’encourage et ne s’oppose guère à ses déplacements risqués à Bagdad ou à Gaza. Lotayef, quant à lui, tient à ses principes. « Il y a du beau et du laid partout, mais c’est le rôle de l’homme de transformer le laid à travers le beau ». L’activisme est-il alors la baguette magique ? Selon lui, c’est l’union des hommes autour d’une idée visant à changer une réalité amère. La marche de Gaza organisée le 31 décembre en était un vrai symbole. « Comment faire émerger de nouveau le problème du siège imposé à Gaza ? Une question qui nous a préoccupés il y a six mois. Des contacts ont eu lieu avec des activistes de par le monde. Nous avons décidé de faire une marche et nous avons lancé un site web en espérant réunir 500 participants. La surprise fut grande car nous étions obligés de suspendre la demande en raison de l’empressement incroyable des participants qui ont atteint les 1 300. Nous avons contacté le ministère égyptien des Affaires étrangères pour que toutes les procédures soient claires et légales », explique Lotayef, qui avoue être idéaliste au niveau de ses principes, mais aussi pragmatique au niveau de l’interaction sociale. Or, après avoir donné son approbation, le ministère déclare son refus. Et en plus, la réservation de la salle chez les Jésuites pour leur réunion a été annulée. « Nous étions placés dans une situation critique, surtout avec le grand nombre de participants qui n’ont pas cessé d’arriver au Caire. 1 300 individus se sont trouvés dans la rue. Nous avons envoyé une lettre au président Moubarak, et certaines participantes ont pu joindre le bureau de la première dame. Nous avons fait un sit-in devant le bureau des Nations-Unies. Enfin, le ministère des Affaires étrangères a accepté de faire entrer 100 personnes seulement. Nous avons accepté cette offre pour afficher une réussite symbolique ». Faire la liste n’était pas une tâche mince. « Nous avons décidé de choisir ceux qui n’ont jamais été à Gaza. Or, la déclaration du ministère aux médias nous a choqués : il a souligné avoir lui-même fait un choix de 100 personnes ! ». Une déclaration qui contient implicitement une certaine accusation à la marche. « C’est justement pour cela que nous avons refusé l’offre égyptienne ». La marche a réalisé toutefois un certain succès, surtout que les médias, partout dans le monde, en ont parlé. Lotayef est, malgré tout, optimiste. « Agir sur la conscience mondiale est le rôle du militant. Nous allons poursuivre notre chemin. Nous allons continuer à faire pression sur les missions diplomatiques qui ont rapport avec le siège de Gaza, à faire des grèves, à organiser des marches. La cause palestinienne va être un jour résolue ». Il est convaincu que la solution doit être prise du côté le plus fort : Israël. « Or, il faut toujours se rappeler que le pouvoir absolu n’existe pas, et que le changement est la loi de la vie », souligne Ehab Lotayef, pour qui la vie est une histoire d’engagement et surtout, de retrouvailles l

Lamiaa Al-Sadaty

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Jalons

12 août 1958 : Naissance au Caire.

1981 : Diplôme de la faculté d’ingénierie, de l’Université Aïn-Chams.

Août 1989 : Emigration au Canada.

1990 : Travail dans le domaine des droits de l’homme.

Mars 2010 : publication de son recueil de poèmes : « To love a Palestinian woman ».

 




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