Mohamed benaïssa,
secrétaire général de la Fondation du Forum d’Assilah et ex-ministre
marocain des Affaires étrangères et de la Culture, évoque la
31e édition du Festival culturel international d’Assilah qui
s’est tenu le mois dernier au Maroc.
«
La coopération Sud-Sud
est fondamentale, surtout pour
l’Afrique »
Al-ahram
hebdo : La dernière édition du Festival culturel d’Assilah a
mis l’accent sur le dialogue des civilisations. Quelle
conclusion tirez-vous des discussions sur ce thème ?
Mohamed
Benaïssa : Je crois qu’Assilah a été le premier espace pour
le dialogue des cultures et sa continuité. Tous les courants
intellectuels y étaient présents. Le ministre espagnol des
Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a déclaré que
le Festival d’Assilah est devenu le Davos culturel, en
allusion au Forum de Davos sur les questions économiques.
Le
premier colloque tenu au Festival était un vrai succès. Il
traitait de la coopération arabo-africo-ibéro-latino
américaine. Y ont participé des représentants des
gouvernements et de la société civile de divers pays, tels
l’Espagne, le Portugal, l’Egypte, le Liban, la Syrie, le
Brésil, l’Argentine, la Colombie, le Mexique, les pays du
Golfe et des pays africains. A Assilah, les officiels et les
intellectuels dialoguent, se parlent et apprennent à se
découvrir. Chacun peut évoquer librement ses pensées. Et
c’est ainsi que les idées avancent.
Pour
finir, je dirais Qu’Assilah tient sa place dans le monde de
la culture grâce à son succès et sa maturité. Il est devenu
le lieu de grandes rencontres intellectuelles, politiques et
sociales entre les représentants gouvernementaux et les
citoyens des différents pays participants, en tête desquels
naturellement le monde arabe.
Assilah
est devenu le lieu de rencontres de présidents, de premiers
ministres, de présidents de Parlement, d’intellectuels de
toutes tendances, hommes et femmes. Le Festival joue
aujourd’hui un rôle majeur dans la coopération Sud-Sud. Nous
avons commencé le Forum arabo-africain en 1981 sous la
houlette de l’ancien président sénégalais Léopold Sédar
Senghor et le prince Hassan de Jordanie. Cette année, 2009,
nous avons élargi le Forum pour devenir celui du dialogue
arabo-afro-ibéro-latino-américain. Nous l’avons ainsi étendu
à l’Amérique latine, et nous espérons l’ouvrir les années
prochaines en Asie.
– Quel
intérêt revêt la coopération Sud-Sud ?
– La
coopération Sud-Sud est quelque chose de fondamental,
surtout en ce qui concerne l’Afrique. J’ai la ferme croyance
que la véritable sécurité des pays arabes, que se soit la
sécurité stratégique, économique ou culturelle, réside dans
nos pays du Sud et non dans ceux du Nord. Je suis persuadé
que l’Afrique sera à l’avant-garde de l’avance des
civilisations. Et c’est dans ce sens-là qu’Assilah est
devenu incontournable, car son Festival accueille tous les
courants de pensée, toutes les idées, toutes les idéologies,
tous les intellectuels.
– Le
parcours du Festival d’Assilah était long et semé d’embûches
puisqu’il s’agit, en fin de compte, d’un exercice de la
liberté d’expression. Comment en êtes-vous arrivés là ?
– Nous
avons commencé en 1973 avec plusieurs objectifs et nous
avons affronté plusieurs défis. Le premier était celui de la
ville d’Assilah qui était en état lamentable du point de vue
de l’infrastructure de base, des conditions de vie et des
services sociaux.
Le
second défi était celui d’assurer une continuité culturelle
arabe et surtout d’instaurer un dialogue entre le Nord et le
Sud. A la fin des années 1970, nous vivions la guerre
froide, les conflits étaient foisonnants dans le monde arabe
entre la droite et la gauche, les nationalistes et les
baasistes, entre les capitalistes et les socialistes ou
communistes. Il y avait une sorte de rupture culturelle et
intellectuelle entre les idées, les idéologies et les
personnes qui les représentent. Au Maroc en particulier,
nous avions beaucoup de problèmes liés à la démocratie et
l’ouverture à l’autre. Quand nous avons commencé nos
activités, nous sommes partis du principe qu’il fallait
nouer le dialogue avec le Nord, mais de ne pas suivre
uniquement la voie tracée par ce Nord. A la fin des années
1970 et au début des années 1980, il y avait la création de
plusieurs manifestations culturelles dans le monde arabe,
comme Carthage en Tunisie et Baalbek au Liban. Ces deux
festivals se concentrent essentiellement sur les arts et le
spectacle. Nous avons alors dit pourquoi ne pas créer un
Forum où l’on peut dialoguer et se connaître. Alors, nous
avons décidé de créer, dans cette simple petite ville
d’Assilah (nord du Maroc) qui donne sur l’Atlantique, ce
moussem (saison) culturel loin des grands hôtels et des
chambres climatisées, et de faire venir des gens du Nord
pour qu’ils traitent avec nous, à notre manière et comme
nous sommes, et non selon leur vision à eux. C’était en
1978, lorsque nous avons créé une association
non-gouvernementale, l’Océan, qui est devenue ensuite
l’Organisation du Forum d’Assilah, une ONG à but non
lucratif.
Nous
avons eu tout de même des problèmes avec la gauche et la
droite, y compris avec la police et le ministère de
l’Intérieur. Il s’agissait des questions liées à la
démocratie et à la liberté d’expression. Mais ce fut
l’intervention de Sa Majesté le roi Hassan II qui nous a
protégés, ainsi que celle du prince héritier de l’époque,
l’actuel souverain Mohamad VI qui, depuis l’âge de 17 ans,
était le président d’honneur du Festival. Depuis, il
patronne nos activités. Chaque année, Sa Majesté le roi
Mohamad VI, envoie un message au Festival d’Assilah, où il
émet l’espoir que le Forum reste un espace de créativité
intellectuelle et politique dans notre région.
Le
troisième défi était de mettre la culture et la création au
service du développement. Quand nous avons lancé ce slogan,
beaucoup se sont moqués de nous. Nous avons commencé en 1978
en invitant un groupe de peintres marocains et nous leur
avons demandé de poser leurs créations sur les murs
d’Assilah. Le défi était de voir les habitants de la ville
se réveiller alors que les peintres étaient en train de
peindre les murs des maisons. L’idée était d’embellir la
ville. Nous avons également fait participer les enfants de
la ville, sous la supervision des artistes, à cette
entreprise. Cette expérience a secoué les médias marocains
et une partie des médias étrangers. Le but était de faire
sentir aux habitants d’Assilah une qualité de vie meilleure,
non seulement sur le plan de l’esthétique et de la beauté,
mais aussi dans le cadre de l’environnement.
Nous
avons relevé ces trois défis. Assilah n’est plus cette
petite ville négligée. Elle est pleine aujourd’hui de
vitalité économique et sociale.
– Quelle
est la position du Maroc vis-à-vis de la candidature du
ministre égyptien de la Culture Farouk Hosni au poste de
directeur général de l’Unesco ?
– Le
ministre de la Culture Farouk Hosni est un grand ami et
collègue. Son impact en tant que ministre de la Culture en
Egypte est énorme. Il a fait de grandes innovations dans
tous les domaines de la culture et du patrimoine égyptiens.
Le Maroc soutient fermement sa candidature et nous suivrons
de près les élections. Nous lui souhaitons ardemment le
succès.
Propos recueillis par Aïcha Abdel-Ghaffar