Professeur d’archéologie à la faculté de tourisme,
directrice générale pour la coopération internationale au
Conseil suprême des antiquités,
Gihane Zaki, qui vient d’être promue au grade du
chevalier de l’Ordre national du mérite de l’ambassade de
France, vit l’égyptologie comme une passion.
L’archéologie dans la peau
Cette
femme élégante aux longs cils bruns encadrant un regard vif
a découvert presqu’accidentellement l’archéologie en
intégrant la faculté de tourisme de Hélouan, son bac en
poche. « J’étais dans la branche scientifique au lycée et je
voulais étudier la pharmacie. Malheureusement, le
pourcentage que j’ai obtenu en 1983 au bac n’était pas
suffisant, et au grand désespoir de mes proches, je me suis
inscrite aux cours de la faculté de tourisme de Hélouan »,
souligne la chercheuse, un sourire discret se frayant un
passage sur ses joues. Cette faculté de formation des guides
dispensait à l’époque des cours sur les bases de
l’archéologie, de l’histoire médiévale et de l’Egypte
ancienne, afin d’assurer un bagage historique solide à ses
étudiants. « J’ai eu le déclic lors du premier cours
d’archéologie », se souvient Gihane, parlant de ce cours
comme d’une révélation. « Je me suis enfin sentie à ma
place, dans mon élément », ajoute la déléguée de Zahi Hawas,
le patron de l’archéologie égyptienne, à l’Unesco, qui
pendant 4 ans étudie avec passion et abnégation
l’archéologie, creusant un écart terrible avec les autres
étudiants de la section francophone de la faculté de
tourisme. « En 1988, j’ai été nommée assistante, et pendant
4 années j’ai enseigné l’histoire et l’archéologie en langue
française », se remémore Gihane Zaki, qui quitte l’Egypte en
1995 pour aller poursuivre son doctorat à Lyon, sous la
houlette du professeur Jean-Claude Goyon, professeur émérite
à l’Université de Lyon. « J’ai fait mon doctorat sur Assouan
à l’époque ptolémaïque et romaine », ajoute Gihane, qui
signe le début de son engagement dans la voie de la
recherche scientifique, domaine qu’elle ne quittera plus
après ce séjour français. La jeune femme, bien qu’ayant 8
années d’enseignement à l’Université de Hélouan et une thèse
de magistère derrière elle, décide de ravaler sa fierté et
de rejoindre le banc des étudiants jusqu’à sa soutenance de
thèse en 2000. « Mon jury était composé d’un aréopage de
grands noms de l’égyptologie française, italienne et
égyptienne, avec l’éminent Jean Yoyotte à sa tête »,
dit-elle, un éclair de fierté faisant rosir ses pommettes.
Son visage se referme subrepticement lorsqu’elle évoque son
retour en Egypte après ces 5 années passées à Lyon. « J’ai
réintégré mon poste de professeur à l’Université de Hélouan,
mais le retour au pays ne s’est pas fait sans heurts »,
précise la chercheuse, qui a le sentiment de se retrouver au
point de départ de sa carrière en dépit des ses avancées
majeures en égyptologie de recherche. « Heureusement, le
conseiller culturel de l’ambassade d’Egypte à Paris m’a
contactée peu de temps après mon retour au Caire pour me
proposer d’aller fouiller dans les archives lyonnaises à la
recherche des plans de certains ponts du Caire », poursuit
Gihane, les yeux brillants. Elle saute dans un avion, file
aux archives départementales, découvre les rouleaux des
plans en question et se souvient avec émotion de sa
fébrilité au moment de dérouler ces plans datant de près
d’un siècle. « J’ai l’impression de dérouler les bandelettes
d’une momie », avait-elle avoué à l’époque à Fathi Saleh, le
conseiller culturel qui lui avait confié sa première mission
dans le domaine de la coopération franco-égyptienne. En
2000, Fathi Saleh crée au Caire le Centre national de la
documentation du patrimoine naturel et culturel d’Egypte,
soit le premier centre semi-gouvernemental dépendant de la
Bibliothèque d’Alexandrie.
Tout en
conservant son poste de professeur à la faculté, Gihane Zaki
intègre l’équipe de chercheurs et de scientifiques de ce
premier centre de recherche axé sur le patrimoine égyptien.
En 2003, Gihane Zaki retourne à Lyon afin de rejoindre son
époux et de peaufiner sa thèse avant sa publication. Elle
est contactée peu de temps après par la région de l’Isère
qui organise à Grenoble un congrès international sur
l’égyptologie en 2004, et qui requiert son aide pour
l’encadrement de la délégation d’Egypte. « J’ai commencé à
passer ma vie dans les avions, et me rendais régulièrement à
Grenoble et au Caire, où était organisée une grande
exposition sur la cachette de Karnak dans le cadre de ce
congrès international », raconte Gihane, qui apprend les
ficelles des relations bilatérales, non sans douleur. « Je
me souviens de cette époque comme de la plus difficile de ma
vie », dit-elle de ses débuts en tant que trait d’union
entre deux cultures très différentes. « Les organisateurs du
congrès grenoblois ignoraient tout du fonctionnement de
l’Egypte et étaient furieux qu’alors que 10 personnes
étaient prévues, 52 constituent au final la délégation
égyptienne », raconte la jeune femme, que les subtilités
diplomatiques semblent enchanter. Elle précise toutefois que
ce congrès est celui qui a connu la participation la plus
massive d’égyptologues venus d’Egypte jusqu’aujourd’hui,
avec une délégation composée d’assistants et
d’universitaires. Mais ce n’est pas la présence massive
d’Egyptiens qui a gravé ce congrès dans la pierre, mais bien
le clash sans précédent qui a éclaté entre deux grands noms
de l’égyptologie internationale : le professeur Grimal et
Zahi Hawas. M. Grimal voulait obtenir l’autorisation de Zahi
Hawas pour œuvrer dans la grande pyramide et a dû faire face
à un « non » retentissant. « Le congrès se déroulait bien
jusqu’à l’incident très connu qui a eu lieu autour de la
chambre de la reine à la pyramide de Khéops », raconte
Gihane Zaki, au cœur des frictions bilatérales. « Zahi Hawas
a tonné que son statut d’égyptologue spécialiste des
pyramides et sa fonction de secrétaire général du Conseil
suprême des antiquités lui accordaient le droit de choisir
avec quelles équipes il souhaitait travailler dans les
pyramides », se souvient Gihane, qui se rappelle la fameuse
phrase de M. Hawas adressée indirectement à M. Grimal : « Si
je me présente en tant qu’égyptologue égyptien pour faire un
trou dans la cathédrale de Notre Dame à Paris en disant
qu’il y a un trésor datant de l’époque médiévale caché là,
allez-vous m’autoriser à le faire ? ». Le congrès, malgré
ses turbulences, a permis à Gihane Zaki de connaître la
personnalité la plus controversée de l’égyptologie moderne,
Zahi Hawas, qui l’a recontactée depuis Le Caire pour lui
proposer de rejoindre le département des relations
franco-égyptiennes du CSA la même année. « J’ai accepté de
rejoindre le CSA, après avoir obtenu l’aval de M. Hawas pour
conserver mon poste de professeur », explique Gihane, qui
intègre en 2004 le nouveau département du CSA consacré aux
relations internationales en tant que conseillère avant de
devenir directrice générale en 2006. Interrogée sur le
bien-fondé de la vaste entreprise de rapatriement des objets
volés au patrimoine égyptien antique menée depuis 5 ans par
Zahi Hawas, Gihane Zaki est partagée. « En tant
qu’Egyptienne, je comprends le combat mené par Zahi Hawas
car il veut ramener en Egypte des objets qui sont sortis
illégalement, profitant d’un vide législatif. Mais en tant
que responsable au sein du CSA, j’ai conscience que ces
objets font une publicité favorable pour l’Egypte et
permettent à des gens aux quatre coins du monde de goûter
aux merveilles de cette civilisation ». L’argument principal
avancé par les égyptologues occidentaux pour conserver leur
influence sur les fouilles consiste à dire qu’ils sont en
grande partie responsables de la sauvegarde des monuments et
objets de l’Egypte antique, les Egyptiens à la fin du XIXe
siècle et au début du XXe se désintéressant de leur
patrimoine. Gihane réplique, légèrement froissée : « Je fais
des recherches depuis deux ans sur l’apparente négligence
des Egyptiens vis-à-vis de leur patrimoine à travers les
époques. Et j’ai récemment trouvé un document datant du
XIIIe siècle qui décrit les larmes d’un géographe égyptien
devant le spectacle qu’offraient les ouvriers qui débitaient
les blocs des temples de Karnak nord avant de les envoyer au
Caire pour la construction de grands monuments ». Elle
ajoute que le fait que l’Egypte ait été sous occupation
étrangère presque tout au long de son histoire n’a pas
encouragé la préservation de son patrimoine historique.
C’est lors de la Révolution nassérienne de 1956 que
l’égyptologie a cessé d’être le pré carré des égyptologues
occidentaux, principalement anglais et français, et c’est
cette année là que le CSA nomme pour la première fois de son
histoire un secrétaire général égyptien. « Je compare
volontiers, toutes proportions gardées, Zahi Hawas à Nasser,
qui a nationalisé le patrimoine historique égyptien »,
affirme Gihane, l’air sérieux. Des bruits courent sur la
possible vacance imminente du poste de Zahi Hawas à la tête
du CSA, qu’en est-il réellement ? Gihane Zaki est persuadée
que « l’ambition la plus vivace de Zahi Hawas est la
création d’un ministère des Antiquités, bien plus que
l’accession au poste de ministre de la Culture qu’il
ambitionne aussi, mais dans une moindre mesure ». Le sort de
Zahi Hawas sera plus évident lorsque le ministre de la
Culture, Farouk Hosni, qui chapeaute le CSA, sera ou non
nommé à la tête de l’Unesco. Mais qui pourrait remplacer
l’éminemment charismatique Zahi Hawas ? « Probablement le
numéro deux du CSA, Sabri Abdel-Aziz », conclut Gihane Zaki,
précisant que Zahi Hawas l’a aussi ajoutée à la short-list
de sa succession.
Louise Sarant