Quand le fondamentalisme pénètre l’Etat

Abdel-Moneim Saïd

La scène politique dans les pays arabes et islamiques a été dominée, durant les quelques dernières décennies, par le défi représenté par des groupuscules fondamentalistes de diverses tendances contre l’Etat national moderne et ses institutions. Certains historiens estiment que le début fut au moment de la disparition de l’Empire ottoman, d’autres avec la naissance de la confrérie des Frères musulmans, un troisième groupe pense que c’est avec la création d’Israël ou encore avec la vague de violence religieuse qu’a connue le Moyen-Orient dans les années 1970. Cette vague s’est caractérisée par la tentative de renversement de la faculté technique militaire, par l’assassinat du cheikh Al-Zahabi, par la Révolution islamique en Iran et même par l’assassinat de Sadate.

Le début de l’histoire n’est pas moins important que son essence. En effet, depuis le début du XXe siècle, les pays arabes et islamiques contemporains ont commencé à apparaître sous la forme de mouvements d’indépendance de l’occupation et aussi sous la forme d’institutions diverses que le monde commençait à connaître, comme la Constitution, le Parlement, le gouvernement, les syndicats et les institutions de la société civile. Ils ont également commencé à connaître l’industrie moderne, les banques, les compagnies d’assurance et bien sûr les médias modernes à partir de la presse écrite pour en arriver aux réseaux d’Internet. Bien que ces institutions n’aient jamais fonctionné avec la même compétence que dans les pays où ils ont vu le jour ni même dans les autres pays non islamiques et non arabes, elles sont restées le pilier sur lequel se sont basées les diverses unités politiques. C’est ainsi que le principal défi qu’affrontaient les diverses élites était de pousser ces institutions à travailler avec la même compétence que dans les autres pays.

Mais une chose a influencé le processus de réforme, de changement, de pratique des politiques internes et externes. Il s’agit de l’existence du courant de l’islam politique. Quels que soient ses dimensions, ses orientations, sa modération ou son radicalisme, il continue à refuser l’Etat moderne partiellement ou totalement. Il continue à tenter de changer ses fondements ou de les soumettre. Dans tous les cas, le courant de l’islam politique tente d’abolir les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, notamment en ce qui concerne le monde islamique. En revenant à la littérature politique des mouvements islamiques ou aux expériences islamiques effectivement appliquées au Soudan, en Afghanistan, en Iran et en Palestine, nous découvrons des tentatives acharnées pour changer la forme de l’Etat et de ses institutions connues, pour briser les frontières entre l’intérieur et l’extérieur ainsi qu’un heurt permanent avec l’ordre mondial en vigueur.

Les partisans de ces mouvements sont convaincus que tant que les musulmans forment une nation unie, ils ont le droit de se déplacer librement d’un pays à l’autre, de s’ingérer dans les affaires des autres pays et de tenter de les placer sur le chemin droit. C’est ainsi que les mouvements islamiques regroupent en général des éléments de divers pays. Quant aux Frères musulmans, ils ont fondé une organisation internationale propre à leur mouvement malgré l’existence d’une autre organisation internationale regroupant les pays islamiques, à savoir l’Organisation de la conférence islamique.

Le défi représenté par les groupes fondamentalistes a pris plusieurs formes entre la pratique pacifique de la politique et divers degrés de violence.

Durant la courte période précédente, le monde arabe et islamique a vécu trois nouvelles expériences de cet affrontement entre les courants islamiques et l’Etat. Ces expériences nous donnent une certaine connaissance des mécanismes politiques utilisés par ces courants pour anéantir l’Etat et instaurer un Etat alterne ou bien pour soumettre l’Etat afin qu’il soit différent de tous les Etats connus dans le monde.

La première expérience est celle du mouvement islamique Boko Haram, né en 2003 au Nigeria. Son leader, Mohamed Yusuf, a fondé une base surnommée les talibans du Nigeria. Le mouvement a regroupé, en plus des Nigérians, des éléments d’autres pays africains voisins dont les plus importants sont les Tchadiens. Les membres du mouvement sont convaincus que le Nigeria est prêt pour une révolution islamique. Ils se sont alors lancés pendant les six dernières années dans des activités de Daawa ainsi que des activités politiques armées qui se sont terminées il y a quelques semaines par des affrontements sanglants contre les forces gouvernementales. Ces affrontements ont fait plus de 600 morts, ainsi que la mort du leader du mouvement, Mohamed Yusuf.

La deuxième est celle du mouvement d’Al-Qaëda au Yémen, qui essaye de fonder un Etat islamique au Yémen après les coups durs subis en Iraq et en Afghanistan.

Selon l’Onu, le nombre de déplacés à cause du conflit entre les forces gouvernementales et le mouvement d’Al-Qaëda dans le gouvernorat de Séada au nord du Yémen a atteint plus de 100 000 déplacés.

Et enfin, le mouvement des talibans d’Afghanistan a fait la une de la presse mondiale après les affrontements sanglants qu’a connus le Pakistan durant les derniers mois. Les talibans avaient conclu un accord avec le gouvernement pakistanais en février 2009 sous l’emblème de la charia contre la paix. Selon cet accord, le gouvernement renonçait à une partie de ses prérogatives et de ses autorités et octroyait aux talibans le droit d’imposer leurs lois dans les régions soumises à leur domination en contrepartie de l’abandon des armes et du cessez-le-feu. Cependant, les talibans ont violé l’accord et ont refusé de remettre leurs armes. Bien plus, ils ont poursuivi les affrontements afin d’imposer la charia dans tout le Pakistan. Selon le rapport d’Amnesty International pour l’année 2009, le mouvement a commis de dangereuses violations contre les droits de l’Homme, comme l’attaque de civils, des kidnappings, des prises d’otages, des tortures et de mauvais traitements d’otages.

Ces trois mouvements islamiques dans les trois pays, le Nigeria, le Yémen et le Pakistan, se caractérisent par l’extravagance et l’extrémisme. Ils aspirent tous à s’emparer d’une partie de l’Etat pour y fonder un émirat islamique. Ceci ne diffère pas beaucoup de ce qui s’est passé auparavant en Afghanistan et en Somalie, ou même à Gaza (après le coup d’Etat du Hamas), ou dans la ville palestinienne de Rafah (après la tentative de la création d’un émirat islamique). Ces tentatives peuvent parfois réussir ou parvenir à la division de l’Etat entre les partisans de l’Etat civil ou même entre lui et d’autres éléments islamiques d’une tendance différente. Mais à la fin, l’objectif reste le même : celui d’affaiblir l’Etat moderne et de l’empêcher de s’intégrer dans le monde contemporain. C’est là le véritable défi auquel les élites politiques dans les pays arabes et islamiques n’ont pas trouvé de solution durant les deux derniers siècles. Il est clair qu’il n’y aura pas de solution tant que la question n’est pas examinée dans sa totalité loin des détails. Il ne s’agit pas de savoir quel Etat nous voulons, mais si nous voulons vraiment un Etat.