Nigeria .
Privé de président pour des raisons médicales, le pays le
plus peuplé du continent est « en panne ». Plusieurs grands
dossiers sont ainsi en souffrance, au risque d’exacerber les
tensions.
Vide
politique
Pas
de président, hospitalisé à l’étranger depuis bientôt deux
mois, pas de budget, pas de réforme de l’industrie
pétrolière, pas de réforme électorale, pas d’électricité,
presque pas d’essence : 2010 commence mal pour le Nigeria,
mis à l’index par Washington après le récent attentat raté
contre un avion américain.
Le Nigeria est pour ainsi
dire sur la défensive ou l’expectative sur presque tous les
fronts. Au plan politique d’abord, la vie est suspendue à
l’état de santé, réel ou supposé, du président Umaru
Yar’Adua, 58 ans, hospitalisé depuis le 23 novembre en
Arabie saoudite. Le 26 novembre, sous la pression des médias,
le gouvernement avait annoncé qu’il souffrait d’une
péricardite aiguë (une affection du cœur), mais, depuis,
plus aucune information n’a été donnée et, à ce jour, les
Nigérians ne l’ont ni vu ni entendu depuis son départ en
catastrophe pour Jeddah, sur la mer Rouge, laissant le champ
libre à toutes les rumeurs.
Face au vide, la polémique
enfle et les appels à passer le flambeau au vice-président
Goodluck Jonathan se multiplient pour éviter une paralysie
totale. « L’Etat est quasiment à l’arrêt », estimait
récemment Femi Falana, influent avocat nigérian et président
de l’Association des Barreaux ouest-africains. Ce dernier a
déposé un recours en justice pour obtenir le transfert des
pouvoirs au vice-président. L’Association des avocats du
Nigeria (NBA) a fait de même. « Il n’y a pas d’Etat, pas
d’autorité », juge pour sa part un diplomate. « Les choses
n’ont jamais été aussi mauvaises pour les Nigérians et la
démocratie », estime un responsable du principal parti
d’opposition, Action Congress.
Tous les tabous politiques
sont en train de tomber. Ainsi, des voix s’élèvent pour
insinuer que, contrairement à la version officielle, le
président n’aurait pas signé lui-même le budget
supplémentaire 2009 sur son lit d’hôpital. Quant à la loi de
réforme du secteur pétrolier (PIB), en discussion depuis des
mois au Parlement et vitale pour les multinationales du
secteur, elle est repoussée aux calendes grecques. Au plan
économique toujours, l’objectif, pourtant modeste, claironné
d’une production de 6 000 mégawatts avant la fin de 2009, a
été reporté « peut-être en avril », selon le président de la
compagnie nationale d’électricité, et le pays vit au rythme
des pénuries d’essence.
La fin de l’année 2009 n’a
pas arrangé les choses : un jeune musulman nigérian a tenté
de faire sauter un avion de ligne américain à l’atterrissage
à Détroit, tandis que 70 personnes étaient tuées dans des
affrontements entre forces de l’ordre et islamistes dans la
ville de Bauchi (nord). L’acte du jeune Umar Farouk
Abdulmutallab contre le vol Amsterdam-Détroit a provoqué une
rare crise diplomatique entre le Nigeria et les Etats-Unis,
avec l’inscription du Nigeria sur une liste des voyageurs à
surveiller sur les vols vers les Etats-Unis. Déjà très vexé
par le choix du Ghana pour le premier voyage africain de
Barack Obama en juillet dernier, Abuja s’est cabré, a
convoqué l’ambassadrice américaine Renée Robin Sanders et a
exigé que Washington retire le Nigeria de sa liste. Le
gouvernement nigérian a estimé que la décision de
Washington, gros client pétrolier du pays africain, pouvait
« potentiellement nuire aux relations de longue date entre
les deux pays ».
Face à la montée des appels
au départ du président dans les médias et certains cercles
politiques, le gouvernement n’a cessé d’allumer des
contre-feux. Le conseil des ministres avait ainsi exclu tout
départ de la présidence d’Umaru Yar’Adua. « Le conseil, qui
a passé en revue tous les éléments, a estimé à l’unanimité
qu’il n’y avait pas de base pour invoquer l’article 144 de
la Constitution, le président n’ayant pas été jugé inapte à
assurer ses fonctions », indiquait récemment le gouvernement.
Selon les lois nigérianes, un chef d’Etat ne peut être
déclaré inapte à remplir ses fonctions que si une majorité
des deux tiers des ministres soutiennent cette position. La
résolution des ministres devra être soumise à une
vérification effectuée par un comité médical nommé par le
président du Sénat. Son rapport sera transmis au président
du Sénat et au président de la Chambre des représentants
avant que le président ne soit déclaré inapte à gouverner.
Autrement, le président devrait déclarer au Parlement son
incapacité à remplir ses fonctions, ouvrant ainsi la voie à
son remplacement par le vice-président. Troisième
personnalité de l’Etat, le président du Sénat, le général en
retraite David Mark a, de son côté, exclu de mettre sur pied
une commission pour juger de la capacité du président à
assumer ses fonctions. Depuis, une chape de plomb s’est
abattue sur le sujet, donnant libre cours aux spéculations
et calculs en prévision de « l’après Yar’Adua ». Avec en
ligne de mire l’élection présidentielle du printemps 2011.
Enjeu politique entre le Nord et le Sud
Au-delà de l’état de santé
du président, c’est le délicat équilibre entre le nord
musulman et le sud chrétien qui risque d’être en jeu dans
les mois à venir. Musulman du Nord et gouverneur de l’Etat
de Katsina, Umaru Yar’Adua, a succédé au chrétien Olusegun
Obasanjo qui est resté au pouvoir de 1999 à 2007. Obasanjo
souhaitait, au prix d’un « toilettage » de la Constitution
qui limite la présidence à deux quinquennats successifs,
obtenir un troisième mandat, mais il en a été empêché par le
Parlement et des pressions internationales. Il a donc rendu
le pouvoir au Nord musulman, mais en imposant le gouverneur
Yar’Adua, alors peu connu et à la mauvaise santé notoire.
Or, en cas de décès ou
d’incapacité, c’est l’actuel vice-président Goodluck
Jonathan, un chrétien du Sud, qui assurerait la fin du
mandat présidentiel jusqu’en avril 2011, aux termes de la
Constitution d’inspiration américaine. Une certitude est
qu’au Nord, on accepterait difficilement que le pouvoir
repasse au Sud pour trop longtemps. L’enjeu est de taille
dans une fragile fédération de 150 millions d’habitants qui,
en un demi-siècle d’histoire, a connu 8 coups d’Etat
militaires, près de 30 ans de régimes militaires et une
brutale guerre civile de 3 ans, le tout sur fond
d’incessantes rivalités ethniques et religieuses.
Hicham
Mourad