Après
Taxi, récit à succès, Khaled Al-Khamissi
revient cette fois-ci avec un roman. Toujours au cœur
des drames contemporains, il emprunte la métaphore du déluge
pour aborder le thème de la fuite dans l’immigration.
L’arche de Noé
J’ai
accompli la prière du vendredi, puis je m’en suis allé au
café d’Al-Massiri pour rencontrer Yassine et Ismaïl. Je
voulais les présenter l’un à l’autre et passer avec eux une
heure pour leur expliquer ce qu’il fallait faire. J’ai
trouvé plus d’une quarantaine de personnes qui m’attendaient.
Ils avaient rempli le café, la rue et tout le quartier.
Quelques-uns étaient assis sur le trottoir de l’autre côté
et d’autres étaient installés sur des barils posés au sol
dans la rue. Une occupation complète de la rue.
J’étais
inquiet qu’on prenne cela pour une sorte de manifestation et
que je sois soumis à un interrogatoire. Que Dieu nous en
préserve. Je n’aime pas non plus discuter avec les clients
dans de grandes assemblées. Mais que faire ?
J’ai
fait la connaissance des jeunes de Tékla Al-Enab, de Achlima,
de Nabira, de Gabares et Sawalem au nord et de Sawalem au
sud, ainsi que de Damisana, de Kafr Awana et de Amlit.
Chacun d’entre eux était accompagné d’une armée. Avec eux,
on peut déclarer la guerre. Ils ont commencé à me présenter
les hommes. Le premier que j’ai salué a failli m’arracher le
bras et je n’ai pu saluer personne d’autre après lui.
C’était un costaud, énorme, nommé Taha et à côté de lui
était installé Al-Toukhi. En parlant, je n’ai pu relever
l’œil de sur un monstre, nommé Zakzouka. Je lui ai dit qu’il
valait mieux qu’il fasse de la boxe. Ils m’ont également
présenté Mohamad Chendi, Abdo Al-Kharat, Chaker, Eleiwa Al-Fahl,
Samasah et Bayida. Un groupe extraordinaire ! Une grâce qui
m’est tombée du ciel. Une grâce au goût de mangue après que
la compétition a pris ce tournant, ces derniers jours. Un
grand merci à Dieu.
Je leur
ai dit de préparer leurs passeports et leurs papiers du
service militaire et que la somme demandée était de 15 000
livres égyptiennes : 10 à payer maintenant et 5 autres
lorsque vous communiquerez avec vos familles avant de monter
sur le bateau en leur disant que tout va bien. Nous avons
convenu que nous nous rencontrerons au même endroit un
vendredi également, après exactement un mois, pour savoir
quel est le nombre final qui allait partir. Ils se sont mis
d’accord de partir en été pour que le temps soit calme, que
la mer ne soit pas haute et qu’ils puissent avoir le temps
de préparer ce qui était demandé.
Abou-Salama a fait un aparté avec Yassine et Ismaïl dans le
café, en étant évidemment sûr que ce qu’ils diraient sera
connu en détails par tous les présents. Le courtier voulait
les assurer qu’il y avait des solutions nouvelles et
originales au cas où ils ne pourraient pas trouver les
possibilités matérielles requises pour sortir de l’Egypte.
–
Evidemment vous êtes des personnes très bien … Et
aujourd’hui, nous nous connaissons. C’est pourquoi je veux
vous rendre service, au nom de Dieu. Et ne pas être avare en
informations que j’ai.
– Alors
quoi de bon, Abou-Salama ?
– Louez
le prophète.
– Qu’il
soit loué et salué.
– Voyez
les hommes, que Dieu vous apporte encore plus de grâces,
pour les personnes qui n’ont pas les moyens, il y a
aujourd’hui un hôpital qui a besoin qu’on offre son rein
pour des malades, que Dieu nous en préserve, qui vont mourir
s’ils ne subissent pas cette opération. L’hôpital paye tous
les frais de voyage.
– Tu es
courtier ou boucher ? Que Dieu te dépossède de tous tes
biens !
–
Pourquoi les gros mots Ismaïl ? Les bouchers, eux, ce sont
les courtiers, fils de chiens, qui te demandent pour un visa
pour l’Europe un certificat médical complet et qui volent
ainsi ce qu’ils veulent. Vous ne lisez pas les journaux ou
quoi ? Je travaille d’une manière qui me préserve tout péché.
Mon devoir est de vous informer et chacun n’a qu’à faire à
sa guise.
– Celui
qui enlève son rein ne pourra évidemment dormir que sur un
seul côté.
Yassine
éclate de rire sur sa blague, bien que Abou-Salama et Ismaïl
n’y ont rien compris.
– Celui
qui va partir va pouvoir, après quelques années, avoir une
résidence, ensuite la nationalité et la sécurité médicale là-bas,
je ne peux vous dire comment c’est bien. On peut remettre à
une personne au lieu d’un rein cinq nouveaux reins. Une
autre vie, les gars !
– Bon …
N’importe qui peut offrir son rein ?
– Bien
sûr que non … Il y a des analyses, des auscultations et des
choses comme ça et à la fin, ils disent s’il peut le faire
ou pas.
– Et ces
choses-là, c’est nous qui les payons.
– Bien
sûr que non … De cette façon, ça devient une escroquerie et
pas une offre. Toutes ces choses sont à l’œil. Tellement que
je pense le faire moi-même, pour qu’ils me fassent un examen
complet à leur compte, pour m’assurer du bon fonctionnement
de la machine et ensuite leur dire que j’ai d’autres chats à
fouetter.
– Mon
Dieu ! Qu’est-ce qu’elle a la machine ? Elle ne fonctionne
pas bien ?
– Je ne
sais pas Yassine, mais elle est un peu faible ces jours-ci …
La situation peut être critique, les courroies ne sont pas
bonnes.
– Nous
sommes tous dans le même bain !
– Bien,
les hommes, je vous retrouve le premier vendredi du mois
prochain l (…)
Traduction de Soheir Fahmi