Arabie Saoudite . L’attentat suicide qui a visé le responsable de la lutte antiterroriste
et membre de la famille royale met à jour le danger que représente Al-Qaëda
dans la péninsule arabique.
Le retour d’Al-Qaëda
Les autorités saoudiennes sont en
effervescence. Et pour cause : l’attentat qui a visé le 27 août un membre de la
famille royale, le prince Mohamad bin Nayef bin Abdel-Aziz, responsable de la
lutte antiterroriste et fils du ministre de l’Intérieur, remet sur le tapis la
présence dans le royaume de l’organisation terroriste d’Al-Qaëda, qui a
revendiqué l’attentat suicide. L’inquiétude est renforcée par le fait que
celui-ci est le premier à viser un responsable de ce rang et un membre de la
famille royale depuis 2003.
L’attaque s’est produite à Djeddah
(ouest), au moment où le prince recevait des convives pour le féliciter pour le
mois sacré musulman du Ramadan. L’assaillant, un « terroriste recherché »,
avait exprimé son intention de se rendre au prince, qui avait accepté cette
proposition. C’est alors que le terroriste a fait exploser une bombe dissimulée
dans son corps lors des opérations de contrôle.
Le prince Mohamad bin Nayef est à
l’origine de la création, il y a trois ans, d’un centre de réhabilitation pour
remettre dans le droit chemin les activistes saoudiens libérés de la prison
américaine de Guantanamo et certains islamistes radicaux arrêtés dans le pays.
L’établissement créé par le prince constitue l’un des principaux éléments de la
politique saoudienne pour empêcher une reprise des attentats d’Al-Qaëda dans le
pays, secoué par une vague d’attaques entre 2003 et 2006 contre des
installations pétrolières et des cibles étrangères. Celles-ci ont coûté la vie
à plus de 100 Saoudiens et étrangers.
Al-Qaëda dans la Péninsule
Arabique (AQPA), réseau né du ralliement de la branche saoudienne d’Al-Qaëda à
A la suite de l’attentat, le roi
Abdallah a évoqué des « manquements à la sécurité ». En effet, le kamikaze, qui
a tenté d’assassiner le vice-ministre de l’Intérieur, Abdallah Hassan Taleh
Assiri, alias Aboul-Kheir, était entré en Arabie saoudite depuis le Yémen en
disant vouloir se rendre aux autorités, puis a rallié Djeddah en provenance de
Najrane, près de la frontière. Il a pu ainsi passer les contrôles de deux
aéroports saoudiens, ceux de Najrane (sud) et de Djeddah (ouest), sans que l’on
détecte les explosifs qu’il portait. Il figurait sur une liste saoudienne de 85
personnes les plus recherchées d’Al-Qaëda. Les observateurs estiment que
beaucoup d’entre eux, dont d’anciens détenus de
Le Yémen, base arrière
La tentative d’assassinat du
prince Mohamad bin Nayef laisse penser que le réseau d’Al-Qaëda souhaite faire
du Yémen sa nouvelle base arrière dans la région. AQPA s’est installé au Yémen
après avoir été chassé par la lutte antiterroriste du gouvernement saoudien.
La discrétion d’Al-Qaëda dans la
région depuis le début de l’année était en fait consacrée à sa consolidation et
à la préparation d’attaques et AQPA, en s’attaquant directement à la famille
royale de l’Arabie saoudite, a voulu montrer de quoi il était capable, estiment
les analystes. « Si elle avait réussi, cela aurait été une victoire
incroyablement significative dans la propagande d’Al-Qaëda dans la péninsule
arabique », dit Christopher Boucek, associé du programme Carnegie pour le
Moyen-Orient.
AQPA est dirigé par un Yéménite,
Nasser Al-Wabash, mais a nommé comme commandants deux Saoudiens libérés du camp
de détention américain de Guantanamo et passés par le programme de
réhabilitation des anciens islamistes en Arabie saoudite. Même si l’un d’entre
eux s’est rendu ensuite aux autorités, cela a constitué un revers considérable
pour ce programme souvent cité en exemple et dont la monarchie saoudienne dit
que les succès sont plus nombreux que les échecs. Ce programme n’aurait servi à
rien sans la chasse intensive de rebelles islamistes à mettre au crédit de
l’Arabie saoudite. « Toutes ces mesures souples de l’antiterrorisme n’ont été
possibles que parce qu’il y a eu des victoires sur le plan sécuritaire
auparavant. Cet (attentat) ne va que revigorer ceux qui mènent cette lutte
sécuritaire », estime Boucek.
Riyad craint que la nébuleuse
d’Al-Qaëda, considérablement fragilisée sur son territoire, n’ait trouvé refuge
dans les régions recluses du Yémen, dont les forces de sécurité sont déjà
mobilisées par les révoltes tribales au nord et les violences séparatistes au
sud. « On ne peut pas dire avec certitude s’il y a un lien direct entre le
Yémen et l’attaque contre le prince Mohamad, mais les problèmes de sécurité au
Yémen vont affecter la région », dit Boucek.
Les inquiétudes saoudiennes sont
largement partagées par les Etats-Unis, qui doutent de la capacité de Sanaa à
gérer le retour des prisonniers de
Sanaa s’est engagée dans la lutte
antiterroriste aux côtés des Etats-Unis après le 11 septembre 2001, mais a été
embarrassée lorsque le Pentagone a révélé qu’une attaque de drone avait tué le
chef local d’Al-Qaëda sur son territoire en 2002. Le chef de la diplomatie
yéménite a dit, au début du mois, que ses ressources pour combattre Al-Qaëda
étaient limitées et a prié les Etats-Unis de partager davantage de
renseignements.
La pauvreté et la corruption font
du Yémen un paradis pour les recruteurs d’Al-Qaëda. La terre natale du père
d’Ossama bin Laden compte 23 millions d’habitants dont deux-tiers de moins de
24 ans. Bien que le message idéologique d’Al-Qaëda trouve peu d’écho au Yémen,
les jeunes y sont très sensibles lorsqu’on fait appel à leur sens de
l’injustice.
Hicham Mourad